Lupin, En place, Family Business… Netflix doit ses plus beaux succès français à François Uzan. Ce 23 octobre, le réalisateur fait son retour sur la plateforme avec l’adaptation d’un jeu culte : Loups-Garous. À quelques heures de son lancement, L’Éclaireur s’est entretenu avec le cinéaste pour découvrir les coulisses de ce projet titanesque.
Quelle place avait ce jeu dans votre vie avant la réalisation de ce film ? Étiez-vous un adepte des Loups-Garous ?
Adepte, oui. Mais je ne vais pas mentir : je ne faisais pas des parties tous les week-ends. Je connais ce jeu depuis que je suis jeune et j’y ai beaucoup joué, mais ce qui m’a le plus marqué, c’est le fait que mes nièces en soient absolument fans. Je me suis interrogé sur sa longévité incroyable, mais je ne me serais jamais imaginé l’adapter en film. Ce n’était pas mon idée.
À qui doit-on cette adaptation ?
Un jour, Clément Miserez, qui est mon producteur, a posé la boîte de jeu sur la table et m’a dit : “Et si on faisait un film sur les Loups-Garous ?” On adapte beaucoup de livres et de grandes œuvres, mais très peu de jeux de société. Au début, je ne savais pas vraiment ce qu’on pouvait faire avec celui-ci.
Quand on parle des Loups-Garous, chacun a une idée très précise de cet univers. Les connaisseurs, comme les joueurs occasionnels, ont créé un imaginaire autour de cette œuvre. On avait plein d’idées chouettes quand on a monté le projet, mais il n’y en avait pas 50 qui correspondaient à mon envie, à celle de Clément, et surtout à celle d’Hervé et de Philippe [les créateurs du jeu, ndlr].
Ils avaient une idée très précise de cette adaptation. Non pas en termes de scénario, mais en termes de public. Leur titre s’adresse aux personnes de 8 à 88 ans, et le film devait respecter cette tradition. Ça tombe bien : je viens de cet univers et j’ai grandi avec des comédies comme L’As des as, La Grande Vadrouille, La Folie des grandeurs, Rabbi Jacob, et plus tard les Astérix et Les Visiteurs. J’ai baigné dans ces grands films d’aventure familiaux.
L’autre référence évidente de notre Loups-Garous, c’est Jumanji, car nos héros plongent littéralement dans la partie. Je dois l’avouer : je n’avais pas vu ce film. En revanche, j’ai fait mes devoirs, j’ai visionné l’original et le reboot, et j’ai compris le phénomène. Il y a donc un mécanisme similaire avec notre long-métrage, à la différence que le nôtre se base sur un jeu qui existe vraiment.
Il existe vraiment et il possède une communauté de joueurs très fidèles. L’engouement autour de cette œuvre culte vous a-t-il effrayé au moment de concevoir le film ?
Je voulais absolument respecter cette communauté de joueurs. Adapter les Loups-Garous, c’est un peu comme se lancer dans la création d’un nouveau Batman, Spider-Man ou Star Wars. Le but n’est pas de tout révolutionner. On avait une grande responsabilité et on ne voulait pas faire n’importe quoi.
Notre objectif n’était pas de filmer des personnes qui jouent, mais de faire un film de cinéma comme on l’imaginait. Il y avait donc une forte pression, mais j’ai essayé de m’en détacher, car je voulais vraiment créer le long-métrage que j’avais imaginé, sans être intimidé tout au long de sa création. L’idée était donc de respecter le jeu original et sa communauté, tout en s’émancipant de l’œuvre.
La famille était déjà au centre de votre film On sourit pour la photo. Qu’est-ce que cette dynamique vous permet de raconter en tant que cinéaste ?
Tout. J’aime parler de ce que j’ai expérimenté, mais je n’ai pas traversé le monde, j’ai eu la chance de ne pas vivre d’expériences traumatisantes et, au final, la famille est ce que je connais le mieux. C’est un théâtre formidable dans lequel chacun joue son rôle. Il peut y avoir beaucoup d’amour, mais aussi des affrontements et des non-dits.
C’est un terrain de jeu que j’adore – et le mot “jeu” est important ! Dans On sourit pour la photo, je parlais déjà d’une famille qui joue, mais il s’agissait d’une partie de Time’s Up. Je crois que je pourrais faire 50 films sur les voyages et les jeux en famille. Ça me rappelle beaucoup de bons souvenirs.
Les décors sont impressionnants et nous immergent complètement dans l’univers du jeu. Comment avez-vous conçu et imaginé ce monde ?
J’ai eu la chance de travailler avec des personnes très douées. À l’image, on retrouve Denis Rouden : un chef opérateur de génie, qui est un vrai monstre dans ce domaine. Pavel Ramplé a quant à lui fait un travail exceptionnel sur les décors. Il m’a parlé d’un immense studio près de Prague, qui est l’équivalent de Disneyland pour les cinéastes. Il y a un grand village, qui peut s’adapter à une histoire qui se déroule au Moyen-Âge comme à la Renaissance. Ils ont créé tout cet univers, avec des boutiques de 1497 et même une prison.
Je me suis baladé deux heures dans le studio et, en sortant, j’ai réalisé que 80 % des décors étaient déjà là. Ils ont tout : les rues, les bâtiments, les chevaux, les cochons, les cracheurs de feu, les cascadeurs, les costumes, les maquillages et les accessoires d’époque ! C’est juste extraordinaire. Pavel m’a aussi construit un moulin pour une seule journée de tournage et il est parvenu à insuffler toute cette magie que j’avais dans la tête. C’est un inventeur.
Le film est habité par de nombreuses références cinématographiques comme Jumanji et Les Visiteurs, mais aussi musicales avec, notamment, Daniel Balavoine, Jean Jacques Goldman et Johnny Hallyday. Était-ce un moyen d’intégrer une part d’intime dans une œuvre que tout le monde s’est appropriée ?
Complètement. Premièrement, j’adore quand il y a des musiques dans un film. J’aime beaucoup les comédies musicales, mais aussi les séquences de musique qui s’intègrent parfaitement dans un long-métrage – comme Super Freak qui accompagne de manière très intelligente le défilé à la fin de Little Miss Sunshine.
Pour répondre à votre question, vous avez tout à fait raison : ce choix musical est aussi une façon d’apporter une touche intime. J’adore Balavoine, Berger ou encore Goldman. J’ai une relation particulière avec ce dernier, mais il n’est pas au courant [Rires].
À chaque fois que je fais un film, je lui envoie une lettre en lui demandant de faire la musique. Il répond toujours non, mais il a la gentillesse de répondre. Il a une place particulière dans mon cœur. L’ambition et les moyens déployés pour Loups-Garous se rapprochent des longs-métrages américains, mais l’âme du film est profondément française. Le jeu et les comédiens appartiennent au patrimoine français, et la musique devait s’inscrire dans cette même volonté, avec des artistes francophones cultes comme Johnny, Goldman, Balavoine, et Céline Dion.
On voit effectivement des visages très familiers, dont Franck Dubosc et Jean Reno. Qu’est-ce qui a motivé ce choix de casting ?
Ce n’est pas un choix de casting, j’ai juste espéré qu’ils disent oui [Rires] ! L’un comme l’autre incarne la popularité dans son sens le plus noble. Ils parviennent à réunir les spectateurs et à les faire rire, aux quatre coins de la France. Ils ont créé des personnages et fait des films qui ont, à un moment donné, uni tout le pays. Ça me fascine.
Ils ont une vraie générosité et un réel talent. On ne mène pas ce genre de carrière par hasard. Ce sont des bourreaux de travail et des interprètes de très grande qualité. J’avais donc Nadal, Federer, et il ne me manquait plus que Djokovic. Suzanne Clément apporte quelque chose d’unique, le trio a super bien fonctionné. Ils ont créé une vraie équipe, une famille imbattable.
On y retrouve tous les rôles clés du jeu – mais nous n’en dévoilerons pas plus pour éviter tout spoiler. Quels rôles préférez-vous incarner ?
J’étais un peu le maître du jeu de ce film, mais c’est un rôle que je n’apprécie pas spécialement. Je l’ai récemment incarné dans le cadre d’une partie entre potes et j’ai détesté gérer toute la triche et les joueurs qui ne comprenaient rien. Au final, j’aime être le MJ de mon travail, mais pas celui du jeu. Philippe et Hervé m’ont dit que les enfants sont ceux qui aiment le plus endosser le rôle de loup-garou. C’est d’ailleurs ce que préfère Franck, et ça ne m’étonne pas : il a encore son âme d’enfant.
À l’inverse, je n’aime pas avoir à me défendre et je ne suis pas un formidable menteur. Si je pouvais choisir mon rôle, je prendrais celui de la voyante. J’aime bien l’idée de savoir qui est qui, même si je ne suis pas certain de vouloir lire dans les pensées des autres dans la vraie vie. La petite fille est intéressante, mais ça me fait beaucoup trop peur. Quand on me donne cette carte, je me dis que la partie se fera sans moi : je n’ouvrirai pas les yeux [Rires].
Loups-Garous de Thiercelieux est le jeu plus vendu en France. Ces dernières années, les parties se développent sous différents formats : des vidéos YouTube, des lives Twitch ou plus récemment votre film et un jeu télévisé. Comment expliquez-vous cette fascination ?
Je suis toujours très prudent sur la lecture sociologique de ce jeu. Je ne pense pas que les joueurs aiment son côté sombre ou cette possibilité de tuer les autres. Son succès s’explique plutôt par cette volonté de jouer ensemble, et le confinement y a sûrement participé. Cet enfermement nous a permis de réaliser qu’on avait simplement besoin de se retrouver, que ce soit dans des salles de cinéma, autour de la télévision pour regarder un film en famille ou pour se lancer dans une partie.
Vous nous avez prouvé que vous étiez un réalisateur caméléon et que vous réussissez aussi bien dans la comédie que dans le thriller et le fantastique. Quel serait votre prochain projet de rêve ?
J’essaie de ne pas trop prévoir. Pour être honnête, si on m’avait dit, il y a trois ans, que mon prochain film serait avec des loups-garous, je n’y aurais pas cru. Je vous aurais répondu que j’aime beaucoup le jeu, mais que je ne sais pas comment l’adapter, et que j’espère que ce ne sera pas un film d’horreur parce que je déteste ça.
Comme en navigation, il faut globalement avoir un cap. Le mien est simple : continuer à faire des œuvres aussi divertissantes que possible dans de nombreux domaines, comme j’ai pu le faire avec Lupin, En place, ou encore Family Business. Je veux continuer à m’amuser. Je pense que le jour où j’arriverai blasé sur un plateau de tournage, je me dirai que je dois changer de métier. Je ne veux pas faire le film de plus ou le film de trop.
J’ai donc mon cap global, je navigue en fonction des orages, je vois où les vents me portent. Je suis en train de faire une métaphore autour de la navigation, alors que je n’en fais absolument pas [Rires]… Tout ça pour vous dire que je ne sais pas ce qui m’attend. J’attends déjà de voir l’accueil que recevra Loups-Garous, et je prendrai le temps de réfléchir à la suite. J’ai évidemment des projets, mais je souhaite poursuivre cette quête de diversité.
J’admire les réalisateurs qui font des propositions différentes. La même année, Steven Spielberg a sorti Jurassic Park et La Liste de Schindler. Je ne me compare pas à lui, mais je veux, moi aussi, continuer à entretenir mon âme d’enfant et à me divertir.
En tant que réalisateur du film Loups-Garous, vous êtes sans doute un bon bluffeur. Comment savoir si vous avez dit toute la vérité durant cette interview ?
Vous ne saurez pas [Rires] ! J’ai peut-être menti, mais, si je l’ai fait, c’était pour le bien du film.