Décryptage

Les Trois Mousquetaires : d’Artagnan, un super-héros à la française ?

05 avril 2023
Par Michaël Ducousso
Après Jean Marais, Philippe Noiret ou encore Vincent Elbaz, c'est au tour de François Civil d'incarner le célèbre héros français.
Après Jean Marais, Philippe Noiret ou encore Vincent Elbaz, c'est au tour de François Civil d'incarner le célèbre héros français. ©Pathé Films

Le célèbre mousquetaire popularisé par Alexandre Dumas est un monument de la pop culture qui a défendu l’image d’un héroïsme made in France dans le monde entier.

Il est invincible, déjoue tous les plans machiavéliques et dispose même de sa propre petite équipe d’Avengers… Nous n’avons définitivement rien à envier aux Américains, avec leurs Superman et compagnie. Car nous, nous avons d’Artagnan et ses amis mousquetaires. En plus, eux ont réellement existé. Charles de Batz de Castelmore, dit d’Artagnan, a bien mis sa rapière au service de la monarchie française. Il lui a même sacrifié sa vie, il y a 350 ans de cela, lors du siège de Maastricht. Mais la mort de l’homme a donné naissance à la légende.

Une réalité qui dépasse presque la légende

Du véritable d’Artagnan, on ne sait finalement que peu de choses. Dumas lui-même a dû se reposer sur des mémoires, rédigées par un Gatien de Courtilz de Sandras à la plume assez peu précise. L’auteur du XIXe siècle a ajouté quelques erreurs supplémentaires, comme cette supposée origine tarbaise, alors que le célèbre Gascon est en réalité né à Lupiac.

Malgré ces libertés littéraires et sa relative discrétion dans la grande histoire de France, le mousquetaire a eu une vie presque aussi héroïque que son alter ego de fiction. De quoi inspirer Patrice Lesparre, auteur de D’Artagnan, agent secret du Roy. Dans cette œuvre, parue le 5 avril et plus fidèle à la réalité, le mousquetaire joue les James Bond au service de Sa Majesté… Louis XIV, bien entendu.

350 ans après sa mort, d’Artagnan n’en finit pas de régaler les amateurs de récits d’aventures. La preuve avec cette toute nouvelle adaptation sortie en salle le 5 avril 2023.

Un rôle d’espion, très proche des missions qui ont vraiment été confiées au Gascon par Mazarin, et qui permet d’explorer une nouvelle facette de ce héros inépuisable. « Le chef-d’œuvre de Dumas a évidemment créé la légende, mais la fascination vient aussi du fait qu’il a vraiment existé avant de devenir un mythe collectif », explique l’auteur originaire du Sud-Ouest.

« Il a fait partie du régiment d’élite des mousquetaires et a connu Louis XIV alors que celui-ci était tout jeune. » Le genre de pédigrée idéal pour en faire un personnage capable de vivre de grandes aventures au milieu des conflits et intrigues qui ont animé l’âge d’or de la monarchie française.

L’amitié qui unit les mousquetaires est un des aspects les plus retenus dans les différentes adaptations de l’œuvre de Dumas, comme celle de 1921 avec Douglas Fairbanks. ©Domaine Public

Une période extrêmement riche, durant laquelle le véritable d’Artagnan s’est illustré en montrant les mêmes qualités que son homologue de papier : « Loyauté à toute épreuve, bravoure et caractère d’aventurier », détaille Patrice Lesparre, en insistant sur la fidélité du Gascon, autant envers ses amis que son roi.

« Il est resté au service de la couronne tout au long de son existence, alors qu’on était justement à une époque où la loyauté était à géométrie variable. Pendant la Fronde, même le Grand Condé s’est retourné contre Mazarin et la régente. Il y a eu beaucoup de trahisons, mais d’Artagnan, lui, est resté loyal jusqu’au bout. » Malgré ses mérites, il faut bien avouer que même le d’Artagnan original ne peut pas rivaliser avec celui de Dumas, véritable archétype du héros. 

L’incarnation universelle de l’héroïsme…

Apparu pour la première fois dans le roman-feuilleton Les Trois Mousquetaires, publié à partir de mars 1844, il a vu ses aventures diffusées dans le monde entier, sans compter toutes celles qui lui ont été prêtées par la suite par d’autres auteurs qui ont suivi – voire franchement plagiés – le maître. Sur son site PastichesDumas, le journaliste Patrick de Jacquelot recense plusieurs centaines de ces œuvres.

À force d’en dresser la liste, il peut l’assurer sans hésiter : « Cela fait bien longtemps que d’Artagnan et les trois mousquetaires n’appartiennent plus à Dumas. Ils sont devenus un mythe que tout le monde peut s’approprier et réinterpréter à sa manière. » Cela a parfois donné des adaptations un peu étonnantes, y compris avec des super-héros américains.

Les Américains sont tellement jaloux de notre super-héros national qu’ils en font des copies dans les comics books. ©Patrick de Jacquelot

D’Artagnan a ainsi combattu aux côtés de Batman et Robin, et Marvel l’a même fait ressusciter dans les années 1940 pour faire régner la justice et l’antinazisme aux États-Unis. Est-ce vraiment si saugrenu ? Après tout, ces héros de fictions viennent tous de périodiques promettant d’incroyables aventures au grand public. Et nombre d’auteurs américains de magazines pulps (dans lesquels est notamment apparu Zorro, autre célèbre escrimeur) et de comics, ont lu les œuvres de Dumas.

Plusieurs scénaristes et dessinateurs de Batman ont d’ailleurs glissé des références explicites à son autre grand mythe : le comte de Monte-Cristo, un homme très fortuné, qui cache son identité pour rétablir la justice. Mais si Edmond Dantès a eu une influence importante sur la pop culture moderne, l’autre héros de Dumas occupe une place encore plus prépondérante.

En effet, même si la trilogie originale consacrée au Gascon et ses amis est rattachée à une époque très particulière – la France du XVIIe siècle – elle n’en développe pas moins des thèmes intemporels et universels. « C’est un roman d’apprentissage absolument typique », analyse ainsi Patrick de Jacquelot.

« On suit ce tout jeune homme sorti de sa campagne, qui est plein d’ambitions et qui découvre le monde. À la fin du premier roman, il a découvert l’amitié, l’amour, la mort et il s’est confronté au mal. Il est devenu adulte. C’est un schéma qui fonctionne partout. Et puis c’est sans doute l’un des plus beaux romans qu’on ait jamais écrit sur le thème de l’amitié. » En témoignent ces nombreuses illustrations représentant les quatre compères, rapières entrecroisées et clamant le fameux : « Un pour tous, tous pour un ! »

… teinté de panache gascon

Toutes ces qualités ont fait du d’Artagnan de Dumas la figure de proue d’un genre éminemment héroïque : les films de cape et d’épée. Bien entendu, de nos jours, les super-héros – encore eux – ont fait main basse sur les salles obscures, mais il fut un temps où les acteurs escrimeurs comme Jean Marais redressaient les torts sur grand écran, grimés en Capitan, Lagardère et bien entendu d’Artagnan…

Si les films de cape et d’épée sont un peu passés de mode aujourd’hui, ils ont pourtant le potentiel pour damer le pion à tous les Avengers de la création. « Je suis un très grand fan de films de super-héros », promet ainsi Patrice Lesparre.

Dans le Masque de Fer, Jean Marais campe encore une fois un d’Artagnan séducteur et intrépide. Cette intrigue, développée dans Le Vicomte de Bragelonne, dernier tome de la trilogie, a eu de nombreuses adaptations, dont une avec Leonardo Di Caprio en Louis XIV.

« Mais ils sont dans l’excès et la démesure. Il s’agit d’y sauver des univers. Les héros de cape et d’épée sont comme des super-héros, mais sans pouvoirs, ce qui les rend plus proches de nous. Ils ne sauvent pas l’univers, mais une jeune fille en détresse des mains d’un affreux traître, ou le roi en empêchant un complot. Et puis, les personnages comme d’Artagnan font preuve d’un héroïsme flamboyant, contrairement à ce que l’on peut voir dans d’autres genres. Ils sont toujours beaux, purs, sans peur et sans reproche. » 

« Dans les romans originaux, d’Artagnan n’est pas un héros aussi parfait que ça. Il séduit par exemple la jeune Kitty, la servante de Milady, pour arriver à ses fins qui consistent à violer Milady. »

Patrick de Jacquelot
Créateur du site PastichesDumas

Une image quasi idéale qui a marqué l’imaginaire collectif, quitte à occulter certains aspects plus sombres, pourtant présents dans l’œuvre de Dumas, comme le rappelle Patrick de Jacquelot : « Dans les romans originaux, d’Artagnan n’est pas un héros aussi parfait que ça. Il séduit par exemple la jeune Kitty, la servante de Milady, pour arriver à ses fins qui consistent à violer Milady. Mais, dans la vision mythique de d’Artagnan, ses aspects noirs sont assez gommés. »

Tout comme ceux d’Athos, Porthos et Aramis. C’est pourtant par certains de ces traits qui ont peu ou pas du tout été exploités dans les adaptations cinématographiques que les mousquetaires de Louis XIII se révèlent les plus modernes.

Un mythe du XXIe siècle ?

Sur Twitter et Discord, les membres du collectif Les Dumariolles militent pour une véritable relecture des œuvres de Dumas, que tout le monde pense connaître à force d’avoir vu des films, sans pour autant les avoir lues. Ces artistes venus du monde de la bande dessinée ou de l’animation ont eux-mêmes été dans ce cas-là, avant d’ouvrir Les Trois Mousquetaires, Vingt ans après et le Vicomte de Bragelonne pour constater « l’insoutenable modernité d’Alexandre Dumas ».

Après avoir fédéré une communauté de lecteurs en ligne, ces artistes ont décidé d’exposer leur vision des mousquetaires, au Studio Blauhai, à partir du 22 avril. Et qu’y découvre-t-on ? Des héros qui partagent certes un peu plus qu’une franche camaraderie, mais, surtout, des héros totalement dans l’air du temps, même si leurs aventures d’il y a quatre siècles ont été rapportées dans une trilogie vieille de presque 200 ans.

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Les Dumariolles militent pour une relecture moderne de l’œuvre subversive de Dumas. Une analyse qui pourrait s’incarner dans une adaptation prochaine de Vingt ans après, pour lequel Camille Leto a déjà signé un trailer très prometteur.

« Notre théorie, explique Rutile, scénariste de la bande dessinée Colossale et membre des Dumariolles, c’est que l’œuvre de Dumas est subversive et qu’il était subversif, même à son époque, car il occupait, en tant que métisse, extrêmement populaire, mais victime de caricatures racistes, une position d’outsider dans sa propre société. » Un statut à part, qui implique une vision différente de l’héroïsme, de la chevalerie et notamment de la masculinité, débat on ne peut plus d’actualité… et pourtant trop peu porté à l’écran jusque-là.

« Le dernier vrai noble chevaleresque du groupe, Athos, est une épave, qui se sent coupable d’avoir tué sa femme ; les autres ne cessent de faire des trucs répréhensibles, ils trahissent leur pays ou se prostituent, Porthos est une fashion victime, Aramis est un personnage extrêmement efféminé… L’œuvre de Dumas est riche et complexe, mais je ne le vois pas reflété au cinéma, pas même dans le traitement des femmes », déplore Rutile.

Les Dumariolles exposent leur vision des mousquetaires au Studio Blauhai à Paris à partir du 22 avril.©Juliette Brocal

« Constance, qui est plus vieille que d’Artagnan et qui est une femme mariée, est transformée en jeune première dans les adaptations. Quant à Milady, on en fait toujours une femme plus vieille, qui a bourlingué, alors qu’en réalité, c’est une femme de 22 ans, qui est extrêmement intelligente, mais qui a vécu quelque chose de traumatisant. »

Et d’Artagnan dans tout cela ? On va dire qu’il ne détonne pas dans ce casting, même si les différents réalisateurs ne retiennent que sa jeunesse, sa fougue et sa bravoure. C’est pourtant lorsque son image d’icône s’écaille qu’il devient le plus intéressant et dévoile toutes les facettes qui font toujours de lui le plus grand héros de la pop culture française.

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Article rédigé par
Michaël Ducousso
Michaël Ducousso
Journaliste