Entretien

Adam Bessa pour Ourika : “Les voyous et la misère ont toujours inspiré le cinéma”

27 mars 2024
Par Agathe Renac
“Ourika” sera disponible dès le 28 mars sur Prime Video.
“Ourika” sera disponible dès le 28 mars sur Prime Video. ©Prime Video

Drame familial, trafic de drogue, émeutes… Booba, Clément Godart et Clément Gournay se sont lancé un défi : imaginer une série sur les banlieues, sans cliché. À quelques heures de sa diffusion, les acteurs Adam Bessa (Mosul) Salim Kechiouche (Mektoub, my Love) et Noham Edje (Bardot) nous ont accordé une interview, avec beaucoup de complicité, de bienveillance et de sincérité.

Qu’est-ce qui vous a séduit dans le projet d’Ourika ?

Salim Kechiouche : Je me suis lancé dans cette aventure parce que le scénario me plaisait et parce que je voulais retrouver certains acteurs, comme Slimane Dazi, Marwen Zaibat, Sawsan Abès, Max Gomis, Lamine Bâ ou encore Rayan Bouazza. Avec Adam [Bessa, ndlr], on se connaissait un peu, mais ça me plaisait de jouer une histoire de frères avec lui. C’était un challenge. J’ai aussi été très marqué par ma rencontre avec Clément Godart, qui a imaginé la série. Il a passé des années dans la police et il connaît bien son sujet.

On ne va pas se mentir, le fait de pouvoir travailler et échanger des points de vue artistiques avec Booba était aussi très intéressant. On avait une grande liberté, c’était une sorte de “travail de table à l’américaine”. On a commencé à bosser sur nos personnages, on s’interrogeait sur leur intériorité, comment on voulait avancer… Petit à petit, on a modulé tous ces protagonistes en fonction du caractère et de l’univers de chacun. Sur le plateau, le but n’était pas simplement de connaître son texte, mais aussi de s’impliquer, de savoir ce qu’on peut apporter à la série, et de connaître notre valeur ajoutée en tant qu’acteur.

Noham Edje : Quand on m’a proposé ce projet, j’ai vu que c’était produit par Prime Video, j’ai checké sur Internet, j’ai vu Jeff Bezos, j’ai vu 184 milliards, et je me suis dit : “Wow, il est blindé lui, il y a beaucoup d’argent à se faire !” (rires) Non, je rigole, évidemment. En réalité, c’est ma rencontre avec Clément qui m’a donné envie de me lancer dans cette série. J’ai vu un homme complètement passionné par ce qu’il fait – et c’est rare. On croise peu de personnes comme lui dans sa vie. Il savait ce qu’il faisait, il donnait tout et, surtout, j’avais l’impression qu’il voulait emmener Ourika le plus loin possible. Ensuite, j’ai échangé avec les acteurs durant les tables rondes et j’ai vu que ce projet avait de la gueule.

Noham Edje dans Ourika.©Prime Video

Adam Bessa : Ourika était séduisant d’un point de vue technique et artistique. La série est portée par des personnes réputées et de grande qualité. J’avais déjà reçu des rôles de voyou, mais ça ne m’intéressait pas trop, parce qu’on vit dans un pays où il y a beaucoup de clichés sur les Arabes et les quartiers. J’ai longtemps cherché un projet intelligent, imaginé et piloté par des personnes qui connaissent le milieu, qui ont plongé là-dedans et qui s’éloigne des stéréotypes véhiculés par les chaînes d’info en continu.

Ma rencontre avec le cocréateur, Clément, a été décisive, car c’est un personnage atypique, très intense et qui vient de ce milieu. J’ai pu rencontrer de vrais trafiquants, c’était très intéressant et ça m’a permis de réaliser à quel point ces personnes sont bien plus complexes, humaines et intéressantes qu’on peut l’imaginer. Leurs trajectoires de vie, leur destin et leurs fardeaux familiaux sont lourds, donc c’était un vrai challenge pour moi d’incarner le personnage de Driss.

Vous l’avez dit : la série est cocréée et incarnée par Booba. Comment s’est déroulée cette collaboration ?

N. E. : Je suis venu avec une instru, je voulais poser un 16. Je me suis dit que c’était ma chance de devenir rappeur – qui est mon premier rêve –, mais il a dit non. (rires)

S. K. : Booba aurait pu arriver en mode : “Je suis l’un des plus grands rappeurs de France, j’ai coproduit cette série et j’en suis le directeur artistique”, mais on a tous les trois fait la rencontre d’une personne très humble qui voulait apprendre et travailler en groupe.

Salim Kechiouche dans Ourika.©Prime Video

A. B. : J’avais une petite appréhension, car c’est un grand nom du rap qui a énormément d’expérience. Mais, comme l’a dit Salim, c’était un vrai plaisir de collaborer avec lui et on a créé un lien fort. C’était très fluide. Il est très professionnel et passionné par le sujet d’Ourika. Au final, c’était encore mieux que ce que j’avais pu imaginer.

S. K. : Il suffit de regarder la promo : il aurait pu prendre toute la lumière, mais il a souhaité se mettre en retrait pour laisser les acteurs parler de son projet.

L’intrigue se déroule en partie dans une cité. Elle nous parle de sa situation complexe et fragile, et montre comment elle peut s’embraser en quelques jours. Avez-vous la sensation que les films et séries d’aujourd’hui représentent ces situations d’une manière crédible, ou y a-t-il encore trop de clichés ?

S. K. : Je trouve qu’il y a encore beaucoup de clichés. La plupart des cinéastes à la tête de ces projets ne connaissent pas vraiment leur sujet. Ça me fait penser à certains romans écrits par des sociologues qui parlent de la cité avec des statistiques et beaucoup de distance. Je ne dis pas que les films et les séries sur les quartiers ne doivent être écrits que par des personnes qui viennent de là. Mais il faut s’intéresser, comprendre, rendre ces personnages humains et ne pas montrer que leurs côtés négatifs. J’ai l’impression qu’on me propose énormément de rôles dans lesquels on les déshumanise. Si je rencontrais vraiment ces personnes, je me dirais qu’elles sont perdues pour l’humanité et j’aurais envie de voter pour les extrêmes.

Dans la réalité, c’est plus compliqué que ça. On essaie de diaboliser des choses qui, parfois, ne le sont pas – comme certaines catégories de la population, certaines personnes et ces trafiquants d’origine marocaine. En France, on a des vignobles. Là-bas, il y a des terrains et des cultures de haschich. Ce sont des business familiaux, ça se passe de manière illégale, mais aujourd’hui, la question de la légalisation est très présente et on réalise que ce problème est très complexe. J’ai grandi en cité, il y avait beaucoup d’amour et des situations très différentes de celles qu’on peut nous montrer. Oui, il y avait des difficultés, mais ces dernières sont surtout liées à la misère, pas au caractère des personnes qui y vivent.

Adam Bessa et Salim Kechiouche dans Ourika.©Prime Video

A. B. : Il y a un fantasme de l’exotisme, de la banlieue et de l’Arabe qui plaît au cinéma. Les voyous et la misère ont toujours inspiré le 7e art. Mais, à un moment donné, il faut essayer de le regarder avec les bons yeux, sans essayer de changer les trajectoires. Ces descriptions sont peu précises, elles ont rarement un but artistique et ne cherchent pas vraiment à créer des émotions. Peu importe l’œuvre ou le milieu social du personnage : que ce soit un film italo-américain, africain ou chinois, je veux juste qu’il me touche. Point barre.

Le personnage va affronter des épreuves, perdre des proches, réussir dans la vie, ne pas supporter le manque d’argent, être jaloux… On peut avoir des points communs avec des êtres humains aux quatre coins du monde. Ce qui est intéressant, c’est de faire découvrir son univers et sa culture sans manipuler une réalité par simple fantasme. Il n’y en a pas du tout dans Ourika. Clément et Booba avaient cette envie de parler des vraies choses.

Ourika parle aussi de ceux qui restent et ceux qui partent. Driss évolue dans deux mondes : celui, illégal, de sa famille et de son passé, et celui qu’il s’est créé, avec l’élite parisienne. Avez-vous déjà eu la sensation d’être deux personnes à la fois ?

N. E. : Je pense que je suis 40 personnes à la fois – mais je le vois comme un bienfait. Pour moi, un acteur est une personne qui est à la limite de la schizophrénie. S’il dépasse sa limite, il devient fou, mais s’il ne la franchit pas, il peut tout faire. Quand j’incarne un personnage, je puise dans ces multiples personnalités pour trouver celle qui sera la plus appropriée pour jouer ce rôle.

S. K. : Sinon, habituellement, ils sont toujours 40. C’est compliqué à gérer. Si tu veux parler à une personne en particulier, tu dois prendre rendez-vous (rires).

N. E. : C’est comme dans Split, sauf qu’ils ne sont que 13 (rires).

S. K. : On vient chacun de milieux différents et nos codes évoluent en fonction de la situation dans laquelle on a grandi. Ça nous a donné une grande flexibilité et ça me plaît d’être une sorte de caméléon.

Adam Bessa et Noham Edje dans Ourika.©Prime Video

A. B. : Quand tu es fils d’immigrés, tu as forcément une double culture et tu apprends à t’adapter dès ton plus jeune âge. À 3-4 ans, tu rentres au pays, tu es différent de ceux qui sont nés là-bas. Tu arrives ici, tu es aussi différent des autres. Ensuite, tu évolues et tu changes de milieu social dans ton pays de naissance. Et là, c’est encore de nouveaux codes à assimiler. Finalement, c’est une avancée et une adaptabilité perpétuelle, mais on n’est pas vraiment plusieurs choses à la fois. C’est une seule et même chose qui évolue. Le problème de la France, c’est qu’on marque les différences.

S. K. : C’est son problème et sa force. La force de la France, c’est d’être multiple.

A. B. : On me demande souvent si je me sens plus ci ou plus ça, mais je ne peux pas répondre. Je suis les deux. Il faut accepter le fait d’être plusieurs choses à la fois pour en faire une richesse.

Driss doit payer pour les actes de son frère, son frère doit payer pour ceux de son père… Est-on condamnés à payer les dettes de sa famille ?

A. B. : C’est une grande question qui touche la valeur de la famille. Soit on l’a, soit on décide de s’en affranchir, car c’est trop lourd à porter. Elle peut apporter beaucoup de bienfaits et de stabilité dans notre vie, mais elle a aussi un prix. En fonction de nos convictions personnelles, on décide de payer, ou non, ces dettes. Driss a cette valeur, et il prend la décision de tout donner à sa famille.

S. K. : Je pense qu’on traîne le poids de sa famille, quoi qu’il arrive. Ça façonne nos caractères. On a parfois envie de s’en détacher, puis on se rend compte que c’est impossible.

A. B. : Au final, ce que tu as vécu dans ton enfance sera toujours là, ça t’accompagnera toute ta vie et habitera tes rêves, même si tu pars au pôle Nord. Je ne pense pas qu’on puisse laisser de côté sa famille. C’est à vie.

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Article rédigé par
Agathe Renac
Agathe Renac
Journaliste