Avec l’exposition Avant l’orage, la Bourse de commerce, à Paris, propose une promenade artistique et onirique qui questionne notre rapport aux saisons – et donc au climat.
Entre le Centre Pompidou et le Louvre, la Bourse de commerce est un bâtiment circulaire parisien vieux de cinq siècles, ancienne halle au blé, couverte en 1812 par une coupole de métal et de verre. À l’intérieur, à dix mètres de hauteur, une fresque circulaire évoque, dans un réalisme lyrique propre à la deuxième partie du XIXe siècle, une France commerciale et colonisatrice, forte de sa position marchande et de sa puissance à la fois diplomatique, culturelle et commerciale. Le ciel – bien réel – qui surplombe ce panorama achevé en toute hâte pour l’exposition universelle de 1889, semble là pour nous rappeler que rien de tout ça ne serait possible sans les nuages, la pluie, le soleil. Que l’agitation de l’homme, pour finir, dépend de la clémence des cieux.
Cauchemars et merveilles
À l’heure où nos préoccupations sont toutes tournées vers le dérèglement climatique et son impact sur nos vies futures, l’exposition Avant l’orage propose une promenade onirique parmi des œuvres de sa collection qui questionnent notre rapport aux saisons. Tantôt cauchemardesques, tantôt merveilleuses, les propositions artistiques dérangent, invitent à la contemplation – nous happent, en tout cas, dans des interrogations à la fois universelles et intimes sur notre rapport à la vie. Voici une sélection de cinq œuvres représentatives visibles à la Bourse de commerce jusqu’au 11 septembre.
Texas Louise, de Frank Bowling : beauté brûlante
Réalisée dans des couleurs chaudes, Texas Louise, de Frank Bowling, crée, à première vue, un effet sucré. On se laisse volontiers charmer par les dégradés de rose et d’orange de cette toile grand format. Mais bientôt surgissent, parmi ces couleurs – sorte de coucher de soleil reposant –, les contours de territoires – comme un planisphère en train de disparaître dans une écrasante chaleur. Le soleil devient alors, par-delà sa beauté, le grand démolisseur des contours de la Terre.
Tropeaolum, de Danh Vō : renaissance noueuse
Invité à investir l’espace emblématique de la rotonde, le danois d’origine vietnamienne Danh Vō propose Tropeaolum, une installation inédite en lien avec la vie même de l’artiste. Des troncs de chênes victimes du temps et des intempéries sont soutenus par des structures de bois de construction. Ces « arbres » hors sol, ce sont les moments de transformation que la planète traverse – que nous traversons.
Né en 1975 au Vietnam, Danh Vō a fui par bateau avec sa famille le régime communiste des Vietcong en 1979 avant de trouver asile au Danemark. Vivant lui-même des transformations difficiles, entre fantômes de l’histoire et renaissance artistique, Danh Vō travaille notamment les questions liées à l’identité et le lien à notre environnement, au cycle des saisons – et aux mutations qu’elles engendrent.
Présage, d’Hicham Berrada : corrosions et métamorphoses
Dans une pièce obscure, une vidéo sur un très large écran : à première vue, une sorte d’aquarium en mouvement. On distingue bientôt des formes, des spores, des filaments. Il s’agit en fait de métaux plongés par l’artiste dans des substances corrosives, qui peu à peu se détériorent. Mais de cette dégradation naissent des mouvements, des couleurs, de nouvelles formes de vies, peut-être…
Cy Twombly et Steegmann Mangrané : la fragilité du monde
Chef-d’œuvre du peintre américain dont on avait pu voir une formidable rétrospective en 2016 au Centre Pompidou, Coronation of Sesostris est une série de dix tableaux narrant un cycle solaire mutant en lien avec l’histoire de Pharaon et le dieu du soleil Râ. Dans la même pièce, Daniel Steegmann Mangrané déploie des créations tout en fragilité et en délicatesse : des sortes de phasmes qu’on craint de voir disparaître sous nos yeux, comme un témoignage de la fragilité du monde.
Pénétrable, de Thu-Van Tran : hématome et cultures intensives
Sur les murs même de la galerie 7 (niveau 2), des coulures grises, violettes, une matière étrange… Sorte d’hématome infligé au lieu, Pénétrable se veut une blessure administrée à un bâtiment qui a longtemps nourrit le triomphe colonial et commercial de la France. Fait de traces d’un caoutchouc collé puis arraché, l’œuvre de l’artiste, née au Vietnam, raconte les échanges imposés par l’Occident aux pays colonisés, les cultures devenues intensives, les séquelles portées par la terre, par les populations par-delà les saisons.
Bon à savoir : des visites « éclairage » de 20 minutes en accès libre, des conversations avec des conférenciers dans les salles ainsi qu’une application en ligne gratuite sont proposées.
Exposition Avant l’orage, jusqu’au 11 septembre 2023, Bourse de commerce, 2 rue de Viarmes, 75001 Paris. Du lundi au dimanche de 11h à 19h. Nocturne le vendredi jusqu’à 21 h.