Critique

Le Barman du Ritz : Philippe Collin on the rocks

03 juin 2024
Par Léonard Desbrières
Couverture du livre “Le Barman du Ritz” de Philippe Collin.
Couverture du livre “Le Barman du Ritz” de Philippe Collin. ©Albin Michel

Pour son premier roman, l’historien et homme de radio Philippe Collin raconte l’histoire vraie de Frank Meier, barman du Ritz, juif et résistant qui, chaque jour, derrière son comptoir, risquait sa vie pendant l’Occupation.

Le roman, ce grand saut dans le vide, comme un difficile chemin de croix. Qu’il est dur de se jeter à l’eau pour la première fois ! Philippe Collin a mis sept ans à venir au bout de son livre. Entre-temps, il a vécu mille vies, fait tout ce qui se rapporte de près ou de loin à l’écriture pour retarder la grande aventure qu’est l’entrée dans la fiction.

Homme de radio, il fut pendant 20 ans l’une des grandes voix de France Inter, d’abord aux côtés de Gérard Lefort dans À toute allure (1999-2001) et Frédéric Bonnaud dans Charivari (2004-2006), puis seul aux manettes d’émissions devenues cultes, comme Panique au Mangin Palace (2005-2010), Si l’Amérique m’était contée (2013-2015) et L’Œil du tigre (2015-2021).

La guerre au cœur

Depuis quelque temps, il a épousé à merveille la forme du podcast en devenant le producteur et le narrateur habité d’une série de programmes estivaux passionnants, en plusieurs épisodes, qui retracent les pas des grands de ce monde, de Molière à Cléopâtre, en passant par Napoléon.

Mais l’historien de formation a un sujet de prédilection : la Seconde Guerre mondiale et ses répercussions en France, les années d’Occupation, l’affrontement entre résistance et collaboration et le vertige de la Libération. Un diplôme universitaire consacré à l’épuration des collaborateurs, un essai intitulé Le Fantôme de Maréchal Pétain (2011) et même une bande dessinée – Le Voyage de Marcel Grob, qui raconte le destin tragique d’un jeune Alsacien, inspiré de son grand-père, enrôlé de force dans la Waffen-SS : son œuvre littéraire tourne tout entière autour de ces heures sombres de l’histoire de France. Il y a alors aujourd’hui comme une évidence à voir son premier roman nous plonger à nouveau dans cette époque aussi tragique qu’épique, où les pires lâchetés côtoient les plus admirables héroïsmes.

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On le sent transpirer à chaque page, le feu qui anime le livre. C’est d’abord la fascination pour ce palace parisien emblématique, devenu pendant l’Occupation un lieu central parce qu’il bénéficiait d’une dérogation spéciale lui permettant de rester ouvert. À ce titre, on ne saurait trop vous conseiller le livre de Tilar Mazzeo, 15, place Vendôme – Le Ritz sous l’Occupation, un essai bourré d’anecdotes et de portraits passionnants. Mais, pour en faire un roman, il fallait à Philippe Collin un personnage hors du commun, une femme ou un homme qui incarnerait à lui seul l’absurdité de son temps.

Mister Cocktail

Cette figure s’appelle Frank Meier. Dans les années 1940, il est le plus grand barman du monde, il officie derrière le comptoir du Ritz pendant l’Occupation, il est adoré des centaines de soldats qui ont élu domicile dans l’hôtel (dont Hermann Göring) et des prestigieux clients de passage comme Cocteau, Sacha Guitry ou Coco Chanel, mais, en secret, il est juif et multiplie les actions clandestines pour venir en aide à la Résistance.

Avec la minutie de l’historien et la fougue du romancier en herbe, Philippe Collin tire le portrait de cet homme qui vous fait dire que la réalité dépassera toujours la fiction. Fils d’un prolétaire juif autrichien, passé par les plus grandes institutions hôtelières new-yorkaises où il devient un expert dans l’art du cocktail, il émigre en France au début du XXe siècle et s’engage même dans l’armée française lors de la Première Guerre mondiale, dont il sort indemne. En 1921, il signe son premier contrat au Ritz et devient la tour de contrôle d’un centre névralgique de la capitale française.

Car un barman, c’est celui qui voit tout, qui sait tout, un spectateur omniscient d’un petit théâtre de l’humanité en train de se jouer. Au bruit des glaçons qui s’entrechoquent et des shakers qui s’agitent, Philippe Collin peint une fresque érudite, mais romanesque à souhait. En réalité, le bar du Ritz est en fait un modèle réduit de la France occupée. Nazis, collabos, témoins passifs ou résistants qui se dissimulent : chacun joue sa partition et Frank Meier observe. Jusqu’à ce que par la force des choses, il devienne acteur à son tour. Au risque d’être découvert. Mais après tout, qui se méfierait d’un maestro qui vous sert de tels verres ?

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Et comme un point d’exclamation à cet hommage majuscule, Philippe Collin fait rééditer L’Art du cocktail, une des bibles de la discipline signée par Frank Meier himself. Santé !

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