Entretien

Philippe Pinoli : “Au Monopoly, investir au bon moment est une clé du succès”

15 janvier 2022
Par Alexandre Manceau
Le triple champion de France (en haut) lors de la finale en 2016.
Le triple champion de France (en haut) lors de la finale en 2016. ©Philippe Pinoli

Le triple champion de France du célèbre jeu d’Hasbro nous dévoile les astuces et règles à connaître pour s’assurer la victoire.

Les années passent et, malgré l’essor des jeux vidéo et des nouvelles technologies, les jeux de société continuent d’attirer. Parmi les cadors du domaine, impossible de ne pas évoquer l’éternel Monopoly, qui reste le jeu le plus vendu au monde. Acquérir des propriétés, payer un loyer, aller en prison… On pense tout savoir du Monopoly (dont l’origine est étonnante), mais le triple champion de France (2015, 2016, 2017) Philippe Pinoli est là pour nous dévoiler certains de ses secrets.

Une partie de Monopoly a-t-elle toujours la même saveur quand on est triple champion de France ?

J’ai redécouvert ce jeu il y a sept ans. Comme tout le monde, j’avais arrêté d’y jouer depuis des années. Dans la vie, je suis un compétiteur et c’est un aspect des jeux de société qui me plaît beaucoup. Au Monopoly, il y a de la tension, des cris de victoire, du suspense. Quand je joue, il m’arrive encore de découvrir de nouvelles configurations et de nouvelles manières de dealer. Je continue d’apprendre et je pense que l’on peut toujours progresser. 

Dans l’optique des compétitions, vous entraînez-vous comme les sportifs, en pratiquant encore et encore ?

En fin de compte, le Monopoly est un jeu assez simple une fois que l’on maîtrise les règles. Il faut beaucoup pratiquer : il y a tellement de configurations différentes et possibles dans une seule partie ! Jouer avec les meilleurs est également recommandé : ça ne garantit pas la victoire, mais ça nous pousse à faire de notre mieux. À titre personnel, j’ai suffisamment de défis dans l’année pour jouer une bonne dizaine de parties au total. Lors d’un championnat, la première journée de qualification me sert de mise en bouche, je joue quatre, cinq parties et puis tout est bien en place.

Comment expliquez-vous le succès de ce jeu depuis plus de 80 ans ? 

À la base, le Monopoly est déjà un bon jeu qui, en ayant touché quatre à cinq générations, est devenu par son positionnement familial un incontournable dans l’éducation des jeunes. Je pense qu’on a tous joué aux dames, aux échecs, au jeu de l’oie et, à un moment, dans toutes les familles ou presque, il y a toujours un jeu de Monopoly. En parallèle, c’est au moment où l’on découvre ce jeu que l’on commence à savoir lire, compter ou que l’on joue à la marchande. En fait, ce titre a une pertinence à partir d’un certain âge. 

Une stratégie peut-elle être élaborée au Monopoly, avant même que la partie ne commence ?

Pas vraiment. Au Monopoly, les dés dirigent le jeu dès les premières secondes. Ce qui est clair, c’est que l’on ne peut pas gagner sans monopoles. Aux Championnats du monde, je me suis déjà qualifié en étant le seul à avoir un monopole faible, mais il est quand même recommandé de posséder des monopoles et de connaître leur puissance. Si l’on ne peut pas avoir les plus forts, il faut au moins réussir à faire payer cher ceux que l’on possède. Ensuite, il y a des timings ou des moments clés où il faut tout mettre sur la table : savoir investir au bon moment est une clé du succès. En résumé, il n’y a pas de stratégie particulière que l’on peut appliquer à chaque fois, il faut gagner avec les cartes qu’on a, il faut avoir une bonne vision et savoir saisir les opportunités.

Philippe Pinoli (à gauche) lors de la finale des Championnats de France en 2020.©Philippe Pinoli

On dit aussi que certaines techniques, comme acquérir les propriétés d’une couleur plutôt qu’une autre ou hypothéquer la moindre possession, sont les plus efficaces pour remporter la partie…

C’est une réalité et tout le monde doit le savoir : les propriétés orange sont les plus fortes et il faut les faire payer au juste prix. En duel final, si l’on a les orange, l’adversaire les rouge et que tout le monde a des hôtels, c’est du 50-50. Ce n’est pas une règle absolue, il m’est arrivé d’être éliminé en ayant les orange, mais, ce qui est certain, c’est qu’ils possèdent le meilleur positionnement et le meilleur ratio. Même avec deux maisons, les propriétés orange peuvent vite faire boule de neige et se révéler dangereuses.

Il y a des débats au sujet du Uno, par exemple sur les cartes +2 et +4, et il faut souvent des communiqués officiels pour avoir les vraies règles. Est-ce qu’il existe encore des règles mal comprises au Monopoly ?

La plupart du temps, il arrive qu’une seule personne lise les règles et, lorsqu’elle explique, pour peu qu’elle ait mal lu, cela peut vite se transformer en téléphone arabe. En plus, les règles ne sont pas toujours très explicites. Ajoutons à cela les “règles maison” et l’on obtient tout un tas de fausses croyances qui perdurent depuis des années. Par exemple, il n’y a pas de Parc Gratuit, on ne touche pas le double en passant la case départ, on peut acheter au premier tour, on peut dealer quand on veut et on peut construire quand ce n’est pas notre tour. Tout ça est écrit noir sur blanc, et le reste n’est que pure invention.

Malgré sa longévité et les dizaines d’éditions existantes, la formulation des règles serait donc un problème ?

Écrire des règles est un véritable métier ; il faut savoir mettre les bons mots dans le bon ordre et, dans le même sens, savoir les lire et les expliquer n’est pas donné à tout le monde. Il existe par exemple une règle qui n’est pas très claire : “Ne touchez pas les loyers quand vous allez en prison”. Ce n’est pas vraiment écrit, mais ça dit que, quand vous tombez sur la case “Allez en prison”, vous ne passez pas par la case départ. Mais ça n’a jamais voulu dire que l’on ne touchait pas ses loyers lorsqu’on était en prison. Pourtant, j’ai appris à jouer comme ça avec mes parents. Dans le même style, il n’y a qu’une seule banque et on ne met pas d’argent au milieu du jeu (le Parc Gratuit). On n’enterre pas de l’argent dans un parc…

Le poker demande certains talents, notamment de bluff, tandis que d’autres jeux de société demandent de la rapidité ou de la logique. Qu’en est-il du Monopoly ?

Trois compétences sont particulièrement importantes : la vision du jeu, la connaissance des règles et des talents de négociateur. Concernant ce dernier point, il faut savoir qu’il y a différentes personnalités. Personnellement, on me dit que j’ai tendance à être directif, voire agressif. C’est peut-être mon caractère… Mais il y a de très bons joueurs qui ont d’autres techniques de négociation. Par exemple, le champion japonais, que je n’ai jamais réussi à battre, ne fait pas de proposition. Il demande tout simplement à son adversaire ce qu’il veut, ce qui pousse ce dernier à prendre le risque de formuler lui-même sa demande. Récupérer des monopoles demande de grands talents de négociateur, mais il en va de même lorsqu’il s’agit de les garder.

Le Monopoly ne cesse d’évoluer, notamment grâce à de nouvelles éditions comme Faux Billets ou Édition Tricheurs. Sont-elles purement commerciales ou apportent-elles vraiment de nouvelles options de jeu ?

Lors des compétitions, on joue en mode tournoi avec trois dés, ce qui permet de faire des parties d’une heure, et donc plusieurs dans la journée. Toutes les éditions qui respectent les règles sont acceptées. Par exemple, j’ai un Monopoly Star Wars qui respecte pratiquement les règles de base, mais avec une ou deux exceptions qui font que c’est difficile de jouer une compétition avec. Ces nouvelles éditions font partie de la technique d’Hasbro pour continuer de vendre le jeu chaque année, même s’il s’agit, pour rappel, du jeu de société le plus vendu au monde. La firme arrive à se renouveler à travers des franchises (Star Wars, Fortnite) et ça ne m’étonnerait pas qu’il y ait un jour un Monopoly Squid Game. Je teste ces nouvelles éditions mais, par exemple, je me vois mal faire un jour un Championnat de France Édition Tricheurs.

Vous avez réussi à organiser des Championnats de France ces dernières années malgré le Covid-19, mais qu’en sera-t-il en 2022 ? 

Malheureusement, je ne pense pas qu’il y aura de Championnat du monde cette année, la compétition ayant déjà été reportée deux fois à cause du Covid. Hasbro préfère organiser ce genre de compétitions lors des années anniversaires, donc ça devrait être plutôt pour les 90 ans, en 2025. J’organise les Championnats de France tous les ans, en général à la période de la Toussaint. J’essaye de m’y tenir et j’ai réussi à les organiser ces deux dernières années malgré le contexte sanitaire. Mais, récemment, j’ai été contacté par des Espagnols pour organiser un Championnat d’Europe, donc il y a peut-être moyen que cet événement ait lieu cet été sur la Côte d’Azur. Il devrait y avoir du beau monde venu d’Espagne, d’Italie, de Suisse ou encore de Belgique.

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Alexandre Manceau
Alexandre Manceau
Journaliste
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