Entretien

Les Français et les séries : « Il y a deux catégories de spectateurs : les actifs et les passifs »

28 octobre 2021
Par Tom Demars
Depuis quelques années, les spectateurs multiplient les supports : télévision, ordinateur, tablette…
Depuis quelques années, les spectateurs multiplient les supports : télévision, ordinateur, tablette… ©Joshua Resnick

Depuis une dizaine d’années, les séries sont devenues un phénomène. Entre binge-watching et multiplication des supports, les experts s’interrogent sur notre consommation.

Pour la première fois en France, les sociologues Clément Combes et Hervé Glevarec ont mené une enquête sur notre rapport aux séries. Dans leur livre Séries, ils ont interrogé 2 439 Français sur leur pratique : quelle fréquence, quel support, leur top 3… Dina Rasolofoarison, maîtresse de conférence spécialisée dans le comportement des consommateurs, s’est elle aussi intéressée au phénomène. Entretien.

Netflix, Disney+, Apple TV… Les plateformes de SVàD ont-elles vraiment révolutionné notre façon de consommer les séries ?

Des chercheurs ont démontré que certaines pratiques comme le binge-watching existaient déjà bien avant. Personnellement, je le faisais avec les coffrets DVD. Lors de ma première étude menée à ce sujet, je me suis rendu compte que la majorité des personnes interviewées passaient par le téléchargement illégal pour enchaîner les nouvelles et anciennes séries. La différence, c’est qu’elles n’osaient pas en parler. Les plateformes n’ont pas révolutionné notre consommation, elles ont uniquement permis de prolonger et de légaliser ces pratiques. Les réseaux sociaux ont généralisé les débats et les fan fictions. La pratique du binge-watching a aussi été légitimée par la presse et le public. De plus, la crise sanitaire a démultiplié le phénomène. Les spectateurs se créent leurs propres événements, comme les lives parties, pour ne pas se sentir isolés.

Donc les plateformes n’ont pas modifié nos comportements ?

La vraie différence, c’est la multiplication des supports. Aujourd’hui, on peut regarder nos programmes quand on veut, où on veut, et sur n’importe quel format : télé, ordinateur, tablette, téléphone… De nouvelles pratiques sont apparues. Les spectateurs se sont ainsi divisés en deux catégories : les actifs et les passifs. Dans le visionnage passif, les personnes sont concentrées sur l’épisode tandis que les actifs avancent ou reviennent en arrière, naviguent sur Internet en même temps… Le transmédia est un facteur important : aujourd’hui, une série vit aussi à travers les réseaux sociaux et les événements qui y sont liés.

Un magasin éphémère Squid Game a ouvert ses portes à Paris le 2 octobre, le temps d’un week-end.

Le binge-watching a longtemps été le fonds de commerce des plateformes, mais elles se tournent de plus en plus vers un système de feuilleton, à raison d’un épisode par semaine…

Le binge-watching est aussi positif que négatif. S’il permet de s’immerger dans l’œuvre et de se couper de la réalité, on peut rapidement avoir une impression de perte de contrôle. Sans forcément devenir addict, il est facile de se laisser porter par le flux. Lors de mon étude, j’ai constaté que les personnes qui enchaînent plusieurs épisodes s’en veulent. Mais certaines ont réussi à mettre en place une routine cadrée, car cette pratique demande un effort cognitif et physique. Quand on en regarde trois à la suite, ça va. Quand on parle de toute une saison en une soirée, c’est plus compliqué. L’autre problème, c’est les réseaux sociaux. Certains se sentent obligés de binge-watcher pour ne pas être spoilé ou simplement pour suivre les autres.

C’est pourquoi les plateformes sont revenues, sur certaines de leurs séries, au format hebdomadaire. Le spectateur peut se sentir en contrôle et Netflix, Disney, etc. peuvent toucher un public différent. Il y aura toujours une demande pour les feuilletons (comme NCIS, Plus belle la vie, Grey’s Anatomy…), car le rapport n’est pas le même. On les regarde pour retrouver des amis, des personnages avec qui on crée un lien (et ce dernier est parfois plus important que l’histoire elle-même). C’est pourquoi certains durent depuis des années. Ils font partie de notre environnement et les deux types de consommation (le binge-watching et le feuilleton) ont toujours existé en parallèle. Mais je ne suis pas sûre que le rendez-vous à 21 heures sur la chaîne de télé perdure encore longtemps. La réalité, c’est qu’on ne sera jamais satisfait : quand une série sort dans son intégralité, il est difficile de ne pas céder, mais quand sa sortie est espacée, ça crée une frustration.

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Article rédigé par
Tom Demars
Tom Demars
Journaliste
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