C’est un fait : les séries sont de plus en plus courtes. Pourquoi ? Depuis quand ? Est-ce la fin des sagas à rallonge ? Plongée dans l’histoire des séries pour essayer d’y voir plus clair.
Chernobyl, Le Jeu de la dame, Watchmen, Unorthodox, Maniac… Ces dernières années, elles pullulent sur tous les écrans. Un seul tour et puis s’en vont. On les appelle les miniséries, les séries limitées. En gros : des séries courtes qui, malgré un réel succès, n’iront pas plus loin qu’un nombre prédéfini d’épisodes et qui ne doivent pas durer plus de 13 heures au total. Début, développement, fin… et puis c’est tout.
Si elles existent depuis un certain temps – les Emmy Awards les récompensent depuis au moins 1973 – les miniséries n’ont longtemps été que minoritaires. Elles sont désormais bien plus visibles, si ce n’est omniprésentes. Surtout, elles correspondent aux habitudes de consommations actuelles et conviennent à un public toujours plus avide de formats percutants, qu’on peut visionner comme un film, entre amis et dont on peut discuter rapidement. Les miniséries sont le résultat d’une longue et riche évolution de la création télévisuelle.
Les séries, une histoire de longévité et de durée
Retour en 1930. La radio est alors le principal média et diffuse quotidiennement ce que l’on appelle des soap opera, des feuilletons sponsorisés par des marques de savon qui tiennent en haleine les ménagères américaines, tous les jours à la même heure. Épisodes courts, mais qui s’inscrivent sur le long terme, rebondissements, dialogues dramatiques, tensions, suspense intenable, cliffhangers… Bref, les prémices de la série télé sont là. Le format migre ensuite sur les écrans de télévision avec succès. Des sagas comme Les Feux de l’amour, Des jours et des vies, Amour, gloire et beauté ou même Plus belle la vie en France semblent immortelles. On a toujours l’impression qu’elles essoufflent, mais elles sont toujours là.
En parallèle, les sitcoms apparaissent à partir des années 1950. Là aussi, il est question de longévité bien que les épisodes soient courts (une vingtaine de minutes en général). La situation comedy la plus historique aux États-Unis ? I Love Lucy. Démarrée en 1951, elle a duré 179 épisodes. Rires en tapis sonore, décors et personnages récurrents, le genre est roi jusqu’aux débuts des années 2000. Que ce soit Happy Days, Seinfeld, Sex and the City, Friends aux États-Unis ou bien Hélène et les garçons, Le Miel et les abeilles et même H en France, la sitcom a été conçue pour s’installer dans le temps. De manière récurrente, les spectateurs avaient rendez-vous avec leur téléviseur et le succès se mesurait alors en durée de vie. Jusqu’à la nausée, parfois. « Une expression est même née de Happy Days pour parler de ça : sauter par-dessus le requin, raconte Clément Combes, sociologue. Dans un épisode, Fonzy fait du ski nautique et saute par-dessus un requin. Bref, un peu n’importe quoi. Une manière de dire que la série tourne en rond, qu’elle n’a plus de sens. »
Nouveau millénaire, nouvelle vague de séries
Les années 2000 voient les arrivées de HBO, du DVD et du téléchargement en ligne. Un changement de ton artistique avant tout : la série télé s’émancipe, devient un laboratoire, un objet culturel à part. Les auteurs se lâchent. Les univers, la chronologie, les sujets se diversifient, pour le plus grand bonheur des spectateurs. On voit de l’innovation en tout genre comme avec 24 heures chrono, Les Sopranos, Oz, The Wire, Six Feet Under, Deadwood, The Office, Nip/Tuck, Lost, Weeds, Dexter… En France, c’est avec Canal+ que le changement s’amorce. En 2005, Engrenages est l’une des premières productions françaises à tenter quelque chose de différent, à sortir du simple feuilleton, à prendre le virage de la série d’auteur, écho à la nouvelle vague cinématographique. Les épisodes s’allongent, les saisons aussi. Tant qu’il y a des idées, qu’on n’a pas encore épuisé un sujet, on continue. Le requin n’est jamais loin.
La consommation se fait différemment aussi. C’est le début de ce que l’on appelle le binge-watching, largement démocratisé par Netflix. On peut désormais s’empiffrer d’une série comme d’une tablette de chocolat. Robert Thompson, spécialiste des médias et professeur à l’Université de Syracuse, est surpris que les choses n’aient pas changé avant : « Personne ne lit un livre comme ça : un chapitre le jeudi soir et puis le chapitre suivant, une semaine plus tard. Il n’y a qu’avec les séries qu’on voit ça. C’est complètement frustrant, non ? » Il se souvient notamment d’un moment de torture avec les Sopranos : « Une fois, il y a eu une pause de 21 mois entre deux saisons. Presque deux ans. Deux ans ! » Ce n’était donc qu’une question de temps avant que la série ne s’adapte aux nouveaux diffuseurs et à l’appétit grandissant des spectateurs.
L’heure des miniséries ?
Les plateformes, le streaming, les réseaux sociaux, les écrans partout. « Les gens n’ont plus le temps aujourd’hui, pose Karine de Falchi, réalisatrice. C’est comme ça avec les applications de rencontre, mais aussi avec le divertissement. Le plus gros concurrent des séries aujourd’hui, c’est Candy Crush. » Mais plutôt que d’y voir une fatalité, l’artiste y voit un challenge : « Il faut accrocher direct, avoir plus d’idées, une intrigue claire, forte. Le spectateur ne te laissera pas de seconde chance. Je pense qu’à l’avenir, on va arriver sur des programmes encore plus courts, des microséries sur Instagram, Snapchat ou TikTok, d’une minute pas plus. » Robert Thompson confirme : « Avec les miniséries, on peut vraiment s’immiscer dans le récit. Les saisons plus courtes permettent de mieux se concentrer. » Plus condensé, plus efficace, on évite aussi et surtout le saut de requin.
Est-ce l’heure des miniséries ? Le spécialiste des médias américains entrevoit une période de transition : « Il y a et il y aura toujours des sagas à rallonge, comme les Simpsons. Même si elles se font rares. En tout cas, on en voit moins démarrer aujourd’hui. Il y a des miniséries comme Chernobyl, bonjour, au revoir. Et puis, il y a aussi des séries comme Squid Game. Ça devait être une minisérie, il y a un début, un développement et une fin. Mais, face à l’engouement mondial, le réalisateur a annoncé une seconde saison. »
En gros, les plateformes sont en phase de test. Elles ont bien compris que le binge-watching n’était plus la seule manière de consommer. Disney+, Amazon Prime et Salto expérimentent. La minisérie ne tuera pas la série longue, elles vont certainement coexister, se compléter, s’autoalimenter. Certains programmes s’ingèrent cul sec, d’autres se vivent mieux semaine après semaine, faisant monter la pression sur les réseaux sociaux. La consommation dépend du genre de la série, mais aussi des goûts du public. « Les plateformes modulent de plus en plus le temps des épisodes et des saisons en fonction de critères toujours plus nombreux », analyse Clément Combes. Les algorithmes n’ont pas encore dit leur dernier mot. Les micros, minis, courtes, moyennes, longues et macros séries non plus.