Entretien

Les 1001 vies de Vincent Dutrait, star de l’illustration de jeux de société

24 février 2022
Par Erwan Chaffiot
Les 1001 vies de Vincent Dutrait, star de l’illustration de jeux de société
©Vincent Dutrait

Si vous jouez régulièrement à des jeux de société depuis ces 15 dernières années, alors vous avez très certainement croisé ses œuvres. Vincent Dutrait a débuté comme illustrateur pour les livres scolaires. Aujourd’hui, c’est l’un des dessinateurs les plus demandés de l’industrie ludique.

Qu’est-ce qui vous a amené au dessin ?

Je dessine depuis que je suis gamin. C’est surtout la BD qui a entretenu cette passion. J’étais fou de comics book, ce qui exaspérait mon grand-père. Un jour, il m’a donné des sous pour m’acheter des BD plus “adultes”. C’est là que j’ai découvert Enki Bilal, Moebius… J’ai tout absorbé en même temps. Plus tard, j’ai fait mes études à l’école Emile Cohl de Lyon, dans l’idée de devenir auteur de BD. Et puis, finalement, je suis devenu illustrateur.

Vous aviez un héros préféré en BD ?

Sans hésitation, c’était Jeremiah. J’adorais l’ambiance post-apocalyptique de cette histoire. Je les lisais au collège, car ils étaient à la bibliothèque ; ce qui est assez étrange quand j’y pense, parce que c’était assez violent. Moi, ça me fascinait.

Quels ont été vos premiers travaux ?

J’ai commencé par dessiner dans les livres scolaires. Ils changent tous les ans, et il y a toujours besoin de nouvelles illustrations. J’ai fait ça pendant quelques mois, ce qui m’a permis de rencontrer des gens chez Hachette, Larousse, Magnard… Mes dessins ont circulé et j’ai été contacté par le service jeunesse. J’ai enchaîné avec beaucoup de livres jeunesse jusqu’au début des années 2000 où j’ai rencontré les gens d’Asmodée, qui était alors une petite boîte. Ils m’ont engagé pour faire du jeu de rôle et du jeu de société.

©Vincent Dutrait

Et vous n’avez plus fait que du jeu à partir de ce moment ?

Non, c’était partagé avec les livres et les magazines, jusqu’à ce que je déménage en Corée du Sud pendant cinq ans. C’était au début des années 2000 et travailler avec des éditeurs français depuis l’Asie, c’était très compliqué. Du coup, j’ai eu un peu la trouille, parce que le boulot s’évaporait rapidement. J’ai donc essayé de contacter des éditeurs américains, dont Wizard of the Coast. Ils ont été très réceptifs et je me suis retrouvé à faire des illustrations pour Donjons et Dragons et Pathfinder, un autre jeu de rôle d’heroic-fantasy qui venait d’être lancé.

Qu’est-ce qui leur a plu dans votre style ?

J’avais un style européen qui était assez rare à l’époque là-bas. Nous étions également en pleine transition avec l’illustration en numérique et tout le monde s’était jeté dessus. Du coup, les illustrateurs “à l’ancienne” se faisaient rares et ils étaient très chers. Avec moi, ils avaient un dessinateur abordable qui avait un style original et qui travaillait traditionnellement. Du coup, on m’a beaucoup demandé de faire des illustrations iconiques pour Donjons et Dragons, afin qu’elles soient imprégnées d’un certain classicisme.

Est-ce que vous étiez adepte des jeux de rôle ?

©Vincent Dutrait

Je n’ai jamais vraiment été joueur, mais ça ne m’empêchait pas d’acheter pas mal de livres uniquement pour les lire. J’adorais l’univers de Shadowrun par exemple.

Et comment avez-vous commencé à travailler pour les jeux de société ?

C’est un concours de circonstances. Je suis revenu en France et Asmodée m’a embauché de nouveau, mais pour du jeu de société. Ils étaient très bien distribués et du coup j’ai été contacté par d’autres éditeurs. Aujourd’hui, je ne fais que ça.

Quelle est la spécificité de l’illustration pour le jeu de société ?

À l’inverse du livre, on travaille sur des formats très différents : il y a l’illustration de la boîte, des pions, des cartes, parfois les figurines… Pour un dessinateur, c’est un excellent bac à sable. On peut aborder les sujets de manière très libre et il y a un côté “fabrication” qui est très agréable.

©Vincent Dutrait

Est-ce que les éditeurs ne vous enferment pas dans un style ?

Ça dépend de ce qu’on appelle “style”. Je travaille sur des environnements très différents, comme l’ancienne Égypte, les pirates, le polar… Par contre, on a tendance à me demander souvent des travaux historiquement très documentés et je fais très attention à ne pas m’enfermer dans ce genre d’illustrations. J’ai fait en sorte de toucher à tout.

Comment expliquez-vous ce nouvel âge d’or du jeu de société ?

Je crois qu’il y a eu tout un public qui a suivi le même parcours que le mien : on a fait beaucoup de jeux de société quand on était gamin, puis on a basculé vers le jeu vidéo et, finalement, on a redécouvert les jeux de société. Il y a aussi le fait que, contrairement à il y a quelques années, les gens sont devenus multiloisirs.

Le jeu de société a pour lui son bas coût, car même un jeu cher peut durer toute la vie. L’offre est également devenue pléthorique, ce qui donne un élan à l’industrie. Aujourd’hui, tout le monde peut trouver un jeu qui lui plaît, ce qui n’était pas le cas auparavant. Pour preuve, un jeu exclusivement solo a rapporté, il y a peu, près de 2 millions de dollars sur un site de financement participatif.

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