Entretien

On a parlé d’amour, de Monia Chokri et de Martin Scorsese avec les acteurs de Simple comme Sylvain

14 novembre 2023
Par Agathe Renac
Magalie Lépine Blondeau et Pierre-Yves Cardinal dans “Simple comme Sylvain”.
Magalie Lépine Blondeau et Pierre-Yves Cardinal dans “Simple comme Sylvain”. ©Fred Gervais

Simple comme Sylvain a séduit le Festival de Cannes avec son ton original et ses dialogues percutants, avant sa sortie le 8 novembre dans les salles de cinéma. Son succès repose aussi sur le couple d’acteurs qui l’incarne, Magalie Lépine Blondeau (Sofia) et Pierre-Yves Cardinal (Sylvain). Rencontre.

Que ressentez-vous aujourd’hui, après avoir présenté votre film ? Rappelons qu’il a reçu une standing-ovation de sept minutes après sa projection !

Magalie Lépine Blondeau : On est beaucoup plus détendus qu’hier !

Pierre-Yves Cardinal : Oui, on était très fébriles.

M. L. B. : Très émotifs aussi. On a ressenti toutes les émotions possibles, de la fébrilité à la vulnérabilité, en passant par la fierté et l’excitation. Les premiers retours sur le film sont dithyrambiques, donc on est heureux et rassurés. Aujourd’hui, c’est plus calme à l’intérieur de nous. On est un peu comme le temps, finalement [il pleuvait beaucoup et le ciel était gris le jour de l’entretien, ndlr].

Simple comme Sylvain est un film de Monia Chokri. Comment décririez-vous le travail de cette réalisatrice en quelques mots ? 

M. L. B. : Monia Chokri a une posture de cinéaste absolument unique. Elle a beaucoup d’aplomb, d’idées et d’audace. Son cinéma est à son image, à la fois très drôle, très intelligent et très sensible. Je crois qu’il traduit à la fois sa verve, sa vulnérabilité et son charisme. Il est vraiment à son image et il a grandi avec elle.

P.-Y. C. : J’aime beaucoup de choses dans son cinéma ; son verbe est vraiment puissant et son langage cinématographique est génial. C’est une femme qui prend toujours position à travers ses œuvres, c’est quelque chose que j’admire. Je dirais qu’elles sont foisonnantes, dans tous les sens du terme. C’est ce qui m’a soufflé quand je l’ai rencontrée, il y a six ans. J’adore sa façon de marier la musique et l’image, sa manière de monter… 

M. L. B. : Monia est une grande cinéphile, on le voit dans son cinéma. On sent qu’elle a consommé énormément de films, des références qu’elle a réussi à s’approprier. Elle est aussi très en phase avec son époque. Sa proposition est nouvelle, féminine et très personnelle.

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Dans le film, il y a une vraie alchimie entre vous. Aviez-vous déjà joué ensemble avant Simple comme Sylvain ? Comment avez-vous travaillé pour arriver à cette complicité à l’écran ?

M. L. B. : On a beaucoup répété, mais c’était toujours avec Monia. Ce que vous voyez à l’écran, c’est un duo, mais en réalité, c’était un trio. La réalisatrice est derrière chacune de ces scènes. Rien n’est laissé au hasard. Vu la teneur des scènes et l’intimité dans laquelle nous devions plonger, on a énormément discuté tous les trois avant le tournage. On a évidemment répété, mais cette alchimie est surtout le résultat de toutes ces discussions. Ça nous a permis d’éviter toute surprise sur le plateau. 

P.-Y. C. : On savait ce qu’on allait faire à chaque fois.

©Fred Gervais

La communication est donc la raison principale de cette alchimie ?

P.-Y. C. : Oui, et aussi le fait qu’on s’entende très bien.

M. L. B. : C’était facile avec lui ! La complicité a été instantanée entre nous. C’était un vrai plaisir de travailler ensemble. En réalité, on ne se connaissait pas énormément avant ce tournage.

P.-Y. C. : On avait déjà travaillé ensemble sur la série 19-2

M. L. B. : Mais on n’avait pas beaucoup tourné ensemble ! Sur Simple comme Sylvain, la camaraderie a été directe.

Ce film nous parle d’amour. Quel est votre point de vue sur cette grande question ? À partir de quel moment sait-on que l’on est vraiment amoureux ?

M. L. B. : Je crois que le film nous laisse aussi avec nos propres interrogations. Il fait une distinction entre le sentiment amoureux, le désir et la difficulté de les faire perdurer au sein du couple.

P.-Y. C. : Et à l’intérieur du cadre social, aussi.

M. L. B. : Oui. Il propose plusieurs amours. Il n’y a pas que la passion que partagent Sylvain et Sofia. Au début, elle vit une relation amoureuse avec son partenaire de toujours, et elle est heureuse. Il y a aussi l’amour entre sa belle-mère et son père qui perd la mémoire. Il y a Françoise et Philippe, qui sont parents et qui s’engueulent tout le temps, mais qui s’aiment et qui rient ensemble. À l’intérieur d’une même soirée, il y a de la tendresse, des insultes, des cris, du désir… Avec beaucoup de raffinement, Monia propose plusieurs modèles amoureux.

©Fred Gervais

Elle se demande aussi si une relation peut perdurer quand deux personnes sont très différentes l’une de l’autre…

P.-Y. C. : Je pense que le constat du film est tout à fait réaliste. Un couple comme Sylvain et Sofia pose certains défis majeurs. C’est peut-être dommage, mais c’est réel. C’est difficile d’isoler un couple en dehors de la société pour qu’il fonctionne réellement.

M. L. B. : Je pense aussi qu’il y a quelque chose de très fort dans le fait d’être attiré par la différence de l’autre. Une complémentarité peut s’installer. Tomber amoureux de quelqu’un, c’est aussi tomber amoureux de la personne que l’on devient quand on est avec lui ou elle. Parfois, il est difficile d’être la meilleure version de soi-même quand on est dans un milieu qui nous est étranger. Je crois que Sofia et Sylvain partagent quelque chose d’unique et de très beau, mais ils ne sont plus les mêmes quand ils élargissent leur couple au cadre social.

Au final, ce sont les personnes extérieures au couple qui pointent les défauts de l’un et de l’autre… 

M. L. B. : C’est aussi parce qu’on est des êtres grégaires et sociaux. Plus on vieillit, plus on devient le produit de notre environnement et des chemins que l’on a pris dans notre vie.

De la même manière, est-ce plus facile de jouer avec des comédiens qui nous ressemblent, ou la complémentarité est-elle une force dans ce milieu ?

M. L. B. : Je pense que le plus important, c’est de se rejoindre dans le travail. Tout le monde m’a dit qu’il y avait une alchimie avec Pierre-Yves à l’écran. Si on a pu autant s’abandonner, c’est parce qu’il y n’avait aucune forme d’ambiguïté entre nous. On a créé ce film ensemble. Qu’elle soit dans la réalité ou à l’écran, la complicité entre les êtres est difficile à expliquer ou à mesurer.

P.-Y. C. : Comme tu le dis, cette alchimie nous échappe et elle est difficile à recréer. Dans notre cas, je pense qu’on s’est tous les trois rejoints très rapidement au niveau artistique. On était sur la même longueur d’onde.

M. L. B. : Dans la création comme dans l’amour, l’idée est de trouver un langage commun. Celui de Sylvain et Sofia est physique et sensuel, mais ils n’arrivent pas à le trouver dans la parole et dans les références.

Vous parlez de langage à trois. Avez-vous écrit ces personnages tous ensemble, ou Monia voulait-elle conserver le scénario original sans le faire évoluer ?

M. L. B. : Ils ont pris corps et voix avec nous, mais l’écriture de Monia est tellement précise, étudiée et réfléchie qu’une grande partie du rythme et de la personnalité de Sofia et Sylvain se trouvaient dans ses mots. Après, ils s’incarnent forcément par les acteurs qui les jouent.

Vous reconnaissez-vous en Sofia et Sylvain ?

M. L. B. : Énormément. Il faut savoir que Monia est ma meilleure amie. Ses personnages me touchent parce qu’ils lui ressemblent et je me retrouve aussi beaucoup en eux. On est très proches, je dis souvent qu’on est toutes les deux l’extension du cerveau de l’autre. Finalement, j’ai énormément de points communs avec Sofia, comme sa psyché, les difficultés qu’elle rencontre ou encore ses paradoxes. Je comprends ce moment de bascule qu’elle traverse dans sa vie. Je m’identifie beaucoup à elle.

P.-Y. C. : Mon métier et mon cercle social sont très éloignés de ceux de Sylvain. En revanche, je partage ses émotions, son émotivité et certaines de ses impulsions. Même si je n’ai pas beaucoup de points communs avec lui…

M. L. B. : Aujourd’hui, tu as la chaîne ! (rires) Je viens de la voir, tu as la chaîne de Sylvain autour du cou !

P.-Y. C. : Oui, je la porte depuis hier soir.

M. L. B. : Je l’adore ! C’est un porte-bonheur.

Monia Chokri dans Babysitter.©Bac Films

Monia est aussi actrice. Cette double casquette se ressent-elle dans sa manière de vous diriger ?

M. L. B. : Ça change tout ! Elle nous dirige comme elle aimerait l’être. Elle comprend la psyché de l’acteur et elle s’adapte. Elle ne dirige pas deux personnes de la même façon parce qu’elle sait qu’on a des sensibilités, des vulnérabilités, des façons de travailler et des egos différents. C’est une chance inouïe de collaborer avec elle.

P.-Y. C. : Nos échanges sont beaucoup plus fluides qu’avec d’autres réalisateurs. C’est précis, clair et limpide. On le voit aussi dans le vocabulaire : on partage le même langage. Parfois, la manière de diriger peut être floue et on ne sait pas exactement de quoi on parle. Avec Monia, on sait où on va.

De grands réalisateurs sont présents à Cannes aujourd’hui. Avec lequel d’entre eux rêveriez-vous de travailler ? 

M. L. B. : J’aurais pu nommer beaucoup de gens, mais j’ai un amour infini pour Martin Scorsese. Ses œuvres sont hautement cinématographiques et populaires. Quand je regarde ses films, j’ai toujours l’impression qu’il se marre derrière la caméra. Il n’a rien perdu de l’amour de ce métier, il y a toujours cette fraîcheur et ce besoin de l’exercer.

P.-Y. C. : C’est une excellente réponse. Je suis aussi un grand fan de Scorsese depuis l’adolescence.

On vous verra donc peut-être tous les deux dans son prochain film !

M. L. B. : Ça m’étonnerait beaucoup…

P.-Y. C. : Mais on lance ça dans l’univers !

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Article rédigé par
Agathe Renac
Agathe Renac
Journaliste