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Dans la tête d’un créateur de jeu de société

14 novembre 2021
Par Ugo Bocchi
“7 Wonders” est l’un des jeux de société les plus connus de Bruno Cathala.
“7 Wonders” est l’un des jeux de société les plus connus de Bruno Cathala. ©Marcin Wichary/Creative Commons

Comment devient-on auteur ? D’où vient l’inspiration ? À qui faire tester ses jeux de société ? Réponses en immersion avec Bruno Cathala, créateur de plus de 80 jeux de société.

Auteur de jeu de société n’est pas un métier, c’est une passion. Et Bruno Cathala le confirme : « C’est ma vie, c’est ce que je suis. Depuis mon premier jeu, c’est comme ça. Ça occupe 100 % de ma tête, ce qui n’est pas simple pour mon entourage. » Des idées de jeux, il en a tout le temps. Ça tourne parfois à l’obsession. Il y pense quand il fait du vélo, quand il conduit, quand il s’ennuie dans un repas de famille (sic), quand il prend une douche… « C’est ma passion. Mais c’est aussi ma malédiction », ajoute-t-il.

Sans foi ni loi, engrenages et cumul d’emplois

Pour lui, tout commence dans les années 1980, autour de sa vingtaine. En lisant la revue Jeux et Stratégie, il met un pied dans l’univers des jeux de société : « J’ai toujours été un joueur, mais à ce moment-là, j’ai découvert qu’il y avait une vie après le Monopoly. J’ai surtout découvert qu’il existait des auteurs, que c’était un vrai métier. Et je me suis juré qu’un jour je ferai un concours et que je serai publié. » Chose promise, chose due. En 1999, il enchaîne les galères familiales et physiques – un divorce et un genou cassé –, mais c’est souvent dans ces moments-là que l’on rebondit. Alors Bruno Cathala se lance et crée Sans Foi ni Loi, son premier jeu. « Ma chance, c’est qu’il a été publié deux ans plus tard. Je savais que je voulais faire un jeu dans l’univers Far West. Et c’est la thématique qui m’a apporté la mécanique. »

Résultat ? Il continue, forcément. « Une fois qu’on met le doigt dans l’engrenage… » Dans un premier temps, Bruno cumule vie de famille, travail et passion. Mais un autre coup du sort change la donne : il est licencié en 2004. « Je travaillais dans un domaine très pointu, donc il aurait fallu que je déménage assez loin pour retrouver du travail. Étant père divorcé, ce n’était pas ce que je voulais. Alors, j’ai décidé d’essayer de faire de mon passe-temps un métier et de rester à proximité de mes enfants. » L’avenir lui donne raison, mais ce n’est pas toujours facile financièrement. Pour un jeu vendu 30 euros dans le commerce, l’auteur gagne entre 30 et 50 centimes net. « Je me suis assez vite positionné pour gagner de l’argent autrement, en réalisant notamment d’autres prestations autour du jeu de société. De l’animation en boutique ou en entreprise, par exemple. C’est aussi inspirant. »

Inspiration, projection, prototype et phase de tests

L’inspiration, justement. D’où vient-elle ? « Je n’ai pas de méthode pour m’inspirer, je ne suis jamais en train de chercher une idée. Elles viennent à moi. Et puis, je pars du principe que si une idée est suffisamment forte, elle va rester. Alors, je ne note rien. Par contre, si elle est faible, elle disparaît toute seule. » Une sorte de sélection naturelle. Car des idées, il en a tout le temps. Alors il vaut mieux laisser le temps faire le tri. « Je ne m’assois jamais à mon bureau le matin en me disant qu’il faut que j’invente un nouveau jeu. Ça ne marche pas avec moi. » Ensuite, pendant longtemps, Bruno Cathala ne fait rien. Rien du tout. « J’essaie de projeter mentalement le jeu. Tant que je n’ai pas de projection qui me plaît, je ne fais pas de matériel. Parce que je suis un gros fainéant et je n’aime pas travailler pour rien. »

Et s’il s’assoit à son bureau, c’est que son idée est suffisamment solide dans sa tête. Autrement dit : il peut commencer à fabriquer les éléments qui lui permettront de valider son inspiration. C’est l’heure du prototype. « C’est un moment que j’apprécie particulièrement. Je commence à le tester avec des gens que je connais, d’autres que je ne connais pas, de gros et moins gros joueurs. Et, en participant au test, je peux ainsi observer. Ça me permet d’amener le jeu là où je le veux. » Règle fondamentale : ne surtout pas faire de tests avec la famille. « Par principe, ils vous trouvent formidable, donc ce n’est pas ce dont j’ai besoin à ce moment-là. »

La recette d’un bon jeu de société

Entre l’idée et le jeu disponible en boutique, il se passe environ deux ans et demi. C’est en tout cas la moyenne pour Bruno Cathala. « Il faut développer le jeu, ce qui dure plusieurs mois. Il faut trouver un éditeur : plusieurs mois aussi. Il doit ensuite l’intégrer dans son programme de fabrication, il faut lancer les chaînes de production, acheminer en boutique… Donc c’est assez long. Un jeu qui sort aujourd’hui avec mon nom en boutique a été imaginé il y a plus ou moins deux ans. » Et puis, il y a les phases de doute, également chronophages. « Créer, c’est douter. Et le doute est permanent. Si vous n’avez pas de doute, c’est que vous faites n’importe quoi. »

7 wonders, Kingdomino, Cyclades, Imaginarium, Trek 12… En tout, Bruno Cathala a plus de 80 jeux de société à son actif, seul ou en collaboration. Alors, c’est quoi la recette d’un bon jeu ? « Je ne me demande jamais vraiment comment les gens vont le recevoir. Je fais le jeu auquel j’ai envie de jouer. Pour moi, c’est ça le travail d’un auteur. C’est quelqu’un qui trace un chemin et qui essaie d’emmener les autres derrière lui. Ce n’est pas quelqu’un qui essaie de savoir où est l’air du temps. » En d’autres termes, se faire plaisir et espérer faire plaisir.

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Article rédigé par
Ugo Bocchi
Ugo Bocchi
Journaliste
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