Il n’y pas qu’au cinéma que l’horreur a le vent en poupe. La preuve par cinq avec ces histoires d’épouvante éprouvantes parues cet automne.
| Boucher, de Joyce Carol Oates
Pour celles et ceux qui osaient encore se demander si Joyce Carol Oates, reine des lettres américaines, adepte du macabre et de l’horreur, avait, à 86 ans, calmé ses ardeurs, la réponse est non. Le titre à lui seul annonce la couleur : Boucher.
On entend déjà le tintement de la lame affutée. Ou plutôt du scalpel, puisque c’est une histoire alternative de la médecine qui nous est contée. En s’inspirant d’une pratique courante au XIXe siècle et des hommes qui l’ont réellement expérimentée, au premier rang desquels Silas Weir Mitchell, la romancière nous plonge dans l’enfer de la « gyno-psychiatrie moderne », cette pseudo-science qui partait du principe que l’hystérie des femmes était liée à leur utérus et qu’il fallait donc intervenir chirurgicalement pour les soigner. À Trenton, dans un odieux asile d’aliénées, les patientes en ont fini de patienter. La fureur des femmes est prête à se déchaîner.
| Le Téléphone carnivore, de Jo Nesbø
Il suffit d’un rapide coup d’œil au titre, qu’on croirait tout droit sorti de la collection Chair de poule, et à la couverture – un vieux téléphone ensanglanté devant un manoir – en flammes pour savoir qu’on s’apprête à ouvrir un roman à part dans l’œuvre de Jo Nesbø. Plus de 20 ans après son premier livre et les débuts de son héros inoubliable, l’inspecteur Harry Hole, qu’il ne cesse de réinventer avec brio, l’écrivain norvégien, un des rois incontestés du polar nordique, s’est autorisé un petit plaisir : écrire un roman d’horreur.
Perfusé aux magazines pulp, aux œuvres de Stephen King et de Lovecraft, Le Téléphone carnivore tire toutes les ficelles du genre, mais le fait bien. Orphelin recueilli par son oncle et sa tante, Richard traîne ses guêtres d’adolescent torturé dans une de ces villes pavillonnaires où l’ennui règne en maître. Mais un jour, il assiste à un drame inexplicable. Alors qu’il piège Tom, son seul ami, dans une cabine téléphonique pour lui faire une blague, ce dernier est littéralement englouti par le combiné. Accusé de meurtre, envoyé en centre de redressement, Richard compte bien prouver son innocence et s’élance dans une quête aux frontières du réel jusqu’à une étrange bâtisse devenue le royaume du paranormal. Gentiment effrayant, délicieusement vintage, une facétie d’auteur à la gourmandise romanesque contagieuse.
| Lune froide sur Babylon, de Michael McDowell
« L’horreur est l’un des meilleurs moyens d’exprimer, de dire qu’il y a des choses, là dehors, des forces, des vibrations qui frappent sans prévenir, elles frappent sans raison, elles frappent sans qu’on soit capable de faire quoi que ce soit contre elles. »
Depuis le succès de Blackwater, roman-feuilleton teinté de surnaturel publié en six tomes à partir d’avril 2022 et qui a conquis plus de 500000 lecteurs, les Éditions Monsieur Toussaint Louverture se sentent investies d’une mission : faire briller l’œuvre, encore largement inédite en France, de Michael McDowell. Après Les Aiguilles d’or, conte gothique noir, très noir, croisant Dickens, Scorsese et Stephen King ; après Katie, Penny Dreadfull haletant et gore avec une méchante inoubliable, on redécouvre cet automne un nouveau bijou de genre, un roman d’horreur qui plonge le lecteur dans une atmosphère poisseuse et angoissante.
14 juillet 1965. Jim Larkin et sa femme Jo-Ann disparaissent mystérieusement alors qu’ils voguaient sur leur barque sur la rivière locale appelée, comme un funeste présage, le Styx. Après le drame, le reste du clan Larkin se met à enchaîner les déconvenues et survit douloureusement alors que la plantation familiale de myrtilliers s’essouffle. Point d’orgue de l’étrange malédiction qui s’abat sur lui, la petite Margaret, 14 ans, disparaît à son tour.
Tout porte à croire que cette satanée rivière est la source de tous les maux. Peu à peu, d’étranges phénomènes remontent ce fleuve des Enfers et de terrifiantes créatures remontent à la surface. À Babylon, petite bourgade américaine que ne renierait pas le maître de l’horreur Stephen King, Michael McDowell imagine une histoire d’épouvante qui hérisse le poil, un conte macabre qui abolit la frontière entre les vivants et les morts.
| Les Dents de la mer, de Peter Benchley
On pourrait remplir des bibliothèques entières de romans dont l’existence même a été passée sous silence par la destinée glorieuse de leur adaptation au cinéma. Qui se souvient d’Harry Grey, d’Armitage Trail ou de Michael Chrichton ? Pourtant, Il était une fois en Amérique, Scarface et Jurassic Park, ces histoires cultes dont ils sont originellement les auteurs, sont devenues des films inoubliables, entrés dans la légende.
Grâce au travail des éditions Gallmeister, au moins une de ces injustices va enfin pouvoir être réparée. Pour célébrer en grande pompe les 50 ans de la publication originelle du roman et à quelques mois du cinquantième anniversaire de son adaptation au cinéma par le tout jeune Steven Spielberg, elles republient dans un coffret collector Les Dents de la mer de Peter Benchley.
Un corps mutilé s’échoue sur la côte près d’Amity, cité balnéaire paisible du Massachusetts. Sans aucun doute l’œuvre d’un requin. Si, pour beaucoup, il s’agit là d’un drame isolé, pour Martin Brody, chef de la police locale, l’affaire est sérieuse et la bête aux dents acérées va très vite réattaquer. Seul contre tous, il tente, d’abord en vain, d’alerter la population et de sauver des vies. Mais très vite, alors que les corps s’amoncèlent, le face-à-face devient inévitable.
Aux côtés de Quint, un chasseur de requins misanthrope, et Hooper, un jeune océanographe, il s’engage dans une traque sanglante en pleine mer. Une réédition savoureuse du classique des classiques horrifiques dont on entendrait presque jaillir la musique entêtante de John Williams. Un vrai plaisir de lecteur, pour ceux qui aiment jouer à se faire peur.
| Histoires de fantômes, de Jeannette Winterson
On se souvient comme si c’était hier du Frankissstein de Jeannette Winterson, réécriture futuriste du Frankenstein de Mary Shelley. Le livre jonglait entre la genèse, au début du XIXe siècle, de ce classique du fantastique et une époque futuriste où l’on pouvait croiser un chirurgien transgenre, des robots sexuels et une intelligence artificielle menaçante. Ce n’est donc pas la première fois que la romancière britannique se fraye un chemin du côté des freaks et autres créatures. Mais elle n’utilise pas l’horreur pour terroriser le lecteur, elle s’en sert comme d’un terrain de jeu pour pointer du doigt les affres d’une société qui crée ses propres monstres.
Séparé en quatre parties – Objets, Lieux, Personnes et Visites –, ce troublant recueil de nouvelles nous entraîne à travers 13 histoires dans un monde peuplé de fantômes. Conte gothique à la Edgar Allan Poe, dystopie technologique ambiance Black Mirror, mais aussi incursion autofictionnelle où l’autrice se confie sur son rapport aux esprits, le livre balaie toute l’imagerie spectrale pour interroger le rapport contemporain à la mort et au deuil, pour remettre en question le rôle des nouvelles technologies dans l’appréhension du vivant et dans l’expérience de notre propre finitude. Hypnotique et érudit.