Camille Cottin, Sara Forestier et India Hair sont Trois Amies dans le nouveau film d’Emmanuel Mouret. À l’occasion de sa sortie, L’Éclaireur a rencontré la troupe de comédiennes afin de parler du film, d’amour et d’amitié, mais surtout afin qu’elles livrent leur regard sur le métier d’actrice.
Qu’est-ce qui rend le cinéma d’Emmanuel Mouret si unique, selon vous ? Qu’est-ce qui vous a intéressées dans son cinéma et que vous avez voulu poursuivre avec Trois Amies ?
India Hair : Pour ma part, c’est avant tout sa langue, son écriture. C’est ce que j’adore dans son cinéma. Depuis quelques années, je ne peux pas trop faire de théâtre et ça me manque beaucoup. Chez Emmanuel Mouret, j’ai l’impression de me rapprocher de cette exigence sur l’écriture, sur la clarté d’une pensée et sur la complexité d’une réflexion autour d’un sujet. Tout ça est amené avec une grâce dans la prise de parole de ces personnages. J’ai toujours adoré ça dans ses films.
Camille Cottin : Je trouve qu’il a son univers. Il continue d’explorer une matière qui lui est chère, qu’il sculpte, qui lui ressemble tant dans le fond que dans la forme. L’amour reste un thème central, et il a vraiment une intégrité dans la façon dont il cherche. Je trouve ça très agréable d’être invitée dans son univers et de participer à cette quête. Effectivement, il y a beaucoup de nuances et j’ai compris, encore mieux, son cinéma en y participant.
Sara Forestier : J’aime bien l’ironie du sort. Quand j’ai fait le film, j’avais en tête qu’il adorait les marivaudages, des choses très vivantes, mais j’ai complètement oublié qu’il prenait en compte la cruauté et l’ironie du sort. C’est une partie importante de son cinéma. J’avais un peu oublié cet aspect, le temps du tournage, comme une espèce de déni alors que ça donne tellement de relief à tout ce qu’il fait. Il intègre une forme d’ironie du sort dans son cinéma, ça donne quelque chose de très vrai. J’adore quand les cinéastes intègrent cette partie plus cruelle de la vie parce que ça donne une vérité au récit.
« J’ai l’impression que, dans mon cas, mes grandes amitiés sont nées au moment de mon grand amour. »
India Hair
Ce réalisme-là dans le cinéma, est-ce quelque chose que vous recherchez à tout prix en tant qu’actrices ?
S. F. : Je ne dirais pas que c’est du réalisme, mais plutôt une recherche de vérité !
C. C. : Il y a une vérité dans cette cruauté, mais il y a une mise en forme, notamment dans Trois Amies. Je l’ai trouvé très beau esthétiquement, très lumineux dans ses couleurs automnales, dans sa lumière. Il y a quelque chose de l’ordre du conte dans sa manière de filmer la ville de Lyon, qui est un personnage à part entière, ou même ces trois personnages qu’on incarne. Il transpose quand même beaucoup le récit et y met beaucoup de lumière et de couleurs.
Le film parle d’amour et d’amitié. Finalement, qu’est-ce qui est le plus fort entre les deux ?
C. C. : Pour moi, un amour réussi est un amour fondé sur l’amitié.
I. H. : Je réfléchis à mon couple de 20 ans, je ne sais pas si ça serait mon pote… [Rires]
S. F. : Ton mari n’est pas ton pote ? [Rires]
I. H. : Avec mon mari, ça fait si longtemps que l’on est ensemble que je ne sais pas si ça serait mon pote. J’avoue que je n’y ai jamais pensé, mais j’aimerais bien me dire que l’on aurait pu être amis avant d’être un couple. Après, savoir ce qui est le plus fort entre l’amitié ou l’amour, c’est difficile… J’ai l’impression que, dans mon cas, mes grandes amitiés sont nées au moment de mon grand amour [Rires].
C. C. : Après, si on parle du film et de nos personnages, je ne pense pas qu’elles ont des amitiés amoureuses alors que personnellement, avec mes amis, c’est des amitiés amoureuses. C’est hyper fort ! Contrairement à moi, nos personnages cloisonnent davantage leur vie.
S. F. : C’est comme si inconsciemment elles étaient en équilibre. Elles sont différentes, mais complémentaires. Elles ont besoin d’une forme d’équilibre qu’elles orchestrent inconsciemment.
C. C. : Il y a quand même une forme de solitude aussi chez chacune qu’il n’y a jamais dans les amitiés amoureuses. C’est comme une fusion, finalement ! C’est un besoin, un rapport au quotidien, de savoir comment va l’autre, ce qu’il vit, ce qu’il traverse.
Pensez-vous qu’une part de vous ressemble à vos personnages ?
S. F. : Je trouve que ce qui peut sembler évident entre nous et nos personnages n’est jamais là où on s’attend à trouver le personnage.
C. C. : Si je devais essayer de trouver une ressemblance avec mon personnage, et c’est peut-être la raison pour laquelle Emmanuel m’a proposé le rôle, c’est que j’ai peur de souffrir. Après, je ne peux pas vivre dans le mensonge, donc je ne pourrais pas du tout tromper mon mari comme le personnage de Sara le fait ! J’ai un souci avec le mensonge, presque excessif. Or, je commence à comprendre que ça fait partie de la vie et que c’est aussi une façon de naviguer dans l’existence.
« Le cinéma, c’est un rapport très particulier à qui tu es. Être vraiment soi-même, c’est dangereux parce qu’on peut te prendre ton âme d’une certaine manière. Ça me terrifie absolument. »
Sara Forestier
N’est-ce pas le challenge de toute actrice de mentir et de chercher des personnages à l’opposé de notre personnalité ?
S. F. : Je trouve que c’est très angoissant d’être soi-même au cinéma. Ça me terrifie d’être moi-même dans un film.
I. H. : Au contraire, j’ai l’impression que c’est l’endroit où on peut être le plus soi-même, parce que j’ai l’impression de beaucoup me cacher dans ma vie, de ne pas être sûre du tout, d’avoir un problème d’instinct, de ne pas savoir comment me comporter parfois, ni ce qui est juste. Au cinéma ou au théâtre, on peut plonger dans ce qu’on ne révélerait pas, parce qu’on est protégé par le personnage. Abandonner cette pudeur me fait du bien.
S. F. : J’ai vraiment le sentiment de mentir lorsque je joue, car je ne veux pas être moi-même dans un film. Je pense que c’est dû à mon parcours, parce que j’ai l’impression aussi qu’on m’a volé quelque chose à un moment. Je pense que quand tu croises un cinéaste comme Kechiche, il te vole quelque chose [Sara Forestier a joué dans L’Esquive quand elle avait 18 ans, ndlr]. Le cinéma, c’est un rapport très particulier à qui tu es. Être vraiment soi-même, c’est dangereux, parce qu’on peut te prendre ton âme d’une certaine manière. Ça me terrifie absolument.
C. C. : C’est très ambigu, parce qu’on cherche à la fois une vérité et en même temps il y a un endroit qui nous appartient, qui nous appartiendra toujours, sur lequel personne ne doit avoir de prise. J’imagine que quand tu commences et que tu as 16 ans, c’est très dur de cloisonner ça. Il faut savoir l’identifier et savoir qu’on ne peut pas laisser quelqu’un y aller. En même temps, j’imagine qu’il y a aussi cette envie de tout donner, de t’abandonner complètement au projet, au rôle, au film, d’autant plus si tu rencontres quelqu’un qui va t’aider à te dépasser et te diriger. Tu vas avoir envie d’être en fusion. On a envie de partager des choses, mais il faut tout de même conserver cette pudeur. La frontière n’est pas évidente, surtout quand on parle d’un film où il y a beaucoup d’intimité et où ça questionne des choses profondes.
S. F. : J’ai l’impression que, quel que soit le parcours de chaque actrice, on finit par être confrontée à ça. Quand tu commences, tu veux forcément donner de toi-même, puis tu vas te prendre un mur. On a certes des parcours différents. Pour ma part, j’ai commencé très jeune et avec un metteur en scène majeur, qui fait vraiment du cinéma pour aller prendre une vérité, mais j’ai finalement trop donné. Je pense que c’est pareil pour tout le monde. Je pense que l’on est toutes parties, au début de notre carrière, dans quelque chose pour lequel on avait envie de se donner à fond en tant qu’actrices.
Trois Amies, d’Emmanuel Mouret, avec Camille Cottin, India Hair et Sara Forestier, 1h57, en salle le 6 novembre 2024.