Décryptage

Black Knight : pourquoi la nouvelle série coréenne de Netflix pourrait conquérir le monde

14 mai 2023
Par Samuel Leveque
“Black Knight” est disponible sur Netflix.
“Black Knight” est disponible sur Netflix. ©Netflix

Cette production post-apocalyptique pourrait bien être au centre des discussions ces prochaines semaines. Elle constitue une nouvelle étape dans la reconnaissance internationale de la pop culture coréenne, et un moment important pour la politique de relance de Netflix.

Les productions sud-coréennes sont apparues sur les radars de la pop culture mondiale depuis une vingtaine d’années. En 2004, Old Boy remportait le Grand Prix du Festival de Cannes, nous faisant découvrir tout un pan du cinéma asiatique. Ce succès mondial n’était pas un hasard. Après avoir enchaîné l’occupation japonaise, la partition du pays, une violente guerre civile et une longue dictature, la Corée du Sud des années 1980-1990 était encore un acteur culturel mineur qui faisait surtout le bonheur des amateurs de nanars.

Une success-story très politique

Dès le début des années 1990, ce pays nouvellement prospère que les amateurs de sport savaient désormais très bien placer sur une carte grâce aux JO de 1998 a investi énormément d’argent dans ses politiques culturelles, pour monter rapidement en gamme. Ce petit État de 50 millions d’habitants s’est appuyé sur un mélange de mesures de subventions et de crédits d’impôts, ainsi que sur une vision à la fois protectionniste et expansionniste de ses industries culturelles. Objectif principal : diffuser le plus largement possible sa culture dans le reste de l’Asie, puis dans le monde.

Jusqu’à la fin des années 1990, la production culturelle coréenne était surtout remarquée à l’étranger pour ses nanars, comme ce Black Star and the Golden Batman de 1979.©Han Heon-Myong

L’originalité de la politique culturelle coréenne a consisté à ne pas chercher à exporter uniquement quelques productions de prestige, mais graduellement l’ensemble de ses productions culturelles. Si les grands films d’auteur d’Hong Sang-Soo (Turning Gate, Ha ha ha…) ou de Kim Jee-woon (Deux Sœurs, J’ai rencontré le Diable…) ont été des fers de lance, les séries télévisées produites en flux tendu et la prospère industrie musicale pop du pays ont fait l’objet d’attentions toutes particulières de la part du gouvernement et des industries culturelles du pays. Plus récemment, ce sont les webtoons, ces bandes dessinées pensées pour être lues en ligne (particulièrement sur des smartphones) qui ont gagné en popularité, avec le soutien d’acteurs institutionnels.

Memories of Murder (2003) est l’un des films ayant conduit à la reconnaissance du cinéma sud-coréen à l’international.©Bong Joon-ho / CJ Entertainment

Vingt ans après Old Boy, le pari est incontestablement réussi : les groupes de K-Pop remplissent le Stade de France et les réalisateurs sud-coréens, de Park Chan-wook à Bong Joon-ho, enchaînent les réussites critiques et publiques, avec un cinéma mélangeant approche populaire et thématiques sociales particulièrement pertinentes.

Point culminant de cette popularité, la série Squid Game, qui mettait en scène des jeux mortels entre des participants surendettés et aux abois, est devenue un phénomène mondial inégalé en 2021. Depuis lors, tous les catalogues de SVOD s’arrachent dramas et films coréens, à la recherche du prochain succès du secteur. Et à ce petit jeu, Black Knight, qui a débarqué sur Netflix le 12 mai, pourrait bien remporter la mise.

Une thématique sombre, mais pertinente

Adaptée d’un webtoon a succès, cette série semble bénéficier d’un alignement des planètes particulièrement favorable. Tout d’abord, parce qu’elle est signée Cho Ui-seok, un nom relativement inconnu sous nos latitudes, mais qui a réalisé des films d’actions ultrapopulaires en Corée du Sud (Cold Eyes, Master…). Ensuite parce que son synopsis paraît particulièrement dans l’air du temps.

Prenant le parti de dépeindre un monde dans lequel le dérèglement climatique et la pollution se seraient emballés au point de rendre l’air quasiment irrespirable, la production met en scène un livreur d’oxygène devant trimbaler sa cargaison dans une Corée quasiment désertée et pleine de dangers, et où les inégalités sociales ont atteint leur paroxysme.

Black Knight s’inspire du très populaire webtoon Delivery Knights.©Lee Yun-Gyun / Toomics

Une touche de Mad Max, une pincée de Desert Punk, et un contexte routier extrême qui n’est pas sans rappeler la tension délétère du Salaire de la peur… Tout est réuni pour une série à suspense extrapolant les tendances les plus effrayantes d’une société qui aurait poussé au maximum la logique de l’ubérisation. Loin d’un pitch consensuel de série d’action classique, ce nouveau show embrasse pleinement la tradition sociale et contestataire propre au cinéma de Corée du Sud.

Black Knight est diffusé sur le catalogue de Netflix.©Netflix

Dans Black Knight, le héros, altruiste dans un monde qui ne peut quasiment plus se le permettre, est une des rares lueurs d’espoir, délivrant (littéralement) des moyens de survie à une population exsangue abandonnée à son sort. En plein boom des récits dystopiques et en plein questionnement mondial sur l’écoanxiété, les trailers laissent espérer un show certes déprimant, mais profondément captivant. Le rôle principal, tenu par l’excellent Kim Woo-bin, devrait d’ailleurs être l’une des performances marquantes des séries asiatiques de cette année.

Une série calibrée pour le marché international

Black Knight ne compte que six épisodes au lieu de la quinzaine régulièrement observée dans les séries sud-coréennes, et un casting relativement ramassé : l’objectif est ici de se conformer aux habitudes de visionnage des téléspectateurs abonnés à la plateforme dans le monde entier. À cet égard, la série est encore plus brève que Squid Game et ses neuf épisodes.

D’autres productions coréennes prestigieuses avaient eu le même type de traitement « court, mais intense » : la superbe série horrifique Kingdom misait, elle aussi, sur des saisons courtes et des épisodes moitié moins longs que les standards télévisuels coréens, sur une tension extrême et sur une distribution prestigieuse.

Deux ans avant Squid Game, Kingdom affichait déjà les grandes ambitions de Netflix en matière de dramas sud-coréens prestigieux.©Netflix

De plus, les producteurs ont choisi d’investir massivement dans Black Knight : c’est l’une des séries les plus chères de 2023, avec un budget total de 18 millions d’euros. On est certes encore loin des dix millions par épisode d’un The Last of Us, et assez loin du budget de certaines productions américaines de Netflix. Mais pour une série télévisée sud-coréenne, la somme reste exceptionnellement élevée. Le résultat devrait largement s’en ressentir à l’écran.

De plus, la série sort dans un contexte relativement favorable pour Netflix : ce mois de mai est assez creux chez les autres plateformes, contrairement à l’artillerie lourde des sorties du géant pour relancer un marché des abonnements stagnant. Entre La Chronique des Bridgerton : Queen Charlotte, Fubar (qui met en scène Arnold Schwarzenegger) ou encore XO, Kitty, spin-off attendu de la trilogie À tous les garçons, Netflix devrait être au centre de l’attention dans les prochaines semaines. Black Knight, promue à coups de trailers spectaculaires, devrait compter comme l’une des pépites majeures de cette politique de relance.

10€
13€
En stock
Acheter sur Fnac.com

À lire aussi

Article rédigé par