Critique

The French Dispatch : dixième pépite du maître Anderson

10 novembre 2021
Par Alexia De Mari
Tilda Swinton, Fisher Stevens, Owen Wilson, Elisabeth Moss et Griffin Dunne dans "The French Dispatch"
Tilda Swinton, Fisher Stevens, Owen Wilson, Elisabeth Moss et Griffin Dunne dans "The French Dispatch" ©The Walt Disney Company France

Le cinéaste Wes Anderson a posé ses caméras – argentiques ! – en France, à Angoulême, pour réaliser son dernier film, présenté en compétition officielle lors du dernier festival de Cannes.

À Ennui-sur-Blasé – rien que ça –, l’antenne d’un journal américain nommée The French Dispatch voit son rédacteur en chef mourir subitement. Pour son dernier numéro, le journal prévoit donc la publication d’une nécrologie, ainsi que trois derniers articles. Ce sont ces trois histoires qui sont successivement mises en scène par Wes Anderson.

Un nouveau souffle au style andersonien

Le style de Wes Anderson est reconnaissable entre mille – souvent copié, jamais égalé : composition des images soignée au millimètre près, jeux de symétries, lumières et couleurs parfaitement travaillées. Et, compte tenu du succès de son précédent film – hors animation –, The Grand Budapest Hotel (2014), on aurait pu craindre que le réalisateur se contente de surfer sur ce qui a fait la clé de sa renommée, quitte à devenir une plate caricature de lui-même. Mais il n’en est rien : The French Dispatch est esthétiquement remarquable. Non seulement Wes Anderson s’y empare du noir et blanc avec brio, mais surtout il le fait habilement alterner avec la couleur ; l’exercice est pourtant fort ardu et plusieurs cinéastes s’y sont brûlé les ailes. Si Wes Anderson parvient à maintenir cette alternance avec grâce et dextérité tout au long de son film, c’est parce qu’il refuse de proposer un projet simpliste : dans cette œuvre complexe et foisonnante, tout est étudié, recherché, décortiqué. Au sommet de son art, le réalisateur explore des terres qu’il maîtrise déjà – les décors, la couleur –, autant qu’il apprivoise la technique du dessin d’animation, qu’on lui connaît moins. Cette impressionnante méticulosité n’enlève pourtant rien à l’émotion qui se dégage de The French Dispatch.

©The Walt Disney Compagny France


D’innombrables hommages

Difficile de faire la liste des arts et des hommages présents dans The French Dispatch : la presse, le cinéma, la peinture… Le film est si dense qu’il faudrait le voir plusieurs fois pour en saisir toutes les références. On y retrouve, par exemple, une certaine nostalgie de l’âge d’or du cinéma hollywoodien et de la perfection de sa technique, tout en apercevant les clins d’œil adressés aux maîtres du cinéma français de la Nouvelle Vague. La ville d’Angoulême, quant à elle, ne se laisse que peu reconnaître et laisse plutôt place à une ville imaginaire dans laquelle apparaît l’essence des agglomérations françaises. La référence à la revue The New Yorker, adorée par le réalisateur, est affirmée et mise en avant dans le style de l’affiche du film et de l’anime. Comme toujours chez Wes Anderson, la musique joue un rôle essentiel, et la reprise du tube de Christophe, Aline (1979), par Jarvis Cocker nous plonge encore davantage dans la nostalgie d’une époque passée – bien qu’on ne saurait dire laquelle avec exactitude.

Des acteurs en alchimie

The French Dispatch marque le retour de la « bande à Wes », qui ne le quitte plus depuis des années, et qui tend à s’agrandir constamment : Bill Murray, Adrien Brody, Willem Dafoe, Tilda Swinton… Timothée Chalamet, nouveau venu dans la bande, est aussi admirable que d’habitude. Si l’alchimie opère si bien, c’est que Wes Anderson se montre particulièrement attentif à la cohésion de groupe de ses équipes : tous les personnages, y compris mineurs, sont extrêmement travaillés au moment de l’écriture, et le tournage se fait toujours sur un lieu unique, ce qui permet aux acteurs et actrices de vivre ensemble quelques semaines.

Une fois de plus, Wes Anderson nous emmène dans son monde – un monde poétique, saturé d’informations visuelles et sonores. Le choix de traiter une période révolue, loin des réseaux sociaux et de la frénésie de nos villes, permet au réalisateur de tirer sur la corde d’une émotion qu’il manie bien, celle de la douce nostalgie. La beauté frénétique qui se dégage de The French Dispatch invite ainsi à s’évader quelques minutes – qu’on voudrait plus longues.

The French Dispatch, de Wes Anderson, avec Bill Murray, Tilda Swinton, Timothée Chalamat,
Léa Seydoux, en salle depuis le 27 octobre 2021.

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Article rédigé par
Alexia De Mari
Alexia De Mari
Journaliste
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