Phénomène désormais incontournable, Zaho de Sagazan a brillé aux Victoires de la musique. L’Éclaireur l’avait rencontrée en avril dernier, pour son premier album magistral, La Symphonie des éclairs.
Originaire de Saint-Nazaire, Zaho de Sagazan signe un premier album singulier, un savant mélange de piano-voix et de cold wave électrisante. Dans La Symphonie des éclairs, l’autrice-compositrice-interprète de 23 ans chante sa tristesse, célèbre les garçons tout en dénonçant les toxiques et apprivoise son corps. Fan de Kraftwerk comme de Barbara, l’artiste a déjà tout d’une grande. L’Éclaireur ne pouvait pas passer à côté.
Depuis quelques mois, vous remplissez les salles de concert et, avant la sortie de La Symphonie des éclairs, vos clips dépassaient tous les 100 000 vues. Maintenant que l’album est dans les bacs et sur toutes les plateformes de streaming, comment vous sentez-vous ?
Tout le monde me dit que ce serait la honte si ça ne marchait pas. Je me suis déjà produite sur scène et j’ai vu des gens touchés par mes chansons. Juste pour ça, je considère avoir réussi. Au moment de l’enregistrement de l’album, j’étais assez angoissée, mais maintenant qu’il est terminé, je suis contente. J’en suis très fière. Le fait d’être une pop star ne m’excite pas vraiment. Le succès me fait même peur, mais voir les gens s’émouvoir sur mes chansons me comble énormément.
L’amour, source inépuisable d’inspiration pour les artistes, est au cœur de cet album qui bat au rythme des clubs berlinois. Vous en parlez avec singularité et authenticité. Pourtant, vous dites ne pas l’avoir connu.
Cet album traite de la découverte de la vie par une jeune femme, donc forcément de celle de l’amour. L’amour est partout, dans tous les films, dans toutes les chansons, c’est forcément inspirant. Moi, je n’ai pas encore rencontré la bonne personne pour vivre une grande histoire, alors je m’en raconte. J’ai eu des milliards de crushs et j’ai beaucoup d’imagination. Ces histoires me viennent naturellement. En écrire me donne aussi l’impression d’en vivre. Très sincèrement, j’ai vraiment l’impression d’avoir vécu l’histoire d’amour que je raconte dans Suffisamment.
Concrètement, où trouvez-vous l’inspiration ?
Je trouve principalement l’inspiration grâce à mes amis, entre autres. J’adore l’humain, observer les gens et essayer de comprendre ce qu’il se passe dans leur tête. Pour écrire, je me mets à leur place, je fantasme. Je puise aussi des idées dans mes rêves. Je rêve éveillée, je m’invente des histoires en permanence.
Qui dit amour, dit émotions ! Cet album en est particulièrement chargé.
Cet album est totalement axé sur les émotions, mais il est aussi très ancré dans le réel. À propos de L’Insoutenable légèreté de l’être, Milan Kundera disait : “Les personnages de mon roman sont mes propres possibilités qui ne se sont pas réalisées. C’est ce qui fait que je les aime tous et que tous m’effraient pareillement. Ils ont, les uns et les autres, franchi une frontière que je n’ai fait que contourner”. Mes chansons ne sont pas des reflets de qui je suis. Ce sont des fantasmes, des sonnettes d’alarme, comme Les Dormantes. J’ai plutôt tendance à écrire que je suis extrêmement triste ou que je t’aime passionnément. Ce n’est pas un jeu, c’est une réalité, j’aime aller au bout des choses et notamment des drames qui font partie de la vie.
Pour vous, quel artiste parle le mieux des émotions ?
Je suis passionnée de chanson française et donc forcément par Barbara, une des plus grandes dans ce domaine. Elle a un talent sans pareil pour expliquer une émotion universelle en quelques mots, sans un de trop. Chacun a son sens et sert l’histoire. Elle m’impressionne énormément.
Comme elle, vous composez au piano, quel rapport entretenez-vous avec cet instrument ?
C’est mon meilleur ami. À l’âge de 13 ans, j’ai découvert ce piano désaccordé dans une pièce froide de la maison. Le jour où j’ai posé mes doigts dessus, j’ai compris qu’il allait m’accompagner durant de longues années. J’ai beaucoup de mal à écrire sans. Mis à part le refrain de La Symphonie des éclairs, j’ai tout écrit au piano. Je pars du principe qu’une chanson doit d’abord fonctionner en piano-voix, ensuite seulement, je l’habille d’électronique.
Sur scène, est-ce qu’on aura le privilège de vous écoutez au piano ?
Sur scène, je propose un mélange de piano-voix et d’ambiance de clubs berlinois. J’adore danser sur ces musiques répétitives, sur ces boucles infinies.
Dans la chanson Les Garçons vous célébrez le genre masculin, vous dites “Je suis amoureuse de tous les garçons / Je les trouve tous bien à leur façon”, mais à une exception près : les toxiques. Vous y faites allusion dans Les Dormantes, qui raconte une histoire douloureuse qu’a vécue votre meilleure amie.
Pour écrire cette chanson, je me suis inspirée de l’histoire d’une amie. Elle avait rencontré un garçon en apparence formidable, mais qui s’est révélé être particulièrement toxique. J’ai assisté à sa chute sans réaliser ce qui se passait. Nous avions 15 ans à cette époque. Après trois ans d’enfer, elle s’en est sortie. Nous étions toutes les deux bouleversées. Nous nous sommes demandées comment nous avions pu être embarquées dans cette histoire sans réagir, surtout moi qui avait un regard extérieur. Mais ce garçon était particulièrement doué pour nous manipuler et solliciter notre pardon. J’étais déboussolée. Je me posais des questions. J’ai tenté d’y répondre avec des mots et donc cette chanson Les Dormantes, que mon amie a validée. Nous avons juste modifié quelques mots ensemble pour être le plus juste possible.
Vous avez une façon de chanter très expressive, dans la lignée de Jacques Brel. Cela vous est-il venu naturellement ou avez-vous travaillé énormément pour arriver à ce niveau presque théâtral, mais résolument humain ?
Avant, je chantais très mal, j’avais une voix nasillarde et je n’articulais pas. Je suis partie de loin. Ma mère, grande fan de Barbara comme moi, n’arrêtait pas de me dire d’articuler. À cette époque, ça m’était insupportable, mais elle avait raison, elle a bien fait. J’ai travaillé ma voix comme on accorde un instrument.