Critique

Bodkin : la série Netflix est-elle la digne héritière d’Only Murders in the Building ?

09 mai 2024
Par Quentin Moyon
“Bodkin” est disponible sur Netflix depuis le 9 mai.
“Bodkin” est disponible sur Netflix depuis le 9 mai. ©Netflix

Surfant sur le phénomène de Disney, Bodkin mêle podcast, true crime et paysages mystérieux de l’Irlande. Avec succès ?

« Je suis venu à Bodkin sur la piste d’une affaire classée sans suite. Et si cette affaire classée… ne l’était pas vraiment ? » Gimmick accrocheur. Paysages de rêves et de légendes. Trio de détectives aussi mal assorti que bankable. Fait divers haletant. Hormis la voix profonde d’un Fabrice Drouelle pour narrer l’inénarrable, sur le papier, Bodkin, la nouvelle série Netflix qui surfe sur la tendance des podcasts true crime, semble n’avoir rien laissé au hasard. Au point de surpasser les références du genre, comme Only Murders in the Building ?

Passion true crime 

Une fois de plus, les algorithmes Netflix, associés au travail du showrunner Jez Scharf, ont fait leur magie. En mixant dans leur marmite créative notre obsession pour les faits divers mystérieux ou les tueurs en série, les paysages verdoyants de l’Irlande qui pullulent déjà sur Netflix (Derry Girls, Peaky Blinders, Rébellion…) et un brin de fantastique, la recette est déjà alléchante. Comme l’écrit la sociologue Lucie Jouvet-Legrand, « les faits divers ont toujours fait recette, car l’encre et le sang se marient bien ».

Bande-annonce de la série Bodkin.

Le true crime, qu’il soit documentaire ou fictionnel, n’est pas une tendance récente et notre passion pour le morbide réaliste explose déjà dans la littérature des années 1950. Considéré comme le père du genre avec son roman Crime (1956), qui autopsie en détail l’affaire Leopold et Loeb, Meyer Levin ouvre la voie à des ténors comme Truman Capote (De sang froid, 1965) ou Ann Rule et son portrait de Ted Bundy qui en ont édicté les grands principes.

Ce genre particulier mêle habilement les méthodes journalistiques et les codes du roman policier, pour donner l’illusion d’une certaine proximité entre les lecteurs et les événements contés, tout en insufflant au récit un suspense poignant. 

©Netflix

Très vite, ce type d’œuvres se révèle adapté à la société du spectacle occidentale, de laquelle la télé est reine. En France, le maître en la matière n’est autre que Christophe Hondelatte et son fameux Faites entrer l’accusé, initié dans les années 2000 et dont la musique signée Michel Legrand est devenue tellement culte que Todd Haynes s’en est servi pour habiller son film May December, sorti cette année.

Avec l’émergence des plateformes de streaming dans les années 2010, la tendance ne s’est pas calmée et Netflix a fait son beurre des faits divers glaçants en format sériel, de Making a Murderer (2015) à Grégory (2019), en passant par L’Arnaqueur de Tinder (2022). Des séries fictionnelles ou documentaires qui, si elles surfent toujours sur le frisson du réel et l’excitation des cliffhangers, finissent par se standardiser dans leur approche narrative. 

Radio killed the video star ?

Sans un bruit, une nouvelle pratique est venue chambouler notre consommation culturelle : le podcast. En 2020, l’institut de recherche américain Nielsen en comptait pas moins de 1 500 000. Avec l’émergence des smartphones, puis celle de Spotify, podcaster est devenu facile et pratique, renouvelant la manière de raconter des histoires et de faire du journalisme. 

Serial en 2014, Dr. Death en 2018 et Crime Junkie en 2017 aux États-Unis, les excellentes Affaires sensibles en 2014 et autre Cerno en 2020 en France… Les podcasts true crime ont commencé à pulluler. En plus de disséquer la psychologie des tueurs, de décrypter les ficelles des enquêtes, les podcasts doivent aussi leur succès à des voix. À ces narrateurs qui, loin d’être des enquêteurs professionnels, susurrent à notre oreille, deviennent proches de nous. Facile, donc, de s’identifier à ces enquêteurs du dimanche.

©Netflix

C’est peut-être ce qui commençait à manquer aux séries du genre. Ce visage humain qui nous ressemble. Les plateformes l’ont bien compris. Et si, à la manière d’Only Murders in the Building (2021), il suffisait d’ajouter un micro dans les mains de nos héros pour donner une nouvelle dimension à Bodkin ? Au point d’en faire une version améliorée du show en trois saisons de Disney, ou une vague réplique artificielle ?

Only Murders in Ireland ?

On ne présente plus Only Murders in the Building, cette série dans laquelle trois antihéros, Oliver Putnam (Martin Short), Charles-Haden Savage (Steve Martin) et Mabel Mora (Selena Gomez) s’unissent pour mener l’enquête sur des crimes perpétrés au sein de leur lieu de vie. Un gratte-ciel new-yorkais aussi pimpant qu’inquiétant : l’Arconia. Des investigations qu’ils racontent sous forme de podcasts à une audience, certes réduite, mais composée de fans hardcores.

Dans sa forme comme dans son fond, Bodkin s’inscrit directement dans la lignée d’Only Murders in the Building. Peut-être trop ? Les personnages principaux de Bodkin – Dove (une journaliste irlandaise acerbe et moralisatrice (Siobhán Cullen) qui doit, pour des raisons sombres, quitter un temps sa réalité londonienne) et le duo de podcasteurs amateurs Gilbert (Will Forte) et Emmy (Robyn Cara) dont l’humanité et le positivisme cachent aussi une part obscure – reprennent à l’identique le modèle du trio d’enquêteurs et sa dynamique relationnelle d’amour-haine.

Bande-annonce de la série Only Murders in the Building.

On retrouve aussi la forme du récit d’apprentissage qui fait évoluer ses personnages au contact les uns des autres. Le choix de l’environnement dans lequel prennent place nos deux histoires n’est pas non plus anodin. Les aventures de ces escouades capricieuses ont beau s’inscrire dans des décors très différents, on peut dire qu’elles en tirent des éléments vraiment structurants pour le déroulé de l’histoire. L’imagerie luxueuse, le casting cinq étoiles et les faux-semblants pour Only Murders in the Building. Le fantastique, les légendes et les rumeurs de village dans Bodkin.

Du point de vue de l’intrigue, les deux shows offrent des propositions intéressantes, des rebondissements étonnants, des moments de plaisir certains, mais rien de bien marquant. Au point que les mystères proposés, qui sont dans les deux cas de faux faits divers, sont finalement assez secondaires par rapport à l’attachement que l’on peut ressentir pour les personnages. À première vue, Bodkin ressemble beaucoup à Only Murders in the Building. Cependant, il y a un élément central sur lequel la série Disney est bien plus originale : l’exploitation narrative et formelle du médium.

©Netflix

Fans, concurrence, impact sur l’intrigue… Le podcast trouve une vraie place dans les événements qui nous y sont décrits. En revanche, le médium d’enregistrement se fait artifice et n’apporte pas de réelle plus-value à l’enquête dans le paysage sauvage de l’Irlande. Le show signé Netflix souffre donc de la comparaison avec celui de Selena et de sa bande, plus abouti. Pour autant, et malgré ces imperfections, Bodkin semble s’inscrire dans une tendance qui n’est pas près de se tarir, au vu de sa production simple et efficace.

Un contenu calibré

En plus d’être le nom de la série, le terme Bodkin est littéralement associé à un type de flèches jugées « performantes et faciles à produire ». Un bon résumé de ces séries true crime qui, comme les polars de gare standardisés, sont quasi sûres de faire mouche. Search Party, Bored to Death, HPI… On pourrait passer une journée entière à les lister, tant ces shows sont nombreux.

Ces produits d’appels sont pourtant aussi sexy que simples à produire pour les plateformes : ils reposent globalement sur une recette équilibrée à laquelle il suffit de donner le petit twist qui donnera l’illusion de l’innovation. 

©Netflix

Parce qu’elles sont à notre image, mettant en scène des gens lambdas, souvent plongés dans un environnement ennuyeux, qui se fantasment détectives. Parce qu’elles sont pleines de rebondissements et de surprises. Parce qu’elles sont bourrées d’humour noir, de drames, de sentiments humains, qu’elles nous touchent. Et parce qu’on a souvent besoin de ces contenus pour se décrasser de journées parfois harassantes, Bodkin & co. ont un avenir radieux devant elles.

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