Depuis quelques semaines, Wonderful Precure et Power of Hope – Precure Full Bloom sont diffusées sur Crunchyroll. De superbes séries animées, drôles et modernes, qui rafraîchissent un genre très codifié qui a su évoluer au fil des années.
Les « magical girls », ce sont ces mangas et animes qui mettent en scène des filles, généralement jeunes, capables de se transformer pour acquérir des pouvoirs fantastiques et combattre toutes sortes de menaces. Une formule très populaire qui est apparue dès les années 1960, notamment avec Sally la petite sorcière (1966).
L’émergence du genre
À ce moment, tous les ingrédients sont déjà là : une jeune fille mystérieuse venue d’ailleurs, capable de se métamorphoser en magicienne, accompagnée d’une mascotte mignonne et de compagnons amusants. Le succès est immédiat auprès du jeune public japonais, et particulièrement des écolières. Les éditeurs de mangas multiplient alors les séries du genre. Caroline (1969), Chappi (1972), Creamy (1984)… Des dizaines d’œuvres similaires voient le jour en une vingtaine d’années.
La recette est assez bien rodée, avec des antagonistes souvent assez peu effrayants, des histoires parfois répétitives et des thématiques plutôt enfantines. Il est la plupart du temps question d’amitié, d’empathie et des nombreuses épreuves que l’on doit affronter en grandissant. Le genre tourne un peu en rond et tombe légèrement en désuétude dans la seconde moitié des années 1980, avant de connaître une seconde jeunesse avec l’arrivée d’une série culte : Sailor Moon.
Le développement de nouveaux concepts
Au début des années 1990, les magical girls trouvent un second souffle avec l’arrivée de nouveaux concepts. Dans Sailor Moon, projet de Naoko Takeuchi développé simultanément en manga et en anime en 1992, les héroïnes se battent désormais en équipe de cinq combattantes, sur le modèle des Super sentai (Bioman, Power Rangers…). Les thématiques abordées sont aussi plus adultes. Ici, des personnages peuvent mourir, vivre des histoires d’amour complexes ou être confrontés à des problématiques sociales bien plus modernes.
Le succès est planétaire et conquiert un public jusque-là jamais atteint, dépassant largement les seules petites filles – au point qu’un projet de remake américain a même failli voir le jour. Ce triomphe crée alors un climat très favorable à l’arrivée de séries beaucoup plus variées et créatives, destinées à tous les publics.
Sakura, chasseuse de cartes (1998) hybride le genre avec la collection d’objets façon Pokémon, Magical Doremi (1999) cible un public très jeune avec ses petites sorcières aux péripéties très élaborées, et le très audacieux Tokyo Mew Mew (2002) aborde frontalement les questions d’écologie et de protection de la nature.
Des magical girls à l’occidentale ?
Après le succès planétaire de Sailor Moon et de ses suites, les compagnies de production occidentales n’hésitent pas à lancer leurs propres franchises de magical girls. Passé quelques premiers essais infructueux, les séries W.I.T.C.H (qui s’inspirent de la bande dessinée italienne d’Elisabetta Gnone) et Winx Club arrivent à proposer des versions occidentalisées du phénomène à une nouvelle génération au milieu des années 2000.
Le résultat est souvent brillant (on pense au succès planétaire de la série française Miraculous Lady Bug, saluée pour sa modernité), mais certains discours développés dans ces productions sont parfois simplistes, voire rétrogrades. La chercheuse Marie Bastien, doctorante au Groupe interdisciplinaire de recherche sur les cultures et arts en mouvement de l’Université de Louvain, explique qu’à mesure que les saisons de Winx Club se multipliaient, les héroïnes avaient des tenues et des aventures de plus en plus stéréotypées et le casting perdait en diversité et en vraisemblance. Le tout dans un contexte où les producteurs cherchaient à rajeunir la cible pour cibler les 2-5 ans, réputés plus sensibles au contenu très genré.
À l’inverse, d’autres séries occidentales font preuve de beaucoup d’audace : Les Super Nanas, créées par Craig McCracken en 1998, ont réussi à convaincre le public avec leur humour et leur irrévérence. Plus récemment, She-Ra et les Princesses au pouvoir et Steven Universe ont repris des codes du genre pour y faire figurer des thématiques plus inclusives et queers, comme le souligne Alice Gervat (autrice d’un brillant mémoire sur le sujet) dans une interview accordée à Slate. Marie Bastien partage le constat qu’en la matière, les séries japonaises ont encore de l’avance, n’hésitant pas à présenter des situations et un casting moins hétéronormé et enfantin (mais souvent ethniquement plus uniforme).
Un genre qui embrasse tous les types de récits
Au Japon, cette diversité de thèmes et de types de récits a permis à toute une génération de créateurs et de créatrices de s’approprier ces magical girls pour développer les possibilités narratives. Depuis quelques années, de nouvelles licences remarquables se multiplient. Puella Magi Madoka Magica (2011) prend les stéréotypes du genre pour en faire une tragédie désespérée tirant vers l’horreur, Flip Flappers (2016) s’autorise des délires visuels hors du commun, et Magical Girl Boy (2012) développe une parodie dans laquelle la principale magical girl est un garçon.
Cependant, ce qui symbolise le plus l’évolution du genre depuis 20 ans au Japon est probablement l’immense popularité gagnée par la licence Pretty Cure (ou Precure). Cet univers, lancé en 2004, s’est décliné en une vingtaine de séries animées et une trentaine de films ultrapopulaires dans l’archipel.
Au départ relativement efficaces, mais classiques, ces séries mettaient en scène des duos puis des groupes de jeunes combattantes protégeant la veuve et l’orphelin, tout en devant mener une vie quotidienne souvent rocambolesque.
Mais, plus les itérations de Precure se sont multipliées, plus les thématiques abordées ont gagné en épaisseur et en complexité. Les dernières créations en date, comme Soaring Sky! Pretty Cure, Wonderful Precure et Power of Hope – Precure Full Bloom, abordent la question de l’exil, du passage à l’âge adulte, du burn-out ou encore de l’identité de genre.
S’il fallait une preuve de la grande vitalité et de l’importance sociale des magical girls, on pourrait retenir cet exemple symbolique : en 2020, le studio Toei a produit le film d’animation Magical Doremi – À la recherche des apprenties sorcières, un petit bijou mettant en scène trois jeunes filles appartenant à trois générations différentes qui se retrouvent liées par le fait qu’elles ont toutes regardé la série Magical Doremi dans leur enfance.
Après six décennies d’existence, il semble donc que ce genre soit plus que jamais moderne, actuel et pertinent. Marie Bastien nous le confirme en conclusion : depuis quelques années, de nombreux fans occidentaux du genre se réapproprient largement les superhéroïnes de leur enfance pour générer des contenus s’adressant aux adultes qu’ils sont devenus, avec notamment des fanfictions et des webtoons.