Nul ne pourra jamais lui retirer son statut de chaînon historique du RPG japonais. Dragon Quest III transcende les époques pour se laisser découvrir sous une livrée magnifique en HD-2D. Pourquoi s’en priver ?
C’est un pan entier de l’histoire du jeu vidéo qui nous est proposé à travers la sortie de Dragon Quest III HD-2D Remake sur les machines actuelles. Longtemps resté hors de portée du public européen, cet épisode mythique est désormais accessible à tous dans une version à la fois moderne et authentique. Sa sortie nous offre une incursion nostalgique inespérée aux origines d’un genre tout entier. Mais qu’est-ce qui explique une telle renommée pour un jeu datant de 1988 ?
Dragon Quest III : un phénomène de société
Les circonstances mêmes de la sortie de Dragon Quest III au Japon sont entrées dans l’histoire, le soft étant l’un des premiers à engendrer files d’attente monstrueuses et ruptures de stock inattendues. Avant même de devenir une saga, Dragon Quest s’impose déjà comme un phénomène de société dans son pays d’origine. Alors, pour éviter l’absentéisme scolaire (et professionnel) massif, l’éditeur est obligé de se résoudre à sortir les volets suivants uniquement le samedi.
Le vrai point de départ narratif de la franchise
Placé chronologiquement avant les événements du tout premier jeu de la saga, Dragon Quest III nous permet d’incarner celui qui deviendra l’ancêtre d’une vaillante lignée de héros. Il est important de commencer par cette précision, afin de rassurer tous ceux qui seraient déconcertés à l’idée de débuter la franchise par le biais de ce troisième opus.
Second élément intéressant à prendre en compte : la continuité de l’histoire est d’ores et déjà assurée avec le lancement en 2025 du remake des deux premiers volets. On peut donc difficilement rêver mieux comme moyen de découvrir cette saga qui symbolise encore aujourd’hui le parangon de l’âge d’or du jeu de rôle nippon.
Une “dream team” de légende
Séduit par les premières tentatives de jeux de rôle conçues en Occident sur les micro-ordinateurs de l’époque (notamment Wizardry), Yûji Horii dessine en 1986 les contours du tout premier Dragon Quest. La réalisation est certes préhistorique, mais les fondamentaux sont déjà là : l’exploration d’un monde médiéval fantastique est rythmée par des rencontres aléatoires et un système de combat au tour par tour.
La proposition se révèle si addictive qu’elle fédère autant les rôlistes que le grand public. Tout le monde veut jouer à Dragon Quest et le troisième volet est souvent considéré comme le chouchou des fans de la série.
En s’entourant de deux personnes clés, les regrettés Akira Toriyama (Dragon Ball) et Kôichi Sugiyama, Yûji Horii a transformé le succès annoncé en véritable légende. Le premier est chargé d’imaginer le design des monstres et des personnages, tandis que le second livre des morceaux musicaux incroyablement ambitieux.
Si l’aura de la série reste aussi forte encore aujourd’hui, c’est parce que toutes ses composantes nous renvoient à un imaginaire visuel et sonore unique en son genre. La formation classique du compositeur singularise immédiatement la bande-son de la franchise.
Elle lui confère un cachet grandiloquent qui débouchera logiquement sur des réorchestrations symphoniques mémorables, bien des années plus tard. Côté design, le style irrésistible du papa de Dr. Slump immortalise pour toujours les contours du bestiaire légendaire de la saga.
L’alchimie est si parfaite que ses créateurs n’oseront quasiment plus y toucher, de peur d’ébranler ses fondations. Tant pis si l’on reproche déjà à la série son manque de prise de risque et de renouvellement, du moment que la recette nostalgique continue de filer des frissons aux joueurs.
Tous ces éléments vont donc revenir inlassablement d’épisode en épisode, comme si leur présence était indissociable de la saga. Jusqu’à la première adaptation animée du manga Dai no Daibôken (« Fly » ou La Quête de Dai) qui reprend la plupart des thèmes entendus dans les jeux vidéo pour revendiquer la même identité.
Le choix de la HD-2D comme gage d’authenticité
La saga Dragon Quest a longtemps affiché un refus de modernité qui aurait pu lui porter préjudice. Pourtant, la meilleure preuve de son évolution est la manière dont son volet principal le plus récent (Dragon Quest XI S : les combattants de la destinée) s’est amusé à proposer deux types de rendus visuels jouables pour rendre hommage aux débuts de la franchise.
Sur la version Switch du onzième opus, il est en effet possible de basculer à tout moment entre une représentation à l’ancienne (version pixel art en 2D) ou une 3D beaucoup plus actuelle. Preuve que la question du juste équilibre entre authenticité et modernité est depuis longtemps au cœur des débats.
Et si le meilleur moyen de réconcilier les deux publics était d’opter pour une formule HD-2D qui a déjà fait l’unanimité auprès des joueurs ? Acclamé dans le jeu Octopath Traveler, ce rendu visuel hybride a le mérite de préserver l’esprit d’une direction artistique old-school, tout en s’appuyant sur des techniques de réalisation modernes.
Nous avons d’ailleurs passé un temps fou à trier nos captures d’écran sur Dragon Quest III HD-2D Remake afin de souligner la qualité du travail réalisé par les artistes à l’œuvre sur ce titre. Une refonte qui n’est pas seulement visuelle, la bande-son pouvant compter sur des orchestrations magnifiques et l’inclusion de voix (anglaises ou japonaises) pour doubler les dialogues les plus importants. En combat, les fans seront bluffés d’entendre parfois les mages prononcer les noms originaux des sortilèges de la série (Ionazun, Begirama, Hyadaruko…).
Le pari d’une formule résolument old-school
Si la nostalgie est au cœur de la création de ce remake, certains choix restent discutables. On peut par exemple regretter la taille réduite des monstres à l’écran alors que la HD-2D est capable d’afficher des boss monumentaux dans Octopath Traveler. Même chose pour les animations et les effets des sorts qui manquent cruellement d’envergure. Le curseur penche très clairement en faveur du respect des sensations old-school, mais cela ne devrait pas déranger les adeptes de la saga. Surtout si l’on considère ce remake comme un témoignage à valeur historique.
Ceux qui découvriraient pour la première fois la série risquent tout de même d’avoir plus de mal à apprivoiser cette dominante rétro. Car, si ce remake embarque de très nombreuses options de confort pour rendre l’aventure plus accessible, il repose toujours sur une structure résolument archaïque.
La fréquence des rencontres aléatoires reste aussi très élevée et, même en mode « Ultra-rapide », les combats paraissent longs. C’est à la fois la force et la faiblesse de cet épisode qui prend beaucoup de temps à poser ses bases pour nous rappeler les conditions dans lesquelles le public de 1988 a découvert les prémices de la saga.
En réalité, le titre ne prend vraiment son envol qu’après une bonne douzaine d’heures de jeu. Toute la partie qui précède la recherche des orbes éparpillés aux quatre coins du planisphère affiche en effet une certaine linéarité qui pourrait en décourager certains. La suite se révèle, en revanche, bien plus grisante en termes d’explorations et de défis.
Sur terre, en mer ou même dans les nuages, le périple prend soudain des airs de voyage bien plus ambitieux et se prolonge sur plusieurs dizaines d’heures de jeu. Franchir le cap des 12 premières heures correspond aussi au moment où nous est offerte la possibilité de changer la classe de nos personnages dans l’abbaye des vocations.
Changer de classe pour gagner en polyvalence
Pour inciter les aventuriers à tester les différents jobs proposés dans l’abbaye des vocations, le titre fait en sorte que l’on conserve toutes les magies et aptitudes apprises auparavant. Même si le personnage repart au niveau 1, les gains d’expérience sont si rapides que ce n’est pas pénalisant. On peut alors réellement spécialiser nos héros comme on le souhaite pour créer des classes hybrides, aussi à l’aise pour lancer des sorts que pour manier des armes puissantes.
Une arène de monstres inédite
Au-delà des nouvelles options de confort déjà évoquées, ce remake introduit une chasse aux créatures spéciales qui se distingue de la caravane de monstres présente dans certains volets de la série. Cette quête annexe consiste à débusquer puis amadouer de « faux ennemis », généralement cachés dans des zones secrètes, dans le but de les recruter. Sachant que certains n’apparaissent qu’à des moments précis de la journée, tous les rassembler se révèle être une quête de longue haleine.
Le nouveau job de « monstrologue » est évidemment le meilleur moyen d’approcher ces créatures qui ne rejoignent ensuite pas directement notre équipe, mais se battent dans des arènes de combat dédiées. Plus on réunit de congénères d’une même race, plus ces monstres se renforcent.
L’assignation des tactiques qui permettent d’automatiser le comportement des monstres pour l’adapter au déroulement des tours prend ici tout son sens. Cet outil reste d’ailleurs infiniment précieux sur l’ensemble du jeu, car il permet de déléguer à l’IA les actions les plus récurrentes pour se concentrer sur les personnages les plus intéressants à jouer.
Une formule universelle et inspirante
En introduisant de manière subtile tous ces éléments nouveaux, Dragon Quest III HD-2D Remake compense habilement les faiblesses d’une formule qui accuse forcément le passage des ans. Le jeu parvient à rester fidèle à son interface rétro tout en gagnant en ergonomie. Il ajoute aussi des marqueurs d’objectifs, simplifie la téléportation et élimine les éléments les plus désuets pour privilégier le divertissement.
Le challenge étant particulièrement corsé, la difficulté est ajustable à tout moment, tout comme la vitesse des combats et le recours aux tactiques automatisées pour nos alliés. Intégralement traduit en français, le jeu nous permet de remonter le temps, aux origines d’un récit qui donnera naissance à une trilogie, puis à une saga culte appréciée dans le monde entier.
Il y a dans la série Dragon Quest quelque chose d’universel et d’inspirant que l’on ne pourra probablement jamais expliquer, mais qui donne envie de s’y réfugier pour s’offrir un vrai retour aux sources. Même pris dans sa plus grande simplicité, ce troisième volet reste à la fois touchant et sincère. Il nous rappelle qu’une bonne partie de notre passion se trouve enfouie, là, dans ses racines.