À Mouthe, le village le plus froid de France, un écrivain cherche l’inspiration, ses origines et un serial-killer passionné de peinture. L’auteur-réalisateur du film Poupoupidou adapte librement et avec grande ingéniosité sa propre création en série, toujours avec Jean-Paul Rouve. Verdict : Polar Park est une sacrée réussite et a tout pour réchauffer son public.
Ici, l’auteur de série et de polar agit un peu comme le ferait un tueur en série sadique : au premier épisode, il vous attache, au deuxième, il vous torture, au troisième, il continue, encore et encore, de cliffhanger en cliffhanger. Il ne veut pas vous achever tout de suite. Trop rapide, trop simple, trop évident. Ce qu’il aime, c’est vous retenir, vous contrôler. C’est jouer avec vous. Dans un thriller, une enquête, rien ne doit être évident. Ni trop simple. Ni trop rapide. La surprise doit saisir le spectateur. Dans Seven, le tueur lui-même se rend à la police.
Un vertige de plusieurs dizaines de minutes auquel personne ne pouvait s’attendre s’empare alors des spectateurs. Le même réalisateur malmène toutes formes de convictions dans The Game, Fight Club, Gone Girl… Il aime nous manipuler comme nous semblons adorer l’être. Dans Usual Suspect, en quelques pas dans la rue, d’une cheville boiteuse à un pied qui s’ancre avec assurance dans le bitume, l’auteur déjoue tout ce que le spectateur a bien voulu croire depuis le début. Pas la peine de lister tous les rebondissements de l’histoire du cinéma, vous avez l’idée.
Oreille coupée et moine décédé
L’auteur-réalisateur Gérald Hustache-Mathieu s’est délecté toute son enfance, toute sa jeunesse, toute sa vie d’adulte de ces jeux de dupe. Il vient de là, de ce cinéma qui mène sur des chemins insoupçonnés, ces œuvres qui nous baladent d’un bout à l’autre. Il a, lui aussi, été ce type crédule.
Avant de devenir à son tour grand maître-mystificateur, il s’est gavé sans modération du cinéma de Fincher, de Lynch, des frères Coen ou encore de Fellini. « Je suis tombé dans la potion magique quand j’étais petit, s’amuse l’espiègle réalisateur. Columbo, Happy Days, Starsky et Hutch, Twin Peaks, X-Files, les Coen, Breaking Bad… Quand j’écris, c’est naturel, ces images-là font partie de moi. Ce sont les ingrédients avec lesquels je cuisine. »
Ces influences, auxquelles s’ajoute une admiration sans bornes pour les grands peintres, enveloppent la série Polar Park, autoremake en toute liberté de son film sorti en 2011, Poupoupidou. Dans les dialogues, dans les détails des décors, dans la cinématographie, dans les contours des personnages, dans la narration. Dans l’audace et la malice. Dans le suspense et le mystère.
Le mystère… L’écrivain-star David Rousseau, porté par un Jean-Paul Rouve grand de nonchalance et de perspicacité, dont le regard sans cesse cherche à percer la carapace de son interlocuteur, l’a travaillé et sculpté pendant des années à travers le personnage d’enquêteur scandinave qu’il a créé. L’encre a coulé, puis la source s’est tarie.
David Rousseau ne sait plus vraiment quoi écrire et l’ouvrage historique dont il rêve sur le Ku Klux Klan n’anime que lui. C’est peut-être à Mouthe, village réputé comme étant le plus froid de France, dans le Doubs, à la frontière suisse, qu’il retrouvera de quoi noircir ses pages. Il y a été contacté par un moine qui prévoyait de lui révéler le grand secret de ses origines. Chou blanc, pas de bol, voie sans issue : à son arrivée dans le monastère, ledit moine se trouvait entre quatre planches de bois, on ne peut plus prêt à redevenir poussière.
Une première surprise avant de nombreuses autres, jusqu’aux plus morbides. Le matin même de son arrivée, une gamine trouvait dans un parc naturel, à la surface de la neige, une oreille coupée. Le soir même, les gendarmes du coin menés par le persévérant adjudant Louvetot, fan du FBI, trouvaient un corps.
Une scène de crime à la mise en scène ô combien macabre : la victime était disposée et grimée comme Vincent Van Gogh dans son autoportrait à l’oreille coupée. En fond sonore, de l’opéra. À côté du cadavre, une carte, un message, un numéro. Parfait pour l’auteur de polar à sec, qui s’empresse de farfouiller sans gêne dans les jambes affairées des autorités publiques. L’auteur, avide de sensations et d’enjeux narratifs à s’approprier, petit à petit, se glisse dans la peau du héros flic qu’il a fait vivre de ses mots. Jusqu’à confondre les professions de l’un et de l’autre.
Fargo et Marilyn Monroe
Des moines un peu trop secrets, une mère qui n’a jamais tout dit, une professeure de français fan et pot de colle, un chaman isolé dont on ne sait rien, un gendarme très – trop – cartésien, homosexuel qui se cache, une jeune chanteuse à la voix de velours et au regard clair, très clair, un tueur en série passionné de grand art et d’énigmes…
Le tout dans le village le plus froid de France et secoué d’absurde, de loufoque, de poésie, toujours à parfait mi-chemin entre la comédie et le thriller : Polar Park donne à voir l’ampleur du talent d’un auteur aux références et à l’obsession du détail plus qu’assumées.
Un travail habité et singulier, une esthétique marquée, très pop et colorée, que Gérald Hustache-Mathieu donnait déjà à voir dans Poupoupidou, dans lequel un certain David Rousseau, porté par Jean-Paul Rouve, enquêtait sur la mort d’une jeune femme à l’aura de Marilyn Monroe, idole qu’on retrouve plus ou moins, vous verrez, dans Polar Park… Obsessionnel, le bonhomme ? Évidemment.
Depuis qu’il a découvert Mouthe dans un reportage sur Canal+, Hustache-Mathieu ne parvient plus à s’en défaire : « J’ai grandi à Grenoble. Je suis un provincial et Mouthe exacerbe cela. » Il a beau avoir fait des repérages ailleurs, il a toujours à nouveau atterri dans le Doubs, à la frontière suisse, territoire qu’il parvient à rendre exotique et dont il fait un théâtre captivant, à la manière évidente d’un Fargo des Frères Coen, chez qui il puise la tenue de ses gendarmes, entre autres. « Je ne comprends pas tout ce qu’il fait, reconnaît Jean-Paul Rouve. Mais il m’étonne à chaque fois ! »
Gérald Hustache-Mathieu travaille comme un artisan, comme un peintre qui pose son pinceau ici et là pour faire évoluer des nuances de couleurs : « On tourne assez vite avec Gérald, assure Jean-Paul Rouve. Mais il prend beaucoup de temps à préparer ses plans. Il compose. Comme des tableaux. C’est rare. Et j’adore me moquer de lui : il peut prendre le petit gobelet dans un coin et dire que le rouge de la petite étiquette ne lui va pas, il veut un autre rouge. Et puis, finalement, il veut du bleu. Il ne te regarde pas jouer, il regarde le truc au fond derrière qui l’énerve depuis dix minutes. On l’appelait Rain Man. »
Gérald Hustache-Mathieu assume : « Cette obsession a même bloqué le tournage. Une photo dans un cadre n’allait pas, elle était trop petite. Mais c’était une référence à Laura Palmer [héroïne malgré elle pour le moins mystérieuse de Twin Peaks de David Lynch, ndlr]. Ça n’allait pas, j’étais dans l’incapacité de tourner, tout s’effondrait ! »
Poème loufoque
Cette minutie habite l’ensemble de Polar Park. Une méticulosité essentielle pour équilibrer humour et suspense. Dans la série, on rigole souvent, mais sans jamais perdre de vue l’enquête qui conserve toute sa saveur sombre. Les personnages, quant à eux, toujours sont sérieux. C’est le décalage entre leur attitude appliquée, consciencieuse, réfléchie et les péripéties auxquelles ils sont confrontés qui crée le burlesque, le saugrenu.
Au-delà du polar, le show prend des allures parfois de long poème loufoque dont l’ambiance, les couleurs, les découvertes, les monologues sur la création, la puissance de la fiction, l’existence composent un tableau chaleureux, divertissant, référencé, touchant. Enivrant.
Rouve n’a pas été difficile à convaincre pour s’embarquer dans cette série librement adaptée d’un film qu’il avait déjà tourné. Il paraît même qu’il serait partant pour une saison 2. L’auteur y pense. Mais l’acteur se permet une exigence : « Au soleil, cette fois, s’il te plaît ! » En témoigne Polar Park, malgré ces obsessions polaires, Gérald Hustache-Mathieu dispose du génie nécessaire pour s’amuser et nous emmener même sous des températures plus clémentes.