Jeune & Golri est de retour pour une deuxième saison, diffusée à partir de ce 8 juin sur OCS. Pour l’occasion, on a rencontré sa créatrice et réalisatrice, Agnès Hurstel, aussi connue pour incarner la génialissime Prune.
C’est l’un de nos plus gros coups de cœur de ces dernières années. Sacrée meilleure série de la compétition française à Series Mania en 2021, Jeune & Golri est une production ultradrôle et sensible. Après une première saison étonnante et audacieuse, Agnès Hurstel revient avec une deuxième salve qu’elle a écrite et réalisée. Rencontre avec une artiste passionnante et passionnée, qui est prête à « niquer le système de l’intérieur ».
Vous avez créé, écrit et joué dans la première saison de Jeune & Golri. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous lancer dans cette aventure ?
En 2018, je faisais du stand-up et je trouvais ça à la fois génial et très dur. Le fait d’écrire, de jouer et de prendre l’énergie du public en étant seule était un exercice très bizarre. Je venais du théâtre, donc ça me paraissait étrange et je ressentais le besoin d’être entourée. C’était aussi l’époque de #MeToo, j’avais 25 ans et pas vraiment de discours sur les choses. Entre le contexte social et politique, mes débuts sur scène et le fait que je devenais adulte, j’ai dû réfléchir à des questions comme : “C’est quoi être une meuf ?”, “C’est quoi être féministe ?”, “C’est quoi tomber amoureuse ?”
J’ai débarqué dans le stand-up tout juste un an après le spectacle de Blanche Gardin et cet exercice m’a obligée à m’interroger sur ces sujets. Petit à petit, le fait d’être toute seule sur scène ne suffisait plus. J’avais vraiment besoin de mettre toutes ces idées sur papier pour que ça prenne plus d’ampleur et que je puisse traiter plus de thématiques encore. La genèse de Jeune & Golri, c’est tout ça.
J’ai parlé de ce sujet avec énormément de sincérité ; tout est traité et assumé. Aujourd’hui, il y a encore des personnes hétéros, blanches, qui tombent amoureuses d’hommes plus âgés et qui deviennent belles-mères, et ça n’en fait pas pour autant de mauvaises féministes. C’est cette ambivalence qui m’intéressait particulièrement : celle d’une meuf de 25 ans, qui est partagée entre ce qu’elle aimerait être et ce qu’elle ressent.
D’une manière générale, je voulais m’interroger sur la manière de trouver sa place au milieu de toutes ces injonctions, comment être une féministe quand on n’est pas forcément dans les codes hyper hype et hyper cool… C’était mon obsession. Je n’ai toujours pas la réponse, donc je vais encore écrire beaucoup d’histoires sur l’ambiguïté des femmes !
Vous vous attendiez à un tel succès ?
Non, pas du tout. En fait, je n’ai pas eu le temps de penser au résultat ou à la réception, parce que tout est allé très vite, entre le tournage, le montage et la production. J’avais aussi besoin de gagner ma vie, donc j’étais déjà partie sur d’autres projets quand la série a été diffusée. Mais cette sortie a été folle.
Il y a eu le prix de Series Mania, des critiques positives, plein d’articles… J’étais comme une gosse et sur un petit nuage. J’étais juste trop fière de ce qu’on avait fait tous ensemble. Pour la première fois de ma vie, je sentais que j’étais 100 % à ma place professionnellement.
Pourquoi ? Vous aviez rencontré de nombreuses galères professionnelles avant Jeune & Golri ?
Oui, mais c’est normal. Comme tout le monde, j’ai galéré dans la vingtaine, puis j’ai commencé à faire des trucs hyper stimulants et à gagner de l’argent. En réalité, chaque année est mieux que la précédente depuis mes 25 ans. Pour la première saison de Jeune & Golri, j’ai écrit, joué, mais aussi géré toute la post-prod, donc le montage, le son, le graphisme, le choix de l’affiche… J’étais un peu cheffe de bord, DRH et réalisatrice. En 12 ans de métier, c’est la première fois que je me sentais aussi bien dans mes baskets, avec la sensation d’être au bon endroit et hyper calme.
Comment avez-vous appréhendé l’écriture de la deuxième saison ? Aviez-vous la pression de devoir faire mieux que la première ?
Je n’avais pas de pression, parce que j’ai des producteurs incroyables. Quand j’ai commencé l’écriture, ils m’ont dit : “Lâche les chevaux et fais ce que tu veux. Ça ne sert à rien d’imaginer une suite sage qui ressemblera à la première. On ne cherche pas de prix, on n’aura pas plus d’argent pour produire cette saison 2, on n’en fera pas de troisième, donc fais ce que tu veux.”
Dans un sens, ils m’ont demandé de faire encore mieux, mais ils m’ont surtout vachement libérée. Je me suis dit que je n’avais rien à prouver pour cette nouvelle salve. Ils m’ont conseillé de me faire kiffer et d’écrire ce que je rêvais de voir à l’écran. D’ailleurs, la saison 2 me ressemble beaucoup plus, même si elle est plus dure. Je ne spoilerai rien, mais on pleure vachement à la fin. C’est à la fois brutal, super sombre, trivial et rigolo. C’est comme dans la vie, en fait.
La série est très drôle et très bien écrite. Quel est votre processus d’écriture ? Vous inspirez-vous de votre propre vie et de phrases que vous entendez au quotidien ?
Non, j’aimerais trop être cette personne avec un cahier qui écrit tout, mais je n’y arrive pas. Il faut savoir que je ne suis pas seule sur le scénario. Je travaille avec une équipe de coauteurs composée de Léa Domenac, avec qui j’ai créé la première saison, et Paul Madillo, un auteur junior qui nous a rejoints. Le fait d’être trois nous challenge sur nos propres intuitions, car il faut toujours les vendre aux autres. Ils ont apporté énormément d’idées et d’anecdotes personnelles dans le scénario. C’est tellement plus stimulant d’écrire à plusieurs.
L’écriture sérielle demande une grammaire particulière et un truc quasi mathématique pour que ça fonctionne. Il doit y avoir des évolutions et des conflits entre chaque épisode. Si les trois auteurs autour de la table valident une idée, alors elle marchera. Sinon, il faut la réécrire. Quand j’ai commencé à écrire cette saison, je savais que j’allais la réaliser, donc j’avais des visuels en permanence dans la tête.
Des images très fortes se sont imposées à moi, c’était de pures intuitions. J’avais notamment celle de début et de fin, mais mes deux coauteurs ne les comprenaient pas. Elles étaient à l’opposé de ce qu’on avait créé avant. J’ai dû leur expliquer pourquoi et comment ce personnage devait aller jusqu’à cette situation. Après, ils m’ont aidée à créer tout le monde autour pour y arriver.
Et vous êtes satisfaite du résultat de cette première et dernière image ?
Hyper satisfaite ! D’ailleurs, je chiale à chaque fois que je vois la fin. Cette série est un tout petit objet, ce n’est pas une grosse production, mais je suis super fière de ce qu’on a fait, autant d’un point de vue humain que créatif.
Qu’est-ce qu’il y a de plus Prune en vous ? Vous reconnaissez-vous dans votre personnage ?
Elle est comme une version beaucoup plus audacieuse et beaucoup plus folle que moi. En réalité, je suis plus sage dans la vie ; je suis très organisée, très sérieuse, très mature, je suis devenue mère très jeune… Je ne ressemble pas du tout à Prune ! En revanche, c’est agréable de jouer des personnages comme elle, c’est comme une catharsis. Elle répond à une certaine partie de mon inconscient.
C’est comme un des petits personnages qui vit dans votre tête et qui aimerait parfois s’exprimer et envoyer tout balader ?
Oui, c’est un truc d’audace que j’avais à 16 ans, mais que je n’ai plus à 30.
Affrontez-vous les épreuves de la vie de la même manière qu’elle ? Je pense notamment à sa déprime post-rupture, quand elle passe sa journée à pleurer dans la douche.
(Rires) Non ! J’aimerais bien, mais je ne peux pas. Je dois me lever à 7 heures, aller à l’école, acheter de la nourriture… Mais on doit créer des héros et héroïnes hors normes pour que les spectateurs restent huit fois 26 minutes sur les épisodes, pour qu’ils se retrouvent en elle et pour qu’ils aient de l’empathie.
Mes personnages sont honnêtes et réalistes dans leurs paroles, dans ce qu’ils vivent, dans leurs sentiments, dans leurs ruptures… Mais ils vont un tout petit peu plus loin que nous dans leurs réactions. Si je mettais une caméra chez moi et que je filmais quand je suis triste, ça n’aurait aucun intérêt. Ça ne serait pas aussi spectaculaire que Jeune & Golri.
Dans cette deuxième saison, Alma a bien grandi. Était-ce un challenge de diriger une adolescente sur le plateau ?
C’était un énorme challenge d’avoir des acteurs mineurs et des stagiaires d’une vingtaine d’années qui découvraient ce milieu en intégrant l’équipe technique. Pour moi, le fait d’être la cheffe et de créer un espace de tournage extrêmement sécurisant durant 22 jours était un vrai défi.
Le premier jour, j’ai pris la parole pour dire qu’il n’y aurait aucune tolérance pour toute forme de harcèlement, pour des regards ou gestes déplacés, ou pour des blagues sur une quelconque minorité. Mon premier assistant a aussi souhaité que les parents puissent voir leurs enfants et leur famille le soir et le week-end.
En tant qu’actrice, j’ai connu des problèmes, même mineurs, sur quasiment tous mes tournages. Ça me tenait à cœur de créer un espace sécurisant pour tout le monde pour ma première réalisation. D’autant plus que Saül Benchetrit, qui joue Alma, avait beaucoup de scènes qui incluaient de la sexualité, des insultes, de la tristesse… Elle est hyper mature et elle avait déjà joué dans des films avant Jeune & Golri, mais ça reste une enfant. Elle a 16 ans et elle se construit dans son identité.
Je voulais qu’elle se sente à l’aise de me dire non pour telle ou telle scène. Par exemple, elle roule une pelle à un garçon dans l’épisode 7. Je lui ai demandé son consentement à plusieurs reprises : quand elle a lu le scénario en juin, quand elle a fait les répétitions en septembre, quand elle a rencontré l’acteur, puis quand elle est arrivée en octobre sur le plateau pour tourner ces dix secondes de pelle.
Je lui ai dit qu’elle pouvait me dire “non” et changer d’avis à tout moment, qu’on pouvait être deux dans la pièce… Je tournais avec des mineurs, mais ils voulaient avoir 25 ans. Ils pouvaient venir faire la fête avec nous le vendredi soir, mais c’était tolérance zéro sur l’alcool. Il ne faut jamais oublier que ce sont des enfants. Le moment du tournage n’est presque plus un moment de création, c’est un moment de psychologie et de gestion humaine.
Vous vous êtes déjà sentie en insécurité sur un tournage ?
J’ai commencé ce métier à 20 ans et j’ai vécu tellement de situations que je n’ai pas osé rapporter, ou dans lesquelles je ne me sentais pas à l’aise. Quand le mec est super connu, tu te dis que tu dois accepter. Franchement, c’est trop relou, même s’il s’agit de mini-agressions, de mots, ou de regards. Mais tout est en train de changer !
Vous sentez que les choses évoluent vraiment ?
Bien sûr. En tant que comédienne, si je ne sens pas l’équipe, je n’y vais pas. Si je n’aime pas un texte ou qu’il me met mal à l’aise, je demande pourquoi il est écrit de cette manière et si je peux le changer. Je suis grande maintenant. Quand j’initie des projets en tant qu’autrice ou réalisatrice, je choisis mon équipe, du comédien star aux producteurs en passant par les stagiaires.
Aujourd’hui, tout est plus banalisé : les producteurs font des formations au CNC, il y a toujours un référent harcèlement et des coordinateurs d’intimité sur le plateau… C’est super, mais c’est la base en fait. Cette industrie est un peu lente à se moderniser, mais ça avance.
Et c’est grâce à des personnes comme vous !
Je respecte le fait que certaines femmes souhaitent quitter cette industrie qui fait mal au cœur la plupart du temps. Moi, j’ai décidé de saisir la place qu’on me proposait pour niquer le système de l’intérieur. Je ne sais pas si je vais y arriver, mais pour l’instant, ça va.
On sent que vous avez mis toutes vos tripes dans Jeune & Golri. C’est quoi la prochaine étape ?
J’écris une nouvelle série, mais je ne l’ai pas encore vendue et j’en suis encore à l’étape de bible. Tout ce que je peux vous dire, c’est que ce n’est pas une comédie, et qu’elle va encore développer l’ambivalence des femmes et leur rapport à la filiation et à la maternité. Je n’en dévoilerai pas plus !