Critique

Monkey Man : Dev Patel a-t-il réussi son passage à la réalisation ?

17 avril 2024
Par Quentin Moyon
“Monkey Man” est la première réalisation de Dev Patel.
“Monkey Man” est la première réalisation de Dev Patel. ©Universal Studios

L’attente fut grande. Alors que le bruit courait dans les couloirs depuis 2018 que l’acteur oscarisé, Dev Patel, pourrait passer derrière la caméra et réaliser son premier film, il nous aura fallu attendre six ans pour découvrir sur grand écran l’œuvre en question : Monkey Man.

Alain Chabat, Guillaume Canet, Mélanie Laurent, Clint Eastwood ou Jodie Foster. Dev Patel n’est ni le premier, ni le dernier acteur à faire le grand saut de l’autre côté de la caméra, à se servir de son expérience sur les plateaux pour raconter ses propres histoires. Alors, le comédien est-il crédible derrière la caméra ? 

Formé à bonne école

Dev Patel est un grand acteur. Il n’a plus besoin de prouver sa capacité à se plonger dans la psyché d’un personnage ou sa capacité à s’approprier son discours et son histoire avec talent, justesse et passion. 

Il faut dire que, depuis le début de sa carrière, il a fréquenté les plus grands réalisateurs. À commencer par Danny Boyle – en 2009, pour Slumdog Millionaire qui rafle toutes les récompenses –, qui lui donne le premier rôle de son drame. Le personnage de Jamal Malik collera à la peau de l’acteur britannique d’origine indienne, jusqu’alors connu pour Skins (2007).

S’enchaînent alors les apparitions et seconds rôles dans de grosses productions comme Le Dernier Maître de l’air de M. Night Shyamalan (2010), Indian Palace de John Madden (2011), ou encore Chappie (2015) de Neill Blomkamp.

Dev Patel dans Monkey Man. ©Universal Studios

Puis, il enchaîne les premiers rôles, notamment dans L’Homme qui défiait l’infini (2015) aux côtés de Jeremy Irons ou encore Lion (2016) de Garth Davis, dans lequel il donne la réplique à Nicole Kidman et Rooney Mara.

De la comédie au cinéma de science-fiction. Du drame à la fantasy. Des rôles variés dans des styles différents, qui permettent à Dev Patel de parfaire la construction de ses rôles et de mieux appréhender la grammaire cinématographique propre à chaque univers. En somme, il puise dans ce qui se fait de mieux en termes de réalisation et de direction d’acteurs. 

Dev Patel incarne The Kid dans Monkey Man. ©Universal Studios

À sa science de l’acting, Dev Patel a su ajouter une corde très utile à son arc, qui lui a servi dans le cadre de Monkey Man : sa science du combat. Rien de mieux pour un film dans lequel les affrontements à mains nues sont aussi centraux. Dev Patel est d’ailleurs un disciple du taekwondo depuis les années 2000. Avec pas moins de 37 médailles à son actif et une ceinture noire, dur de remettre en cause sa crédibilité dans le secteur.

C’est aussi aux côtés des meilleurs que Dev Patel a eu l’occasion d’appréhender la pertinence des choix esthétiques et la signification des images. En travaillant en 2021 sur le projet The Green Knight de David Lowery, il a eu l’occasion d’être confronté de près à l’ADN du studio A24. Producteur et distributeur de films indépendants à la réussite insolente, A24 est un véritable tsunami qui a déferlé sur Hollywood dans les années 2010 avec des succès comme Room (2015) ou Moonlight (2016). La force du studio ? Sa capacité à faire de son esthétique une marque identifiable, reconnaissable entre mille, où l’usage des lumières et des couleurs a une signification. Mais, surtout, d’affirmer une griffe qui parle à la nouvelle génération de spectateurs. 

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C’est fort de ces expériences – et du soutien d’un producteur et réalisateur confirmé en la personne de Jordan Peele – que Dev Patel s’est attelé à la réalisation de Monkey Man. Mais alors, que vaut le film ?

Monkey Man ? Get Out !

Thriller d’action dans la droite lignée de la saga John Wick, Monkey Man nous plonge dans les artères sombres et dangereuses de Bombay. Kid, interprété brillamment par Dev Patel lui-même, est un jeune homme empli de vengeance qui s’abandonne à sa rage dans des combats clandestins, truqués, où l’argent coule à flots. Grimé sous les traits d’un homme singe, référence à la légende d’Hanuman, il est en quête des criminels qui gouvernent le pays et qui ont décimé sa famille sous ses yeux. 

Malheureusement, Monkey Man ne marche pas. À commencer par l’écriture du personnage de Kid co-écrit par Dev Patel, Paul Angunawela et John Collee. Un anonyme au passé sombre et, disons-le, peu clair, qui empêche toute identification et empathie. On ne s’inquiète jamais de ce qui peut lui arriver et le palpitant ne bronche pas une seule seconde devant ce protagoniste que l’on a pas appris à aimer.

Les autres personnages qui habitent le film sont tous limités à des archétypes vus et revus : Pitobash incarne le sidekick rigolo, Vipin Sharma le mentor, Sobhita Dhulipala la dulcinée, quand Sikandar Kher et Makarand Deshpande jouent les boss finaux du jeu.

Bande-annonce du film Monkey Man.

Un hommage aux jeux vidéo qui se retrouve d’ailleurs dans le montage du film. À l’image des plans subjectifs qui complexifient la lecture de l’action sans apporter de sens, les ruptures temporelles manquent également de clarté et alourdissent le récit, tandis que les néons qui habillent le décor de leur voile verdâtre ou rouge sang ne servent jamais l’intrigue.

La déception se fait encore plus grande devant les scènes de combat qui, cadrées en plans trop rapprochés avec une caméra à l’épaule épileptique, se font illisibles. Pourtant, le combo Dev Patel et sa ceinture noire accompagnés de la science de Brahim Chab – qui a notamment travaillé avec Jackie Chan et Jean-Claude Van Damme – pour chorégraphier les combats aurait dû changer la donne. 

Pour finir, le propos politique du film n’est pas évident. Le cinéma en Inde est, depuis toujours, mais encore plus récemment, un art de la propagande utilisé par les mouvements nationalistes pour asseoir leur légitimité et véhiculer leurs idées. En témoignent certains films comme The Tashkent Files (2019) de Vivek Agnihotri, The Accidental Prime Minister (2019) de Vijay Gutte, jusqu’au succès de RRR (2022).

En opposition à cette tendance, le film de Dev Patel se veut porteur d’une critique véhémente du gouvernement de Narendra Modi et de ses affiliations très à droite, proche du Sangh Parivar et de la figure de Yogi Adityanath, un extrémiste hindou. C’est d’ailleurs la représentation assez évidente de cet homme dans le film qui aurait poussé Netflix hors du projet. 

Bande-annonce de RRR.

Pourtant, ici, la portée politique et humaniste du film de Dev Patel, qui rejette cet entre-soi politico-culturel, n’est claire que pour les personnes déjà informées de la situation géopolitique. Si ce n’est pas le cas, il est fort probable que l’on passe complètement à côté d’un film qui se veut porteur de valeurs positives et engagées (même s’il est bien loin des préceptes de non-violence prônée par Gandhi), nous laissant face à une œuvre d’action sans enjeux et vaguement gore. En comparaison, la saga John Wick, que Monkey Man se plaît d’ailleurs à citer explicitement, a fait mieux sur tous les tableaux. 

Plus “weak” que John

Dans l’opposition Baba Yaga – le surnom de John Wick – contre Baba Shakti, le nom du protagoniste (pas si) fictif pro-hindou, pas de doutes : la saga en quatre films de David Leitch l’emporte par K.O. 

Le propos y est clair et ne nécessite pas de flashbacks répétitifs. Les personnages sont certes froids, mais aussi divinisés. Ils gagnent donc en prestance ce qu’ils perdent en humanité. L’esthétique ésotérique du film s’inscrit pleinement dans la narration où la mafia fonctionne comme un culte, à travers des mythes, des rites et des interdits. Enfin, les combats sont chorégraphiés et filmés à la perfection, nous laissant devant une danse serpentine qui mérite en elle-même de se plonger dans la vie de John.

Bande-annonce du film John Wick.

Bref, John Wick est calibré, là où l’œuvre de Dev Patel pêche par inexpérience. Mais, comme dans tout combat, l’important c’est de se relever et de rebondir. On attend donc le prochain film de Dev Patel avec curiosité. Au risque de tendre l’autre joue ?

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