Alors que le Festival d’Avignon touche à sa fin, découvrez les performances qui ont marqué cette édition 2023 et les créations à suivre de près.
Comme chaque année depuis 1947, Avignon se transforme en un théâtre ouvert en accueillant deux festivals : le In, soit 44 propositions, et le Off, rassemblant près de 1500 spectacles. L’un est subventionné par la ville, la région et l’État, tandis que l’autre réunit des compagnies non « triées » au préalable. Théâtre, danse et autres formes hybrides…
Comédiens et comédiennes s’installent au sein de la cité des Papes pour le plus grand bonheur du public. Et si certaines propositions divisent, on souligne, pour reprendre les mots du nouveau directeur Tiago Rodrigues prononcés en juin dernier au micro de France Inter, « la capacité des artistes à regarder la vulnérabilité dans le monde : regarder avec une hypersensibilité cette vulnérabilité, être encore capable de créer, d’inventer… c’est participer à une forme d’invulnérabilité humaine ».
Le Festival d’Avignon en In
1 Écrire sa vie de Pauline Bayle
Coté In, on remarque une tendance pour cette 77e édition : les metteurs en scène portent au plateau de grands chefs d’œuvres artistiques, n’appartenant pas nécessairement au répertoire dramatique. La directrice du Théâtre Public de Montreuil, Pauline Bayle, a par exemple montré à Avignon Écrire sa vie, une pièce composée d’après plusieurs récits de Virginia Woolf. Depuis l’innocence de l’enfance jusqu’au désenchantement de l’âge adulte, une bande d’amis explore le chaos du monde à coup d’envolées lyriques, et rappelle que « les plus beaux récits commencent souvent par un naufrage ».
Écrire sa vie, au Théâtre Public de Montreuil du 26 septembre au 21 octobre, puis en tournée à Tarbes, Toulon, Châtillon Clamart, Dijon et Lyon.
2 Jardin des délices de Philippe Quesne
Philippe Quesne s’inspire quant à lui du tableau visionnaire de Jérôme Bosch. Au sein de la Carrière de Boulbon – un lieu qui n’avait pas été utilisé depuis sept ans – il présentait le Jardin des délices, un western contemporain sur fond de folie douce.
Jardin des délices, au Théâtre de la Ville, à Paris, du 20 au 25 octobre.
3 Exit Above, after the tempest d’Anne Teresa De Keersmaeker
La chorégraphe belge Anne Teresa De Keersmaeker a choisi de rendre hommage au bluesman Robert Johnson, tout en s’inspirant de La Tempête de William Shakespeare. Dans Exit Above, after the tempest, elle s’interroge : la marche ne serait-elle pas la première des danses ? Un lâcher-prise qui invite tous spectateurs épris de liberté à se lever.
Exit Above, after the tempest, au Théâtre de la Ville, à Paris, du 25 au 31 octobre.
4 Extinction de Julien Gosselin
C’est d’ailleurs ce que ne cesse de faire Julien Gosselin au plateau, courir après la liberté. Avec son nouveau spectacle-fleuve intitulé Extinction, bâti à partir des œuvres de Thomas Bernhard, Arthur Schnitzler et Hugo Von Hofmannsthal, le metteur en scène continue d’éclater les frontières entre le théâtre, la littérature, le cinéma et la musique. Comment vivre dans un monde dont on connaît sa finitude ? On boit et on se déhanche sur scène à l’occasion d’un concert électro ouvert à tous – premier volet de son triptyque apocalyptique.
Le sublime se confronte à l’horreur dans une deuxième partie de tragédie viennoise où la drogue, l’adultère, le suicide et le meurtre apparaissent comme les nouvelles règles de conduite. Si la fin du monde est assumée, un monologue final continue d’achever les spectateurs : qu’advient-il après la destruction ? « Les mots deviennent des yeux qui me fixent ». Cette tirade prononcée par l’une des actrices résonne encore…
Extinction, au Théâtre de la Ville, à Paris du 29 novembre au 6 décembre.
Le son au cœur du Off d’Avignon
Des formes hybrides, interrogeant également la notion de vulnérabilité et notre présence au monde. La rédaction de L’Éclaireur rassemble ici des performances où le son occupe une place toute particulière.
1 Vox Populi de Sophie Dufouleur
Et si vous commenciez votre journée avec Vox Populi, une expérience immersive de 30 minutes mêlant témoignages, performance live et création sonores ? Quelques transats et casques audios plantent le décor : pour écouter, il faut être bien installés. Ici, on prend le temps de capter les bruits du monde, les confidences de celles et ceux qui, au prétexte d’une expression (« Trouillomètre à zéro », « Mathusalem », « À fleur de peau », « Partir en vadrouille », « On n’est pas aux pièces », « Vent debout ») racontent leur quotidien, partagent des instantanés de vie, tantôt intimes, tantôt anecdotiques, et toujours inspirés et inspirants.
Le voyage électro acoustique se prolonge ensuite dans une caravane, agencée pour l’occasion en cabine Photomaton. Là, les mots récoltés prennent chair, et la comédienne déclame sa propre confidence. Sophie Dufouleur et son équipe signent là une belle expérience où l’intime et le collectif se mêlent et s’entremêlent. On ne redécouvre pas seulement des expressions, on laisse « la parole de l’autre ricocher sur nous », pour reprendre les mots de la comédienne et directrice artistique.
Vox populi instantanés de vie en photomaton, Présence Pasteur (Avignon) à 10 heures et 17 heures jusqu’au 28 juillet.
2 Kit de survie en territoire masculiniste d’Audrey Bersier, Maxine Reys et Marion Thomas
Avec Kit de survie en territoire masculiniste (sélection suisse en Avignon), Audrey Bersier, Maxine Reys et Marion Thomas reviennent aux fondements invoqués par Jean Vilar à la création du festival : « redonner au théâtre, à l’art collectif, un lieu autre que le huis clos ». Et c’est par l’audio qu’elles embarquent les participants dans les rues d’Avignon. Armés d’un casque, on suit (voire même on devient) une femme confrontée à la vision d’incels.
Les « incels » ? Ce sont les involuntary celibates, des hommes hétérosexuels qui se retrouvent sur des forums pour partager leur haine commune des femmes et leur jalousie envers ceux qui réussissent. Une voix féminine nous rapporte des points de vue pour l’essentiel masculinistes. Empathie, colère, puis indignation. Les paroles glanées sur Internet sont aussi violentes que les chiffres et rendent compte des maux de nos sociétés présents dans l’espace urbain comme virtuel. Une balade sonore qui n’a rien de tranquille.
Kit de survie en territoire masculiniste, à la Manufacture (Avignon) à 18 heures et 20 heures puis du 23 au 26 août à Aurillac et du 24 au 25 septembre à Tallinn, en Estonie.
3 Corps sonores de Massimo Fusco et Fabien Almakiewicz
En quête de douceur ? Rapprochez-vous de Massimo Fusco et Fabien Almakiewicz et laissez-vous partir, lovés au creux de coussins-galets confortables. Les deux danseurs masseurs utilisent leurs corps pour soulager et chérir ceux du public. En fond, une nappe sonore. Il est aussi possible de porter un casque à ses oreilles. Là, des enfants nous murmurent quelques-unes de leurs réflexions quant à leur rapport au corps.
Tentatives de descriptions, premières blessures, ou souvenirs des premiers amours, ils nous bercent et nous accompagnent dans cette expérience sensorielle. Et s’il était temps de s’abandonner un instant ? De se reconnecter, véritablement, à son propre corps ? Plus qu’une expérience immersive, Massimo Fusco imagine avec Corps sonores un droit à l’évasion, et à la rêverie. C’est tout simplement délicieux !
Corps sonores, le 1er octobre au Théâtre Fontenay-le-Fleury, le 7 octobre à Port-de-Bouc, le 17 et 18 novembre à Pantin, les 23, 24 et 25 novembre à Sevran, du 4 au 9 décembre à Roubaix.
4 Simple d’Ayelen Parolin
Parfois, nul besoin de son pour écouter pulser son corps. Dans Simple, la chorégraphe Ayelen Parolin se prive de musique. Les trois interprètes du spectacle vont créer du rythme à partir d’eux-mêmes. Un jeu fait de frictions et d’imagination.
Simple, au Théâtre Chaillot, à Paris, du 23 au 25 mars.
5 Lumen texte
Dernière belle découverte enfin, Lumen texte. Dans ce « personne-en-scène », pas de son, ni acteur. C’est dans nos esprits que les mots sonnent et résonnent. « Il n’y aura que moi pour réaliser ce spectacle ». Et le « moi » est un écran. Pendant environ une heure, on joue avec les mots, leurs sens, et leurs corps, et on finit même par applaudir un écran blanc !
Lumen texte, au Train Bleu (Avignon) jusqu’au 26 juillet, à 11h30.