Entretien

Samuel Le Bihan pour Gueules noires : “Il faut accepter qu’il y a une dimension fantastique dans notre vie”

19 novembre 2023
Par Lisa Muratore
Samuel Lebihan dans “Gueules noires”.
Samuel Lebihan dans “Gueules noires”. ©Florent Grosnom

À l’occasion de la sortie en salle de Gueules noires, le 15 novembre dernier, L’Éclaireur a rencontré Samuel Le Bihan et Amir El Kacem. Construction des personnages, préparation physique ou encore esprit de troupe, le duo d’acteurs revient sur son expérience sur le tournage de ce film de genre signé Mathieu Turi. Interview.

Qu’est-ce qui vous a attirés dans le projet et marqués à la lecture du scénario ? 

Samuel Le Bihan : Ce qui m’a plu, c’est que ce n’était pas enfermé dans du cinéma d’horreur pensé pour les clients du cinéma d’horreur. On sortait du cercle “geek” des spécialistes du genre. Il y a un pont avec le grand public, comme on a pu le voir avec Les Dents de la merAlien, ou encore Le Pacte des loups. Gueules noires est un film de genre, mais on s’inscrit dans une histoire plus large, qui est la quête d’un monde perdu et la découverte d’une civilisation.

Amir El Kacem : On n’a pas l’habitude de voir ce genre d’histoires. C’est vrai qu’au départ, quand on nous parle d’un film de genre, avant même de lire le scénario, on est un peu excité, car c’est tellement rare dans le cinéma français. À la lecture du scénario de Gueules noires, j’étais encore un profane du cinéma de genre, et quand j’ai rencontré Mathieu Turi, il me l’a vendu comme un film d’aventure. C’est cette manière vraiment pédagogique d’expliquer le film qui m’a séduit. 

Amir El Kacem dans Gueules noires. ©Full Time Studios et Marcel Films

Amir, vous vous dites profane vis-à-vis du cinéma de genre. Finalement, cela ne fait-il pas écho à votre personnage qui découvre les mines en France ? 

A. E. K. : Oui, tout à fait ! Je l’ai abordé avec une naïveté volontaire. Je ne voulais pas être hyper renseigné, pour nourrir le choc de mon personnage. Pourtant, j’ai le matériel et j’adore ce cinéma. Même avant d’entrer dans le décor, on pouvait avoir vu tous les reportages sur les mines sur YouTube, une fois que l’on descend et que l’on passe une journée sans avoir vu le soleil, ça nous prend. Il y a vraiment quelque chose d’intéressant qui s’est passé grâce aux conditions de tournage. Ça m’a pris et ça a aidé pour la construction du personnage. 

C’est aussi un film de troupe. Que retenez-vous du tournage avec des acteurs qui viennent d’horizons différents ?  

S. L.B. : Ce qui était super, c’est que c’étaient des acteurs que je ne connaissais pas et qui arrivaient avec beaucoup de personnalité. Celui qui a construit cette solidarité, c’est Mathieu Turi. Il a créé une atmosphère collaborative sur le tournage, c’est-à-dire que l’on s’est très vite sentis inclus dans le processus de fabrication. On n’est pas seulement l’acteur qui vient jouer, on a aussi le sentiment d’apporter sa pierre à l’édifice.

Mathieu Turi réalise Gueules noires, avec Samuel Lebihan.©Florent Grosnom/Alba Films

Que préférez-vous chez vos personnages ? 

A. E. K. : Sa naïveté ! Il arrive dans un monde où personne n’est naïf. Chacun a son caractère et chacun en impose. Amir, c’est le naïf du groupe qui va se transformer, parce qu’au fur et à mesure il va prendre son importance dans le film et il va comprendre que la mort le guette constamment.

S. L.B. : Pour Roland, ce qui me touchait chez lui, c’est que c’est avant tout un homme qui protège ses hommes. C’est un personnage qui est dans l’action et qui est prêt à perdre sa vie pour ce qu’il croit être juste. Avant le travail bien fait, sa priorité, c’est de faire remonter ses hommes vivants. Il y a des êtres qui sont dans l’altruisme et la protection des autres, tout en ayant la valeur travail et le sens des responsabilités.

« J’aime aussi le message derrière : le monde ne se définit pas que par ce que l’on connaît. Il faut accepter qu’il y a une dimension fantastique dans notre vie. »

Samuel Lebihan

C’est une valeur que j’ai beaucoup vue chez les générations avant la mienne. Ce sont des gens qui ont connu la guerre. J’ai beaucoup entendu parler de cette période où on s’est privé et où on a eu peur de la mort. Il en ressort une espèce de dureté, de force, d’acceptation du sacrifice, d’acceptation de la douleur. Roland incarne tout cela. C’est intéressant qu’à travers un film de genre, on mette ce personnage – qui appartient à une autre génération – en avant.

C’était important pour vous que ce cinéma de genre se mélange au réalisme des conditions minières des années 1950 ? 

S. L.B. : Cette industrie était à son apogée dans les années 1950. Mathieu avait besoin de ça pour inscrire son histoire dans cette civilisation perdue qu’ils vont découvrir et qui, selon moi, crée un décalage par rapport à d’autres films de genre. Ce décor donne un autre parfum. 

Le cadre des mines a-t-il également engagé votre corps, physiquement ?

S. L.B. : Ça demandait beaucoup d’engagement. C’est vraiment un film qui a exigé énormément de temps. Il faisait très froid et le seul moment où l’on oubliait le froid, c’était dès que l’on jouait. Il y avait des conditions difficiles, mais c’est ce qu’impose l’histoire. Pour incarner Roland, je me suis également entraîné, j’ai fait beaucoup de sport. Il fallait avoir cette réalité physique, il fallait que j’éprouve mon corps physiquement. 

A. E. K. : On a subi le décor, il était plus fort que nous. On est tous tombés malades, on était dans le froid, dans le noir. On n’avait pas besoin de jouer, on était déjà énervés, car quand vous mettez cinq personnes dans le noir avec juste des lampes, l’être humain se tend. Il y a quelque chose de grégaire et d’animal. 

Gueules noires. ©Full Time Studios et Marcel Films

C’est très bien pour ce que l’on a à raconter. Le décor nous a tellement démontés physiquement et moralement que quand on est à deux doigts de s’arracher la tronche, je pense qu’il y a 50 % de vérité [rires]. Cette tension et cette fatigue nous ont beaucoup aidés. Ça aurait été plus dur pour nous de donner tout ce que l’on a donné dans un décor recréé.

Comment vous êtes-vous préparés à l’enfermement et à l’obscurité ? 

S. L.B. : Au bout d’un moment, j’ai trouvé ce noir profond rassurant. Au début, vous êtes dans le noir avec tous vos fantasmes qui font ressortir une peur animale et primaire. Puis, à un moment donné, mon esprit, mon imagination se sont calmés. Le noir de la nuit avait quelque chose d’extrêmement rassurant. Un peu, peut-être, comme quand on est dans le ventre de sa mère. Je ne sais pas si ça m’a ramené à cela, mais étonnamment, je trouvais cela chaleureux. 

« Le travail qui a été fait est très intéressant et, pour moi, c’est motivant pour le genre en France. C’est comme si ça envoyait un message pour dire que c’est possible, ici, et que l’on peut intégrer tout cela à notre culture cinématographique. » 

Amir El Kacem

Je m’amusais à me perdre dans les galeries, à éteindre la lumière et voir ce que ça donne dans le noir total. Au début, j’avais de vraies frayeurs autour des monstres, des fantômes, de la mort, de l’inconnu. À force d’y être tous les jours, tu l’apprivoises et ça devient rassurant. 

Le film a été très artisanal, notamment vis-à-vis de la créature qui était sur le plateau avec vous. Quel effet cela vous a-t-il fait ? 

S. L.B. : Sur le décor, j’ai tout de suite été renvoyé à quelque chose de réel. J’avais une référence émotionnelle, car j’y croyais. Mon corps a intégré quelque chose d’une vraie civilisation qui a existé. Je pouvais ressentir la sensation de cette découverte. Avec la créature, c’était quelque chose de plus factice. Ça te renvoie à tes plus grandes peurs. On voulait expérimenter des choses avec Mathieu et essayer de trouver des références sur des réalités qui pourraient coller.

Bruno Sanches dans Gueules noires. ©Florent Grosnom/Alba Films

On a la sensation que le tournage a été très libre. 

S. L.B. : Mathieu écoute beaucoup. Il sait ce qu’il veut, mais ce qui est agréable, c’est qu’il écoute aussi plein de propositions qui viennent des acteurs, qui viennent de la lumière, qui viennent du cadre, qui viennent de la décoration. En permanence, il est à l’écoute des meilleures idées et donc on peut tenter des choses. 

A. E. K. : Mathieu est très organique. Il réagit en fonction de ce qu’il reçoit. Il n’a aucune feuille de route, parce qu’il sait que ça va bouger. Je pense qu’il l’avait bien anticipé. D’ailleurs, je me souviens, au rendez-vous, il m’a dit : “Ça va être dur.” Mais je ne m’attendais pas à cela. Lui savait très bien que j’allais subir [rires] ! Il nous guidait, comme un curseur. Il savait qu’on allait envoyer et il nous demandait juste à l’oreille : “Tu peux être moins intense, juste un tout petit peu moins, parce qu’après c’est une scène encore plus intense.”

Qu’est-ce qui a rendu le tournage de Gueules noires si unique ? 

S. L.B. : J’ai apprécié l’engagement du groupe dans la difficulté. Dans l’épreuve, les hommes se réunissent et là, il y avait une espèce d’épreuve dans la difficulté du tournage, non pas du point de vue humain, mais vraiment du point de vue des conditions, parce qu’on a eu très froid. Ça a créé un effet de solidarité, qui existe parce que Mathieu vous inclut dans le processus de création. Ce que je retiens, c’est une énergie de groupe créée par un réalisateur.

A. E. K. : Honnêtement, c’est grâce à la bête, c’est une création totale. Les équipes ont passé un nombre incalculable d’heures à l’imaginer et à l’assembler. Rien que pour cela, le film et son tournage sont particuliers. La bête existe, elle est là sur le plateau avec nous. On a travaillé le moins possible sur fond vert, tout est en décor réel – la mine, la grotte, les casques, la lumière… On a vraiment voulu miser au maximum sur l’effet naturel et notre jeu.

Bande-annonce de Gueules noires de Mathieu Turi.

Le travail qui a été fait est très intéressant et, pour moi, c’est motivant pour le genre en France. C’est comme si ça envoyait un message pour dire que c’est possible, ici, et que l’on peut intégrer tout cela à notre culture cinématographique.

Qu’est-ce que vous espérez que ce film suscite chez le spectateur en salle ?

S. L.B. : J’aimerais qu’il voie un vrai film d’aventure. Il y a de la frayeur, mais c’est plus que ça, car on va découvrir un autre monde, des légendes qui deviennent réalité, l’amitié de ces hommes, l’entraide, la volonté de survivre. On a une tendresse pour ces hommes. J’aime aussi le message derrière : le monde ne se définit pas que par ce que l’on connaît. Il faut accepter qu’il y a une dimension fantastique dans notre vie. Je trouve que ce film fait une proposition mystique avec la créature. Peu importe d’où elle vient finalement. Ça fait partie de l’inconnu et l’inconnu fait partie aussi de notre existence. Pour moi, ce film fait écho à l’acceptation de notre imaginaire.

Quelles ont été vos références pour vous emparer de cette histoire ? 

S. L.B. : C’est surtout les lectures. Mathieu, pour bien comprendre comment il fonctionne, m’a donné plusieurs livres de Lovecraft. C’était la plus belle nourriture qu’il pouvait me donner. Tout d’un coup, je comprenais ce qu’il avait envie de me dire et j’ouvrais des portes sur des imaginaires que j’avais un peu cloisonnés avec le temps. Je pense que quand on est enfant, on est prêt à tout croire et, en passant à l’âge adulte, on doit se responsabiliser. Finalement, la part de l’imaginaire se réduit dans les sources d’inspiration. J’ai aussi regardé beaucoup de documentaires sur les mineurs français et leurs conditions de travail. Pour Roland, j’ai écouté les souvenirs des hommes de ma famille. 

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Avez-vous une recommandation culturelle qui vous a marqué récemment ? 

S. L.B. : J’ai beaucoup aimé le livre de Justine Lévy, Son fils, sur Antonin Artaud. Elle interprète la mère d’Antonin Artaud, elle crée un journal de la mère. J’ai trouvé ça extrêmement émouvant. C’est un livre très agréable à lire. On découvre les surréalistes. Antonin Artaud est un personnage atypique, à moitié fou, qui en même temps est extrêmement créatif, très beau aussi. Sa mère veut le sortir de l’asile. C’est l’amour d’une mère pour un enfant invivable, mais génial !

A. E. K. : Après le tournage de Gueules noires, je me suis refait toute la saga Alien. Ça n’a pas bougé, car quand ils l’ont tourné, j’en suis sûr, la créature est fake ! Ce parti pris fait que ça fonctionne. Cet univers-là, il est important et il y a des vrais codes parce qu’ils assument le fait que le monstre soit comme ça. Je me suis replongé dedans et je ne les regarde plus de la même manière depuis Gueules noires

Gueules noires, de Mathieu Turi, avec Samuel Lebihan et Amir El Kacem, 1h43, depuis le 15 novembre au cinéma.

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Article rédigé par
Lisa Muratore
Lisa Muratore
Journaliste