Décryptage

Les dispositifs de santé connectée soulèvent de nombreuses questions et attirent les assurances

09 mars 2023
Par Alexandra Bellamy
Les dispositifs de santé connectée soulèvent de nombreuses questions et attirent les assurances
©Janews/Shutterstock

Si les équipements et applications de santé connectée se réclament d’une grande utilité pour les utilisateurs et le corps médical, ils soulèvent bien des questions : intérêt, efficacité des mesures, protection des données… Justement, ces données, certains s’y intéressent de près, comme les assureurs.

La connectivité ne s’est pas seulement immiscée dans le secteur du bien-être ou du quantified self, mais aussi dans celui de la santé. Outre les bracelets capteurs d’activité, montres connectées, pèse-personnes ou appareils d’aide au sommeil, des équipements directement liés à la santé ont eux aussi droit à leur application et à leur pointe d’intelligence. C’est le cas des tensiomètres, thermomètres, piluliers ou encore lecteurs de glycémie… Le Conseil national de l’ordre des médecins cite même les exemples d’objets « intégrés au corps, à l’instar des lentilles qui mesurent le taux de sucre dans le sang ou du patch électronique greffé sous la peau qui analyse les signes vitaux ».

Une frontière de plus en plus floue entre santé et bien-être connectés

Au vu des données collectées, des promesses faites par les fabricants et des conseils personnalisés prodigués, la frontière entre équipements et applications de bien-être ou liés à la santé (la Cnil parle « d’outil de prise en charge sanitaire ») se fait de plus en plus mince. Et c’est d’ailleurs un point sur lequel la Cnil appelle à la vigilance, de même que le corps médical. « Le floutage des frontières qu’introduit le quantified self en permettant simultanément le développement de pratiques liées à l’hygiène de vie qui relèvent de l’univers du bien-être et l’émergence d’actes d’autodiagnostics et de soins, est à la fois source de questionnements et de promesses pour une nouvelle médecine 2.0 », explique la Commission (Cahiers IP, Le Corps, nouvel objet connecté).

Selon le rapport de l’Observatoire de la Tech, Les Français et la e-santé (février 2022), plus de la moitié des Français utilisent désormais des objets connectés pour suivre leur santé. Mais pour 55 % des sondés, le développement de la e-santé est une source de crainte.©Odoxa

Or, cette distinction revêt une importance non négligeable, d’abord quant à la crédibilité qu’y accordent les consommateurs, mais aussi quant au traitement des données collectées. La Cnil rappelle en effet que « les données de santé sont considérées comme sensibles et font, à ce titre, l’objet d’une protection particulière par les textes (règlement européen sur la protection des données personnelles, loi Informatique et Libertés, code de la santé publique, etc.) afin de garantir le respect de la vie privée des personnes ». La DGCCRF, qui s’est penchée sur la question des objets connectés de santé et bien-être, insiste d’ailleurs sur ce point : l’utilisateur doit être suffisamment informé pour pouvoir distinguer des mesures qui relèvent du bien-être, de la connaissance de soi ou de la santé (diagnostic, prévention, traitement thérapeutique).

Des dispositifs dont les médecins peuvent tirer profit

L’utilisation d’équipements connectés dans le domaine médical n’est pas une nouveauté. Selon le Conseil national de l’ordre des médecins, en 2013, déjà 3 millions de personnes utilisaient des dispositifs de monitoring à domicile sous contrôle de professionnels de santé. Cette pratique est notamment répandue pour le suivi de certaines maladies chroniques, afin d’améliorer la prise en charge des patients et le suivi de leur pathologie entre deux rendez-vous : tensiomètres pour suivre l’hypertension ou glucomètres pour les personnes diabétiques, par exemple.

Avec son analyseur d’urine connecté U-Scan, Withings a attisé la curiosité et créé la sensation lors du dernier CES de Las Vegas.©Withings

Si le corps médical soulève la question de la nature des données collectées puis de leur interprétation (et in fine de leur utilisation), celle de leur fiabilité se pose également. C’est sans doute pour garantir la fiabilité des mesures que certains fabricants comme Withings ont choisi de faire certifier (CE dispositif médical) leurs équipements destinés au grand public. Les médecins ne sont pas pour autant opposés à l’utilisation encadrée de ce type d’équipements. Le Conseil national de l’ordre des médecins, dans son Livre blanc datant de 2015, estimait que, sous réserve de leur fiabilité, « les applications et objets connectés de santé peuvent constituer des outils complémentaires utiles à la prise en charge des patients. Ils peuvent soutenir et renforcer la relation patient-médecin ».

D’ailleurs, le corps médical s’est emparé de la question pour « faire du tri », en quelque sorte. Sur les recommandations de la Haute Autorité de santé, la plateforme numérique Mon espace santé répertorie des sites internet et des applications triés sur le volet, proposant aux utilisateurs des services comme la prise de rendez-vous, mais aussi la mesure de leur poids ou de leur tension par exemple, ou encore le suivi de leur maladie chronique. « Les services référencés doivent respecter plus de 150 critères techniques, de sécurité, de qualité et d’éthique », détaille le site public d’information Santé.fr.

Certaines applications sont directement créées par des médecins, à l’instar de Hy-Result pour le suivi de la tension artérielle ou encore Asthm’Activ’, développée par l’Assurance maladie.©Assurance maladie

C’est ainsi que sont mis en avant des services et applications développés en collaboration avec des médecins, voire par l’Assurance maladie, à l’instar de l’app Asthm’Activ’ conçue pour aider les personnes souffrant d’asthme à gérer leur maladie au quotidien. Reste la question de la collecte de ces données, forcément soulevée par de nombreuses instances comme la Cnil ou la DGCCRF, de même que par le corps médical. Il s’agit en effet de données sensibles, générées en quantité par ces équipements et services.

Des données qui ouvrent l’appétit des assurances

« Ces pratiques volontaires d’autoquantification se caractérisent par des modes de capture des données de plus en plus automatisés, et par le partage et la circulation de volumes considérables de données personnelles », note la Cnil. La Commission remarque aussi que les interfaces encouragent souvent les utilisateurs à comparer voire à partager leurs données, éventuellement sur les réseaux sociaux. Dont certaines, qui seraient plutôt « traditionnellement partagées avec le médecin de famille », se retrouvent exposées à la vue de tous. Et certains s’y intéressent de près : les assureurs. Rares sont ceux qui n’évoquent pas ces objets connectés sur leurs sites, souvent pour louer leurs multiples intérêts – pour le patient comme pour le médecin, mais également pour le secteur de l’assurance, justement.

L’espace numérique Mon espace santé propose un catalogue de services. Bientôt, il sera même possible d’importer les données de certaines applications (comme Withings Health Mate) directement dans cet espace.©Mon espace santé

Par exemple, ADP Assurances salue l’utilisation de ces appareils qui, en favorisant « l’éducation thérapeutique du patient » et en améliorant « l’observance des traitements médicaux (…) aurait également comme conséquence de limiter les dépenses de santé sans forcément que le patient ait besoin de recourir à une mutuelle santé pas chère en ligne ».

Le site BonneAssurance.com va plus loin, en publiant un mémoire complet sur le thème « Comment les assureurs peuvent-ils utiliser les objets connectés pour mieux évaluer le risque ? ». Il y est question d’utiliser les objets connectés pour « mieux évaluer le risque », donc, mais aussi lutter contre les fraudes, intentionnelles ou non. De manière très directe, l’auteur avance que « concrètement, les objets connectés doivent permettre à terme d’accumuler des informations plus détaillées sur l’assuré, telles que sa manière de conduire, son mode de vie, son habitation, en contrepartie de quoi, l’assureur proposera des offres sur mesure, à l’usage, moins coûteuses, et qui permettront, surtout, d’avoir une meilleure appréhension des risques ».

Et la santé n’y échappe pas. Alors que le principe des assurances repose sur le « partage du risque » et « un système de mutualisation des risques », les données collectées et potentiellement partagées par les objets connectés pourraient ainsi avantager certains assurés – mais d’autres sans doute beaucoup moins.

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Article rédigé par
Alexandra Bellamy
Alexandra Bellamy
Journaliste