
Dans son deuxième et très attendu deuxième long-métrage, la réalisatrice saluée de « Past Lives », Celine Song, se lance dans une nouvelle exploration des relations amoureuses à travers une comédie romantique raffinée et cérébrale, portée par les très sexy Pedro Pascal, Dakota Johnson et Chris Evans. Nous avons rencontré la cinéaste pour parler de « Materialists », qui sort en salles ce 2 juillet 2025.
Dire qu’on attendait Celine Song au tournant est un euphémisme. Car la réalisatrice canado-coréenne avait placé la barre très haut dès son premier long-métrage, le superbe Past Lives, en 2023. Un drame intime et délicat qui racontait l’histoire de deux amis d’enfance séparés par la vie et réunis à l’âge adulte, entre Séoul et New York, offrant une réflexion sur le destin et ces vies qu’on ne vit pas. Glanant de nombreuses récompenses et fort de deux nominations aux Oscars – meilleur film et meilleur scénario original – le film consacrait Celine Song comme l’une des autrices actuelles les plus prometteuses.
Poursuivant sa brillante dissection des cœurs et des âmes, Celine Song revient avec un deuxième film, Materialists. Au centre de cette intrigue, Dakota Johnson incarne une entremetteuse professionnelle dont la vie sentimentale bascule. Elle doit faire face à un dilemme amoureux entre les charmes d’un riche héritier (Pedro Pascal) et le retour de son ancien amour fauché (Chris Evans).
Une œuvre ciselée qui, sous ses airs d’élégante rom-com new-yorkaise, livre une analyse tranchante des rapports amoureux à l’ère des algorithmes. Si Materialists ne possède pas la mélancolie poétique de son prédécesseur, Celine Song prouve une nouvelle fois qu’elle excelle dans l’art d’ausculter les dynamiques affectives contemporaines. Nous avons rencontré la réalisatrice pour parler « chouchous d’internet », amour et applis.
La bande-annonce de Materialists
Pourquoi avoir choisi de passer d’un film intime et contemplatif à une tonalité peut-être plus cynique satirique ?
J’ai écrit ce film après avoir terminé la post-production de Past Lives. Il y a eu six mois entre la fin et sa sortie, et je me suis dit : « Je devrais utiliser ce temps pour écrire sur quelque chose que j’avais envie d’explorer depuis des années. » Quand j’avais une vingtaine d’années, j’ai travaillé comme entremetteuse, un job alimentaire que j’ai fait pendant environ six mois. Je me souviens m’être promis de raconter un jour une histoire sur cette expérience. C’était quelque chose de très organique, en fait.
Mais je n’ai pas l’impression que Materialists soit moins intime que Past Lives. Pour moi, il l’est profondément. La différence, c’est qu’il est mieux distribué, qu’il y a de grosses stars – Pedro, Chris, Dakota…
Vos dialogues dissèquent toujours aussi finement les relations amoureuses.
C’est parce qu’il s’agit toujours d’un cinéma des émotions. J’ai ce désir constant de parler de l’amour en termes de ce qui est tangible et de ce qui ne l’est pas, un thème qui me fascine depuis toujours. Si vous pensez à Past Lives, le thème central, c’était le inyun, ce lien invisible entre deux personnes – quelque chose qui n’a ni nom, ni forme matérielle.
De la même manière, dans Materialists, je commence avec des hommes des cavernes et je termine au bureau des mariages de New York. Ce que je trouve fascinant, c’est que dans les registres de mariage, vous voyez seulement deux noms gravés côte à côte. Mais ce que vous ignorez, c’est ce que ces mariages ont vraiment été : peut-être qu’un était merveilleux, un autre abusif, un autre encore a commencé par de l’amour et s’est terminé sans… C’est cette part de mystère et d’intimité qui m’intéresse avant tout. C’est pour ça que le film est une romance et qu’il s’appelle Materialists.
Comment avez-vous choisi vos deux acteurs et votre actrice ? Avez-vous délibérément choisi des « petits amis d’internet », Pedro Pascal et Chris Evans ?
Non ! (rires) Disons que j’écris d’abord les personnages, puis, je pars à la recherche de leur « âme sœur », un peu comme une entremetteuse. Je rencontre beaucoup d’acteurs, simplement pour apprendre à les connaître. Et puis, un jour, dans une de ces rencontres, quand j’ai rencontré Dakota (Johnson), je me suis dit : « Oh, c’est Lucy ! ». J’étais tellement frappée. Je n’ai pas arrêté de la tester pour vérifier qu’elle était bien Lucy, et elle a réussi tous mes tests. Quand elle est partie de notre rendez-vous, j’ai tout de suite envoyé un texto à mon studio, A24, et à mes producteurs : « Je crois que j’ai trouvé notre Lucy. » Et j’ai fait ça pour les personnages masculins aussi.
Ce que j’adore dans votre expression de « petits amis d’internet », c’est qu’en réalité, chacun d’eux – et Dakota aussi, avec 50 Shades – a connu cette expérience d’être traité comme un produit. C’est l’un des thèmes centraux du film. La phrase la plus importante, c’est : « I’m not merchandise, I’m a person ». (« Je ne suis pas une marchandise, je suis une personne. ») Et ils savent ce que ça signifie, intimement.
Et puis, c’est une comédie romantique : on veut voir de belles personnes sur grand écran, non ?
Le film semble aussi explorer la relation à l’argent, au pouvoir et aux apparences. Est-ce une critique du capitalisme émotionnel ?
Oui, absolument. C’est un système très puissant, qui nous pousse tous à nous traiter comme des objets. On nous classe, on nous évalue, comme si on était cotés en bourse. On nous encourage à « investir en nous-mêmes » : faire du botox, aller à la salle de sport… Ça paraît anodin, mais ça finit par ne plus l’être. Parce que l’aboutissement de l’objectification, c’est toujours la déshumanisation. Et la déshumanisation est violente. Une marchandise ne peut pas tomber amoureuse d’une autre marchandise.
Quand deux personnes tombent amoureuses, c’est un de ces moments où l’on se dit : « Mon dieu, un pur miracle. » Et c’est ce qui est si difficile : c’est simple et incontrôlable. L’amour exige qu’on lâche prise, qu’on accepte de s’abandonner, juste pour lui laisser une chance d’exister. On essaie toujours de résoudre le mystère : trouver une équation, un algorithme, une IA. Mais je crois que quiconque est vraiment tombé amoureux sait qu’il n’existe aucun chiffre pour l’expliquer. Aucune IA ne pourra jamais comprendre pourquoi deux personnes se voient et ressentent quelque chose, et pourquoi deux autres non.
Est-ce que vous leur avez demandé de jouer avec l’absence d’alchimie parfois ?
Oui, bien sûr ! Chaque alchimie doit être spécifique. Par exemple, Harry et Lucy ont une excellente alchimie en tant que partenaires professionnels. Si on les voyait dans la série Succession, on les adorerait ensemble !
C’est une forme d’affection, mais pas celle qui fait qu’on se dit : « Je partagerais bien la salle de bain avec toi pour toujours. » Alors que John et Lucy ont une alchimie différente : ils sont comme des enfants ensemble.
Les héroïnes de comédies romantiques ont beaucoup évolué ces dernières années. Quelle héroïne vouliez-vous créer ?
Je voulais quelqu’un d’ambitieux, qui travaille dur, qui veut échapper à la classe sociale dans laquelle elle est née. C’est un sentiment universel : travailler pour que personne ne devine qu’on vient d’un milieu modeste. Mais même si on sait combien Lucy gagne – disons 80 000 dollars par an – à New York, ce n’est pas assez pour vivre comme une riche. Elle doit aussi se présenter comme si elle gagnait plus, pour être crédible face à ses clients. C’est un peu ce que représente le personnage d’Harry. Grâce à lui, elle pourrait accéder à une fortune.
Quelle est votre comédie romantique préférée ?
Oh… Il y en a tellement. Mais je dirais Broadcast News de James L. Brooks avec Holly Hunter.