Costume enfilé, armes chargées… John Wick est prêt pour en découdre. Keanu Reeves aussi. À 58 ans, l’acteur retrouve le personnage pour un quatrième film démesuré, qui fait monter la saga d’un cran. Retour sur une franchise qui a pourtant tout d’une anomalie…
« Yeah, I’m thinking I’m back ! » s’écriait un John Wick enragé après une bonne heure de massacre dans le premier film de la saga en 2014. Ou bien était-ce Keanu Reeves lui-même qui le hurlait à Hollywood et au monde entier ? La frontière est fine.
En 2013, une partie du cinéma (et du public) a quelque peu oublié Keanu Reeves. L’acteur sort d’un blockbuster insipide, 47 Ronin, et n’a pas su transformer l’essai derrière la caméra avec Man of Tai Chi, malgré des qualités indéniables. Il ne lui reste alors que des propositions de films mineurs à la qualité discutable et une poignée de projets indépendants. C’est durant cette traversée du désert qu’arrive le scénario de Derek Kolstad – inconnu à l’époque – sur un ancien assassin à la retraite qui reprend du service par vengeance.
Le film, intitulé initialement Scorn, puis rebaptisé John Wick, arrive entre les mains de Keanu Reeves. Ce dernier est intéressé et s’embarque sur le projet… initialement prévu pour un homme de 60-70 ans à la Clint Eastwood. L’acteur va initier le changement d’âge pour qu’il lui corresponde davantage. Concernant la réalisation, Reeves lui-même approche ses anciens partenaires de la saga Matrix, les cascadeurs David Leitch et Chad Stahelski. Il arrive à les convaincre de passer derrière la caméra, une première pour eux. John Wick sort sur les écrans en octobre 2014.
L’action au centre de la réalisation
Ce qui aurait pu être un nouveau film d’action lambda dans la carrière de Keanu Reeves (et passer rapidement inaperçu) devient pourtant un véritable succès critique et commercial. Trois éléments indissociables expliquent cette réussite.
Le scénario de Kolstad, tout d’abord, qui pose lors du premier acte son coup de génie : les antagonistes craignent John Wick, sorte de « Baba Yaga », de croque-mitaine, de monstre endormi réveillé par erreur. En terme d’iconisation immédiate d’un personnage, John Wick s’impose instantanément quand le grand bad guy du film tremble en apprenant que son fils a tué le chien de John Wick et volé sa voiture. Lorsque le couperet tombe et que Wick se déchaîne, la vengeance n’en est que plus satisfaisante.
Le deuxième élément concerne Keanu lui-même. Regard stoïque, carrure impeccable, costume sur mesure, l’assassin est une machine à tuer élégante et tenace, qui ne recule devant personne et prouve à quel point l’acteur excelle dans l’action.
Enfin, le dernier ingrédient à l’origine du succès tient à la réalisation de Stahelski et Leitch. Les deux anciens cascadeurs partent de leur profession pour envisager la mise en scène et s’appliquent à rendre chaque mouvement lisible et beau. Ils poussent cet aspect à son paroxysme et mettent dans John Wick toutes les références des films d’actions asiatiques qu’ils affectionnent. John Wick ne fait pas de kung-fu et utilise des armes à feu ? Il fera dans ce cas du gun-fu, où l’arme est une extension du bras et chaque balle tirée l’équivalent d’un coup de poing (ou pied) porté contre l’adversaire. Avec ce style mixte de combat, ce soin de la chorégraphie, cette caméra maîtrisée et ce montage soigné, John Wick montre au cinéma américain comment revitaliser les codes du genre en revenant à un style que le cinéma hongkongais maîtrise depuis longtemps.
David Leitch et Chad Stahelski mettent toute leur passion et leur obsession dans le projet sans imaginer que l’aventure ne fait que commencer. Rebelles sur les bords, les deux réalisateurs voient en John Wick un projet underground et punk destiné à contenter un public confidentiel, amateur de bonnes bagarres, d’éclairages aux néons saturés et au son électrique. Un éclair éphémère, sans envisager la possibilité de réitérer. Mais le succès du film en décide autrement, le public en redemande…
Plus de préparation et plus de budget pour les suites
En 2017 sort ainsi sur les écrans John Wick 2, suivi par John Wick Parabellum en 2019. Si David Leitch quitte la franchise pour réaliser d’autres films (dont Atomic Blonde, Deadpool 2 ou Bullet Train), Chad Stahelski reste aux commandes et gagne en ambition à chaque nouveau volet. Ces nouveaux opus sont une réponse à ce qu’il n’aime pas, habituellement, dans les suites. Il fait prendre à la saga une direction surprenante. La vengeance quasi-intimiste de John n’est plus au centre de l’intrigue. Le monde est vaste, les tueurs à gages sont nombreux et Stahelski a bien l’intention de tous les envoyer à la chasse au Wick.
Ces films sont aussi l’occasion de développer les concepts abordés dans le précédent concernant l’organisation secrète de la Grande Table et les règles régissant les assassins. Derrière le vacarme et la pile de corps, il y a des principes, des lieux de trêve et des délais à respecter.
Si sur ce sujet la saga se perd quelques fois dans des notions et idées qui peuvent alourdir la narration, elle revient toujours à son essence même dans les moments clés : Keanu Reeves versus les autres, et une caméra qui voltige autour d’eux. Avec plus de temps et de budget, Chad Stahelski met tout dans la préparation en amont du tournage pour revitaliser à l’écran, une fois encore, les affrontements et les styles de combat. Il inclut des courses-poursuites (en voiture et à cheval), des sabres (après le gun-fu, place au sword-fu) et des chiens (avec l’excellente séquence dans John Wick Parabellum mettant en scène Halle Berry et ses animaux). Et alors que la trilogie semblait mettre un point final à l’histoire de John Wick, rebelote… le quatrième et le cinquième film sont annoncés par le studio.
John Wick : chapitre 4, l’apogée du body count
Avant même d’appréhender ce nouveau volet, il est essentiel d’aborder un point : non, John Wick n’est pas réaliste. Il n’a jamais cherché à l’être et ne le sera probablement jamais. Cela n’intéresse pas Chad Stahelski, bien plus préoccupé à mettre en scène un ballet mortel entre son héros et le reste du monde. John Wick tombe, John Wick est criblé de balles et de coups, John Wick souffre, mais il se relève toujours, faisant fi d’une quelconque cohérence médicale et de ce qu’un homme peut supporter physiquement. L’intérêt, pour le spectateur comme pour l’acteur, n’est pas là. John Wick : chapitre 4 pousse ainsi le curseur plus loin.
Sa tête mise à prix par la Grande Table, John Wick n’a pas d’autres choix que de subir les vagues d’assaut successives, tout en élaborant un plan pour mettre fin à cette chasse à l’homme commanditée par le Marquis de Gramont, incarné par un Bill Skarsgård convaincant, malgré un accent français forcé.
Dans un road-trip international qui l’emmène de New York à Paris, le film devient une succession de tableaux quasi-contemplatifs, sublimés par la photographie à base de néons et un splendide jeu de lumières et d’ombres. Le protagoniste y affronte des hordes d’assassins qui ne cessent d’entrer dans le cadre de la caméra et se meuvent dans des décors sur mesure. Chaque séquence d’action bénéficie d’un production design inventif qui sert autant les personnages de la scène que la réalisation de Chad Stahelski (qui sait où et comment placer sa caméra). Quand il utilise en plus les éléments naturels pour complexifier la scène – le passage à Berlin, l’un des plus grands moments du film –, l’hommage à Akira Kurosawa est tout trouvé. À Paris, le réalisateur offre un climax spectaculaire sous forme de course contre la montre déjantée et personne n’a avant lui utilisé à ce point les escaliers de Montmartre comme terrain d’affrontement dans une séquence jusqu’au-boutiste mémorable.
L’errance tragique de l’immortel
Pour opposer des adversaires coriaces à Wick, le long-métrage a de sérieux arguments. Les mercenaires anonymes tombent comme des mouches – donnant un nouveau sens au terme body count (décompte des corps) –, mais les acteurs martiaux ajoutent beaucoup de spontanéité et d’intérêt à l’action. Donnie Yen, figure tragique du ronin aveugle, est hallucinant de charisme et de talent. La relation entre Reeves et Yen, brutale mais touchante, est l’une des plus belles de la saga. Et que dire de Scott Adkins, méconnaissable, massif, qui s’impose en quelques minutes de présence dans une séquence délirante, composition presque abstraite tant l’action et l’environnement s’opposent (toujours le fameux passage à Berlin).
Car l’action de John Wick : chapitre 4 ne s’arrête jamais. Il y en a trop, diront certains, et devant les 2h49 de film il est incroyable de se dire qu’aucun exécutif du studio n’ait ordonné au réalisateur de couper des séquences entières dans son montage final. Mais Chad Stahelski a une vision. Auteur dans l’âme, il développe avec beaucoup de finesse (oui oui !) les thématiques entourant John Wick dans sa quête interminable, destiné à recommencer encore et toujours la même danse fatale. Piégé dans Un jour sans fin, John Wick doit arrêter ce qu’il fait, mais doit faire pour arrêter.
Tout le film donne une sensation douce amère à la figure de ce Baba Yaga qui semble, dès les premières minutes, prêt à accueillir la mort. Hélas pour lui, personne n’est en mesure de la lui donner, l’obligeant à errer sans fin, tel un immortel condamné en quête d’un adversaire à sa taille, qu’il peine à rencontrer. Le bon moment pour rappeler que Chad Stahelski planche depuis quelques années sur un reboot d’Highlander avec lequel John Wick : chapitre 4 – en plus d’aligner à son casting Clancy Brown, inoubliable Kurgan du premier Highlander – partage certaines thématiques intéressantes.
Mais, avant de retrouver Stahelski sur Highlander, il y a John Wick : chapitre 5, qui n’a finalement pas été tourné en même temps que le Chapitre 4, le réalisateur attendant la réception du nouveau film avant de s’attaquer au suivant. Pour patienter, les amateurs de insérer-un-objet-fu pourront bientôt apprécier Ana de Armas dans le premier spin-off de la saga, Ballerina, réalisé par Les Wiseman (Underworld, Die Hard 4 : retour en enfer) et la minisérie The Continental, qui s’intéressera à la jeunesse de Winston, interprété dans les films par Ian McShane. Le body count est loin d’être fini…
John Wick : chapitre 4, de Chad Stahelski, avec Keanu Reeves, Donnie Yen, Bill Skarsgård, Ian McShane et Laurence Fishburne, 2h49. En salle le 22 mars 2023.