Décryptage

Troisième âge au septième ciel : quand les séries envoient les tabous en l’air

30 juillet 2023
Par Héloïse Decarre
Dans ”Nona et ses filles”, le personnage campé par Miou-Miou, pourtant âgée de 70 ans, tombe enceinte, tout en laissant le mystère planer sur l’identité du père.
Dans ”Nona et ses filles”, le personnage campé par Miou-Miou, pourtant âgée de 70 ans, tombe enceinte, tout en laissant le mystère planer sur l’identité du père. ©Arte, Stéphanie Branchu

Quand papi et mamie font la sieste, difficile d’imaginer qu’elle puisse être crapuleuse… Pourtant, la majorité des seniors auraient encore une vie sexuelle. Brisant les tabous, le petit écran s’empare petit à petit du sujet. Loin des clichés, les séries montrent des « vieux » sexuellement actifs, et ça fait du bien.

Même Pedro Almodovar l’a admis lors d’un entretien avec France Inter en juin dernier : « Il est rare de voir au cinéma des corps plus âgés jouir de ce merveilleux don de la nature qu’est la sexualité ». Dans son dernier film, Strange Way of Life (en salle dès le 16 août), le cinéaste est pourtant loin d’être radical. Certes, il met en scène le désir de deux personnages plus tout jeunes, mais ses héros n’ont pas plus de 55 ans. Faire plus audacieux serait-il trop risqué, même pour le maître du septième art ?

Pedro Almodovar regrette le fait que la sexualité des séniors ne soit pas assez abordée dans le septième art, mais les héros de son dernier film, Strange Way of Life, ont moins de 60 ans et le physique de Pedro Pascal et Ethan Hawke.©Iglesias Mas / El Deseo

En faisant le tour des ciné-clubs senior de la capitale, le tabou saute en tout cas aux yeux. Quand on interroge les plus de 60 ans sur l’importance pour eux de la représentation de leurs pratiques sexuelles dans les fictions audiovisuelles, leurs langues ne se délient pas. Le sujet embarrasse.

Pourtant, selon Radio France, 74 % des personnes de plus 60 ans auraient encore des relations sexuelles, et 71% des séniors estimeraient qu’un corps qui vieillit peut rester désirable. Plus étonnant encore, 10% des résidents de maisons de retraite auraient une sexualité active.

La sexualité des personnes âgées, un tabou instinctif lié à la peur du corps qui change

Si le cinéma est encore frileux, c’est peut-être le format sériel qui brisera le silence sur la question. Le sujet s’impose effectivement de plus en plus dans les séries, de Grace et Frankie (l’histoire de deux septuagénaires colocataires découvrant que leurs maris sont amants depuis plus de 20 ans) en passant par La méthode Kominsky (où un professeur de théâtre octogénaire se retrouve confronté aux affres de l’âge et, donc, à la diminution de ses capacités sexuelles), jusqu’à Nona et ses filles (qui raconte l’histoire d’une femme de 70 ans tombant enceinte, sans certitude sur l’identité du père de son enfant).

Dans La méthode Kominsky, Michael Douglas incarne un professeur de théâtre dont la vie sexuelle est affectée par son vieillissement.©Netflix

Dernier exemple en date : Septième Ciel, série française lauréate du prix de la meilleure série de 26 minutes au Festival de la Fiction à La Rochelle l’année dernière. Diffusée sur OCS, elle met en scène la rencontre de Jacques et Rose, deux résidents d’un EHPAD tombant follement amoureux l’un de l’autre.

Pour Sylvie Granotier, qui incarne Rose à l’écran, « les enfants ont un mal de chien à se représenter la sexualité de leurs parents : il y a un tabou absolument énorme et instinctif, qui perdure même adulte, sur la sexualité de ceux qui nous ont, pourtant, engendré en faisant l’amour… ».

Dans la série française Septième Ciel, Rose et Jacques vivent une romance sentimentale et charnelle au sein même de leur EHPAD.©OCS

Alice Vial, scénariste et réalisatrice de la série, souligne que « le tabou est lié au fait que l’on montre beaucoup de corps beaux, jeunes, musclés, ce qui fait que le corps vieillissant ne fait pas partie de ce que l’on considère comme montrable ». En plus de cette peur du corps qui change, la créatrice ajoute que l’on « associe les personnes âgées à la mort, à une sorte de descente aux enfers », où la sexualité n’a donc pas sa place.

Une vision qui a posé quelques problèmes à l’équipe de production de Septième Ciel, notamment lors de la recherche de diffuseurs. « Certains appréciaient le projet, mais avaient trop peur de choquer » explique Alice Vial. « Il y avait un aspect financier : ils se disaient qu’il n’y aurait pas
d’audimat »
. C’est finalement OCS qui franchit le pas, séduit par un casting, conquis par le sujet.

Grace (Jane Fonda) et Frankie (Lily Tomlin) réalisent, dans la série portant leurs prénoms, que leurs maris sont amants depuis toujours, alors qu’elles sont septuagénaires.©Netflix

« Je n’ai pas hésité une seconde, au contraire ! «  assure de son côté Sylvie Granotier. « C’était une évidence, et je crois que j’ai rarement eu autant envie de faire un rôle ». L’entourage de la comédienne s’est tout de même, initialement, posé quelques questions. « Mon agent m’a appelée en me disant : ”Je suis très embêtée, on te propose un rôle dans un EHPAD”, s’amuse-t-elle. « C’était par délicatesse et par précaution : elle avait peur que je sois choquée. Mais j’assume mon âge et ça ne m’a jamais posé aucun problème ».

Des histoires pas si fictives que ça

Concernant les scènes d’amour, l’actrice confie avoir eu « une confiance absolue dans la réalisatrice », tout en rappelant qu’elles sont « extrêmement pudiques ». Le tournage de ces instants charnels a aussi été facilité par la bonne entente avec son partenaire de jeu, Féodor Atkine, campant le rôle de Jacques. « Pour lui comme pour moi, nos âges et nos corps ne sont pas un souci, donc il n’y avait pas de pudeur liée à un complexe », se réjouit Sylvie Granotier.

Pour diriger ces scènes, Alice Vial affirme avoir procédé de la même façon qu’elle l’aurait fait avec un couple plus jeune. Elle explique que si le budget ne permettait pas d’engager une coordinatrice ou un coordinateur d’intimité, « nous avons précisé aux acteurs qu’il y aurait peu de gens dans la pièce, nous leur avons demandé ce qui les gênait, quelle partie du corps ils ne souhaitaient pas montrer… »

Bien sûr, le but n’était pas d’être provocant. « Nous n’avions pas envie de faire une série où l’on voit scène charnelle sur scène charnelle : c’est aussi une histoire d’amour », rappelle Alice Vial. Pour la scénariste comme pour la comédienne, l’intérêt réside avant tout dans le fait de rendre visibles des pratiques qui existent en fait depuis fort longtemps. En effet, l’intrigue de Septième Ciel est inspirée de véritables histoires. Le concept même de la série provient de l’expérience de sa créatrice, Clémence Azincourt, et notamment de ses visites à ses grands-parents en EHPAD.

« En allant les voir, elle s’est rendu compte qu’il se passait des trucs complètement dingues » sourit Alice Vial. « En arrivant un matin, elle a appris qu’une résidente avait été retrouvée dans la chambre d’un autre résident ». En faisant plus de recherches, Clémence Azincourt découvre qu’aux États-Unis, ce n’est rien de moins qu’une épidémie de syphilis qui s’est déclarée dans une maison de retraite. « En discutant, on s’est dit qu’il y avait un terrain fantastique de fiction à aller explorer », se souvient Alice Vial.

Vieux, mais toujours en vie

Dans leur recherche de réalisme, les cocréatrices de la série font aussi appel à Manon Cerdan, une ancienne directrice d’EHPAD ayant écrit une thèse sur l’intimité des personnes âgées dans les films et séries, en tant que consultante. Certaines anecdotes de la série proviennent donc d’authentiques témoignages, mais Alice Vial tempère : « Nous ne cherchions pas un hyper réalisme ou une approche très documentaire, avec des gens de 90 ans vraiment très abîmés physiquement, très fatigués… Nous voulions que le spectateur puisse rêver, se projeter… Donc nous avons plutôt regardé du côté de Grace et Frankie que de Amour d’Haneke », résume-t-elle.

Annulée après une seule saison, Tell Me You Love Me avait le défaut de représenter des scènes de sexe très crues, mettant en scène de jeunes personnages, mais beaucoup plus prudes en ce qui concerne les protagonistes plus âgés©HBO

Au-delà de la sexualité, les créatrices de la série espèrent transmettre un message d’espoir, montrant que l’on peut être vieux, mais bien vivant. « J’entends parfois des gens d’à peine 60 ans, séparés ou veufs, dire que pour eux tout est terminé, que c’est trop tard pour qu’ils rencontrent quelqu’un… C’est triste, parce que ce n’est pas vrai ! », estime Alice Vial.

Dans une époque où le regard sur le corps est en pleine mutation et où la recherche de diversité est constante, il est donc capital que les œuvres de fiction remodèlent aussi les clichés visant le troisième âge. « Trop souvent, dans les fictions, on utilise les personnes âgées soit dans les comédies comme un apport de ridicule, soit dans une espèce de tristesse résignée, une absence de vie… Or, les vieux sont aussi divers que les hommes et les femmes à tous les âges ! », conclut Sylvie Granotier.

Pour les créatrices de Septième Ciel, il est nécessaire de représenter la sexualité des personnes âgées dans un souci de diversité et pour prouver que la vie ne s’arrête pas à 60 ans.©OCS

De la même façon que l’on représente de plus en plus les personnes racisées, certaines pathologies mentales ou physiques, ou différentes orientations sexuelles, il est donc important de rappeler que les personnes âgées font aussi partie de la société. Et pour aller encore plus loin, l’équipe de Septième Ciel prévoit une suite qui pourrait aborder l’amour et la sexualité des seniors hors du couple hétéronormé. Un autre argument pour prouver qu’après tout, l’âge est avant tout synonyme de libération.

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Article rédigé par
Héloïse Decarre
Héloïse Decarre
Journaliste
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