Entretien

“Lara Croft a évolué aussi vite que les normes féministes” : un fan français réagit à la série animée sur Netflix

09 octobre 2024
Par Thomas Ducres
“Tomb Raider : The Legend of Lara Croft”, le 10 octobre sur Netflix.
“Tomb Raider : The Legend of Lara Croft”, le 10 octobre sur Netflix. ©Netflix

Le saviez-vous ? Lara Croft fêtera ses 30 ans en 2026. D’abord star pixelisée sur PlayStation puis héroïne de cinéma avec Angelina Jolie, elle s’offre aujourd’hui un pré-anniversaire avec sa première série animée sur Netflix. Comment le personnage a-t-il évolué depuis ses débuts, et comment est-il passé du cliché bimbo à celui d’aventurière post MeToo ? On a posé la question au représentant de Tomb Raider France, l’un des principaux fansites dédiés à cette version féminine d’Indiana Jones.

Dix-huit ans après sa première apparition sur console, Lara Croft est de retour. Encore. Depuis sa première incursion sur les écrans en 1996, peu de temps après Internet, le personnage développé à l’époque par Core Design n’a depuis cessé d’être décliné en films, jeux, BD et même en skin sur Fortnite. Cette fois, grande première : celle que le grand public a découvert grâce à Angelina Jolie avec le long-métrage de 2001 débarque sur Netflix avec une série animée en huit épisodes écrits par Tasha Huo, déjà repérée sur The Witcher.

Plus aventurière moderne que plante verte à décolleté, cette Lara Croft cuvée 2024 fait évidemment du bien au féminisme, loin des clichés des débuts. Et si la production de Netflix semble surtout s’adresser à celles et ceux qui n’étaient pas nés à l’époque de sa naissance, Tomb Raider : la légende de Lara Croft s’inscrit comme une suite à la trilogie « Survivor » conclue en 2018 avec le jeu Shadow of the Tomb Raider.

Moins aboutie que la récente adaptation animée de Terminator, la série confirme encore une fois le succès des jeux vidéo déclinés en épisodes à mater en streaming. On pense évidemment à Castlevania ou Resident Evil, et cela en dit beaucoup sur la nostalgite aigüe qui semble avoir contaminé tous les binge-watchers.

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Pour décrypter le phénomène et mieux comprendre l’impact socioculturel de l’héroïne 90’s aux bodys militaires, la parole à Luka « Eclypsis », administrateur du site Tomb Raider France, actif depuis une quinzaine d’années et mine d’informations pour tous les fans.

Pourquoi Lara Croft est-elle si importante dans la pop culture ?

Ce qu’il y a de particulier avec le personnage de Lara Croft, c’est qu’il suscite un fort affect de la part des fans, contrairement à d’autres franchises exploitant des jeux vidéo. Prenons l’exemple de FIFA : c’est une mécanique associée au foot en général, il n’y a pas de personnage qui tire les ventes particulièrement. Dans le cas de Tomb Raider, il y a cette personnalité et une attirance pour Lara Croft, qui a fait beaucoup pour le succès du jeu.            

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Personnellement, je l’ai découverte après sa naissance en 1996 – j’avais 2 ans à l’époque – et c’est arrivé paradoxalement par le cinéma avec le film de 2001. Et ça, c’est un fait intéressant : très rapidement, Lara Croft a dépassé son média d’origine. Tomb Raider en tant que jeu, c’est une révolution dès sa sortie grâce à ses mécaniques cinématographiques, notamment avec l’utilisation de la 3D. Mais, au-delà de ça, il y a l’icône Lara Croft elle-même.

Le fait qu’Angelina Jolie soit devenue Lara Croft dans le film de 2001 a-t-il contribué à populariser le personnage ?

À mon avis, non. Sa médiatisation était déjà très forte bien avant. Le film de Simon West est arrivé comme l’aboutissement d’une campagne marketing très agressive dès les années 1990. Angelina Jolie en a été l’incarnation évidente pour le grand public qui n’était pas adepte du jeu vidéo, mais je ne suis pas certain qu’elle soit à l’origine de cette affection qui dure pour le personnage.

Et finalement, c’est peut-être même l’inverse : Tomb Raider a beaucoup contribué à la popularité d’Angelina Jolie. Même pour sa vie personnelle d’ailleurs, puisque c’est sur le tournage de Lara Croft: Tomb Raider qu’elle a commencé à développer cet intérêt pour les causes humanitaires.

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L’adaptation de Netflix marque-t-elle vraiment le premier dessin animé consacré à Lara Croft ?

Certainement. Il y a eu une série animée en 2007, Re\Visoned: Tomb Raider, pensée comme une anthologie de courts-métrages réalisés sur la plateforme gaming GameTap ; un peu à la manière de Disney récemment avec la série Star Wars: Visions. Donc ce n’était pas une série à proprement parler. En ce sens, Tomb Raider : la légende de Lara Croft de Netflix est donc bien la première du genre, avec une logique d’épisodes – huit en tout.

Quel est l’accueil de la communauté Lara Croft concernant cette nouvelle série ?

Impossible de faire de généralités sur cette question. Il y a différents groupes dans le fandom de Tomb Raider, et c’est encore une fois comparable à l’univers Star Wars avec les fans de la prélogie, ceux de la trilogie originale, et ceux – bien plus rares – de la dernière trilogie. Ici, c’est pareil : il y a les adeptes qui ont découvert la version old school de Lara Croft à l’époque de Core Design, et les nouveaux arrivés à l’ère Crystal Dynamics à partir de 2006, avec un personnage plus travaillé et plus moderne.

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Aujourd’hui, l’objectif de Crystal Dynamics semble être de contenter un peu tout le monde. C’est pour cela que la série Netflix ambitionne d’être un trait d’union entre la Lara Croft de la dernière trilogie terminée avec Shadow en 2018 et celle des classiques de 1996.      

Dans le fandom, certains sont très heureux de retrouver le personnage originel, et les autres attendent ce show avec un fusil sur l’épaule ; parce qu’on leur promet ce fameux “retour aux sources” depuis 2006 [date de la sortie du jeu Tomb Raider: Legend, ndlr].

Outre la série Netflix, Prime Video semble avoir d’autres projets dans les tiroirs.

Effectivement, on parle d’un projet de film et d’un live action, mais aussi de la production du prochain jeu vidéo, Tomb Raider 12, par Amazon, ce qui est une grande première pour eux sur un jeu « triple A » [expression pour qualifier les jeux aux budgets de développement et promotion les plus élevés, ndlr].

« La Lara Croft de 2024 ne ressemble plus du tout à celle de 1996 »

Luka
Administrateur du site Tomb Raider France

Comment ces multiples retours de Lara Croft sont-ils perçus ? Consécration ultime de son statut pop ou exploitation commerciale avec des déclinaisons sans fin comme avec la franchise Batman ?

Le constat est avant tout industriel : la tendance actuelle consiste à ressortir de la tombe de vieilles licences pour les transformer en super franchises capables de brasser simultanément le fandom historique et le grand public.

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Il s’agit du même principe utilisé pour les reboots de Star Wars, Terminator ou Batman, et cela s’applique aussi aux adaptations de jeux vidéo en série ; je pense notamment au carton commercial de The Last of Us sur HBO. Et puis il y a l’envie évidente des nouvelles plateformes de divertissement d’exploiter le monde du gaming. C’est comme si l’on redécouvrait subitement l’énorme manne narrative des jeux vidéo.

Vous évoquez le concept de tombe. Il se trouve que le pitch de l’anime de Netflix vise à revenir aux origines archéologiques du personnage de Lara Croft…

Oui, son côté globe-trotter et ancré dans le réel. La showrunneuse Tasha Huo a pas mal communiqué sur le fait qu’elle est diplômée en histoire, et que cela l’a beaucoup aidée pour la création de la série. Le fan, par définition, ne sait pas ce qu’il veut avant de l’avoir vu et craint la nouveauté.

Il y a donc un risque de fétichisation du retour aux sources évoqué précédemment. Cela peut autant vouloir dire une série qui se passe dans des tombes avec un scénario d’horreur, qu’une version d’Indiana Jones ou encore une critique sociale du monde de l’archéologie… Sur cette base-là, on peut s’attendre à tout et n’importe quoi.

Une Indiana Jones féminine, c’est aussi ce qui vient en tête quand on pense à Lara Croft. Son statut a-t-il évolué à travers les décennies ? On se souvient forcément du côté ultrasexualisé du personnage à ses débuts…

Indiscutablement. La Lara Croft de 2024 ne ressemble plus du tout à celle de 1996. La complexité tient historiquement au fait que l’équipe de développement initiale (Core Design) s’est fait déposséder du personnage par les équipes marketing (Eidos) qui souhaitaient aller dans une direction complètement opposée. Le côté sexualisé, bimbo et girl power de Lara Croft, c’est eux.

©Netflix

Les fans du jeu, eux, ne se retrouvent majoritairement pas dans cette version clichée. Mais, au-delà de ça, le traitement de Lara Croft a évolué à la même vitesse que les normes féministes, et les développeurs sont logiquement amenés à questionner leur conception du personnage, avec une image plus respectueuse, plus réfléchie. Et puis, d’un point de vue marketing, les arguments sexistes ne sont pas très vendeurs actuellement !

Y a-t-il un clan “anti-wokiste” chez les fans de Tomb Raider, avec des commentaires opposés au progressisme comme on a pu le voir pour la série Les Anneaux de pouvoir  ?

Beaucoup ! Il y a autant de fans de l’époque Core Design ou Crystal Dynamics que de fans qui estiment que l’image de Lara Croft est détruite aujourd’hui par sa “désexualisation”. L’une des dernières aberrations sur cette question, ce sont des analyses du trailer de Netflix avec des commentaires sur la mâchoire trop carrée du personnage jugé trop masculin, et que ce serait la conséquence de politiques “woke”. Là encore, je ne vois pas comment on peut être contre le fait d’inclure des diversités en 2024.

En attendant une Lara Croft à la peau noire comme dans la récente adaptation de La Petite Sirène par Disney, que peut-on souhaiter pour ses 30 ans prévus en 2026 ?

À titre personnel, je n’attends que des propositions originales de la part des développeurs, avec l’espoir qu’ils soient assez libres artistiquement et financièrement pour créer quelque chose de neuf. Retrouver la Lara Croft dans différents pays avec ses deux flingues, je m’en fiche un peu. Nous sommes nombreux à espérer que Tomb Raider arrête de vouloir suivre les tendances, et que la licence recommence à l’inverse à explorer des chemins inédits.

Tomb Raider : la légende Lara Croft, sur Netflix dès le 10 octobre.

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