Elle fait partie du palmarès 2024 du prix Joséphine, célébrant la diversité de la scène musicale française. À 22 ans, la Franco-Américaine Crystal Murray a dévoilé, en mai, son premier album, Sad Lovers and Giants. Après des débuts soul, l’artiste mélange désormais les styles et brouille les frontières, s’autorisant tout pour mieux s’affirmer. Entretien.
Vous faites partie du palmarès du prix Joséphine 2024. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?
Je suis très heureuse, parce que je ne m’y attendais pas. Ça m’a mis un coup de boost. J’aime vraiment les autres artistes figurant au palmarès du prix Joséphine, je les écoute beaucoup. On représente une scène musicale française variée, où personne ne rentre dans une catégorie précise. Tout le monde a un style assez hybride.
Vous avez grandi dans un environnement familial musical, avec un père jazzman, David Murray. À quel âge la musique a-t-elle pris une place plus grande dans votre vie ?
Grâce à cet univers familial, justement, il a toujours été assez naturel pour moi d’écrire, de créer, de danser. J’ai toujours eu de l’amour et une connexion avec l’art. Cependant, j’ai mis du temps à comprendre que c’était ma voie. J’ai écrit ma première chanson à 13 ou 14 ans et j’ai commencé à sérieusement faire de la musique quand j’avais 16 ans. Puis, je me suis retrouvée dans un studio et, là, je me suis rendu compte que c’était ce que j’aimais plus que tout.
Quelles étaient vos icônes musicales quand vous étiez adolescente ?
C’est très lié à ma génération et au fait que je sois nord-américaine. Naturellement, des artistes comme Rihanna, Beyoncé, les pop-stars de ma génération… Quand j’étais jeune, c’était LEUR moment. Du côté de mon père, c’était du John Coltrane, Minnie Riperton, Macy Gray, Betty Davis… Ces femmes m’ont obsédée avec leur énergie scénique.
« Cet album est une première étape pour me rapprocher de ma sonorité finale. »
Crystal Murray
Après deux EP, vous avez sorti votre premier album en mai. Vous êtes passée de la soul et du groove à la pop, l’hyperpop pour aller jusqu’au R’n’B. Les 11 titres sont hybrides et vous n’aimez pas vous définir. Cependant, avez-vous le sentiment de vous être trouvée musicalement en brouillant les frontières ?
Je crois que ma génération entre difficilement dans des cases. Nous sommes nés dans un monde beaucoup trop hybride avec beaucoup de références et donc, on n’a pas envie de ne pas se définir. Je fais les choses comme je les sens, parce que je crois en l’art, en la musique et en la personne qui le délivre. Ma musique vient du gospel, de la soul, de mon identité afro-américaine. J’ai commencé en étant chanteuse de soul, parce que c’est dans mon âme. Pourtant, je n’écoute pas de soul ou de jazz. Musicalement, je n’ai peut-être pas encore exactement trouvé où je voulais me placer, mais cet album est une première étape pour me rapprocher de ma sonorité finale.
C’est un album post-rupture dont chaque morceau évoque des émotions et états d’esprit très différents. Comment l’avez-vous imaginé ?
Je l’ai vraiment pensé comme un conte pour adulte. Je trouve ça drôle qu’on ne nous apprenne pas à ressentir plusieurs émotions en même temps, alors que, quand on devient adulte, on vit cela constamment : quand on est amoureux, qu’on est dans une relation toxique, qu’on a un travail qu’on n’aime pas… J’ai commencé à ressentir la dualité des émotions en devenant adulte. Écrire dessus m’a permis de comprendre que je n’étais pas folle.
Vous avez lancé votre tournée au festival We Love Green et la reprendrez mi-août au Cabaret Vert, avant de jouer à la Gaîté Lyrique, cet automne. Quel est votre rapport au live ?
C’est là où tout prend du sens. Je suis une personne stressée et pourtant, la première fois que je suis montée sur scène, il n’y avait aucune pression. Ce qu’il s’y passe est assez magique, surtout quand je trouve des musiciens avec qui je suis très à l’aise. Cette configuration permet de rendre le live encore plus amusant que l’album. Car un album se travaille pendant deux ans, donc quand on le joue sur scène, on est déjà dans une autre phase. Là, j’ai déjà envie de changer des sonorités.
Vous êtes Franco-Américaine et partagez donc deux cultures. Qu’aimez-vous dans la culture américaine ?
Je ne l’aime pas et je ne suis pas du tout dans la culture américaine… Je suis Afro-Américaine ! J’ai donc un amour fort pour cette culture-là. Quand on parle de cette culture, on parle forcément de musique : de blues, de gospel, de jazz… Ce sont les racines de la musique, mes racines.
Vous avez récemment quitté Paris pour vous installer à Londres. Qu’aimez-vous là-bas ?
Je ne voulais pas aller aux États-Unis, parce que je n’aime pas tellement ce pays, et je ne voulais vraiment plus rester à Paris. C’est ma ville, mais c’est très fermé. Quand on parle de Londres, on parle de culture sound system, des Jamaïcains qui ont immigré là-bas et qui ont créé une essence musicale. À côté d’eux, il y a les Britanniques, les meilleurs punks. Si tu lies les deux, c’est exceptionnel. À Londres, on ne questionne pas mon identité, parce que c’est une ville tellement métissée.
Avant d’être musicienne, vous vous êtes fait connaître en 2016, quand vous étiez adolescente, et faisiez partie du Gucci Gang. Avec vos trois amies, vous aviez acquis le statut de it-girls. À 22 ans, quel est votre rapport à la mode ?
Pour moi, la musique et la mode marchent ensemble. Elle extériorise ce que je suis. La manière dont je m’habille me donne confiance. Je dirais que j’ai mon propre style, mais je ne me sens pas “modeuse”.
Avez-vous des recommandations culturelles à nous partager ?
Le film Lady Snowblood (1973) de Toshiya Fujita, qui a été très important dans la création de mon album. L’actrice Meiko Kaji a un peu révolutionné le cinéma japonais, parce qu’elle était l’une des premières femmes combattantes à l’écran. Ce long-métrage a d’ailleurs inspiré Kill Bill (2003). Enfin, côté musique, je dois forcément citer la chanson The Narcissist de Dean Blunt.
Sad Lovers and Giants, de Crystal Murray, finaliste du prix Joséphine 2024 et en tournée en France. Billetterie par ici.