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C’est quoi le phubbing, cette pratique qui nuit à nos relations ?

11 février 2023
Par Kesso Diallo
Le phubbing peut être un problème dans les couples.
Le phubbing peut être un problème dans les couples. ©Prostock-studio/Shutterstock

Consistant à ignorer une personne physiquement présente au profit de son smartphone, cette pratique est susceptible de porter préjudice aux relations personnelles et professionnelles.

Depuis leur arrivée, les smartphones ont changé nos vies, mais aussi nos comportements. On peut y passer des heures (réseaux sociaux, vidéos, jeux…) et le consulter plusieurs fois par jour, notamment lorsqu’on reçoit des notifications. Il peut même nous arriver de prendre notre téléphone alors que nous sommes avec quelqu’un, lors d’un repas familial, d’un dîner au restaurant ou encore en pleine conversation avec un ami. Vous ne le savez peut-être pas, mais cette pratique a un nom : c’est ce qu’on appelle le phubbing. Explications.

Sentiment d’exclusion et perte de confiance

Le phubbing est une pratique qui remonte à des années. Inventé en 2012 par l’agence de communication américaine McCann, ce terme vient de la contraction des mots anglais “phone” et “snubbing”. Il se traduit ainsi en français par « télésnober », soit l’art d’ignorer une personne en consultant son téléphone plutôt que de communiquer avec elle. « Une de mes amies passe son temps à regarder son fil Facebook pendant qu’on discute. Ce n’est pas tant pour publier ou liker, mais pour regarder la vie des autres de manière insatiable, quitte à ne pas regarder la personne en face d’elle », témoignait une femme de 29 ans auprès de L’Obs en 2015.

Or, cette pratique peut avoir des conséquences sur les relations personnelles comme professionnelles, comme le montre l’étude The Psychology of Phubbing publiée fin octobre et relayée par le site Stylist. Elle révèle notamment que nous sommes plus susceptibles de télésnober les personnes les plus proches de nous, soit les compagnons, les amis, les frères et sœurs, les enfants ou les parents.

Les amis peuvent se sentir exclus lorsqu’ils sont phubbés.©Iammotos / Shutterstock

Dans chacun de ces groupes, le phubbing a provoqué un ressenti négatif chez les personnes qui en étaient victimes. Les enfants ont par exemple pensé que leurs parents ne s’intéressaient pas à eux, se sont sentis rejetés et socialement déconnectés. Au travail, cette pratique a entraîné une baisse de la confiance de la part des employés envers leur patron, ce qui a également suscité un sentiment d’exclusion sociale ainsi qu’une baisse de la motivation et de la satisfaction.

Enfin, une hausse des conflits a été constatée dans les relations amoureuses à cause de ce comportement. Le sentiment d’exclusion chez le partenaire ignoré a entraîné une baisse de l’intimité et de la satisfaction à l’égard de la relation. Selon Vanessa Lalo, psychologue spécialiste des pratiques numériques, il peut même souffrir de problèmes d’estime de soi. « Dans beaucoup d’articles, on voit que le phubbing a créé des ruptures, mais c’est faux, nuance-t-elle. Cela peut créer des conflits qui provoquent des ruptures ou, du moins, les accélèrent, car beaucoup de témoignages ont montré que ça n’allait plus très bien dans le couple, raison pour laquelle ils passent du temps sur leur portable, ce qui renforce la problématique. »

Réduire la tentation et les effets du phubbing

Le problème avec le phubbing – et plus généralement, avec notre rapport aux smartphones – c’est que ces pratiques ne sont pas seulement liées à nos comportements, mais aussi à « l’économie de l’attention ». « Nous recevons tout le temps des notifications et nos téléphones nous poussent en permanence à venir les toucher », souligne Vanessa Lalo.

Face aux multiples notifications reçues chaque jour, elle conseille de garder les plus importantes, comme les messages, et de supprimer un maximum de celles n’étant pas nécessaires, car elles nous encombrent en permanence pour rien. On peut par exemple consulter par soi-même, sans avoir besoin d’une notification, les résultats d’un match de foot ou une actualité. Elle recommande aussi de mettre son portable en silencieux pour éviter de le regarder le temps d’une sortie entre amis ou en couple, ou de le laisser dans sa poche. Au restaurant, le fait de ne pas le poser sur la table est par exemple un moyen de ne pas se laisser tenter.

Les notifications nous poussent à prendre notre téléphone.©McLittle Stock / Shutterstock

Pour éviter les conséquences du phubbing sur la personne qui se fait télésnober, il est également important de s’excuser. Et la manière de le faire diffère selon la raison pour laquelle favorise notre smartphone. Le phubbing peut en effet être lié au FOMO, soit la peur de rater quelque chose, tout comme il peut être lié à l’ennui dans une relation ou encore à une urgence. « Dans ce cas-là, il faut peut-être se remettre en question ou comprendre ce qui ne va pas dans sa propre pratique. Si ce qui ne va pas, c’est qu’on a un rapport compulsif à son portable, il y a peut-être une distance à prendre avec l’outil. Si ce ne qui ne va pas, c’est qu’on est un bourreau de travail et qu’on est complètement greffé à son portable pour le boulot, peut-être qu’il y a aussi quelque chose à travailler… », explique la psychologue.

« Désolé, j’ai un petit truc à faire », « Excuse-moi, j’ai quelque chose à faire, mais je t’écoute quand même »… Des petites phrases qui annoncent qu’une personne s’appête à se livrer au phubbing. « Ces petits actes peuvent grandement contribuer à réduire l’effet du phubbing sur la personne phubbée », affirme Yeslam Al-Saggaf, professeur associé en technologie de l’information à l’université australienne Charles Sturt et qui a mené l’étude.

Un individualisme avec les pratiques liées aux smartphones

S’il est important pour le phubbeur de se mettre à place de l’autre, la personne ignorée doit aussi le verbaliser d’une manière ou d’une autre, selon Vanessa Lalo. « Beaucoup de gens ne sont pas capables de mettre des mots dessus. Il y a plein de personnes qui se font phubber et qui le vivent mal, mais qui ne vont jamais rien dire. Du coup, ça crée une sorte de distance intérieure avec les autres. Il y a ceux qui vont s’énerver, entrer en conflit, et ceux qui vont juste en souffrir sans rien dire. C’est là où la notion d’empathie est importante pour que celui qui phubbe se rende compte qu’à certains moments, cela crée de la souffrance chez l’autre », explique-t-elle.

Elle estime aussi qu’outre les excuses, le fait de montrer à l’autre – si possible – ce que l’on fait est un moyen de réduire les conséquences de cette pratique. Alors que l’individualisme ressort de cette notion de phubbing et d’autres pratiques, elle insiste sur le fait d’« essayer de se remettre en collectif ». Si le phubbing n’est pas grave dans le sens où il ne s’agit pas d’une pathologie, la psychologue s’inquiète des conséquences à long terme sur notre société. « Ce qui est embêtant avec toutes nos pratiques individuelles, pas juste le phubbing, c’est qu’on n’est pas dans le partage. On est loin de la télé où on partageait tous ensemble quelque chose. Désormais, chacun est sur son portable à faire un truc différent, donc on vit des expériences différentes et on ne les partage pas. »

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Article rédigé par
Kesso Diallo
Kesso Diallo
Journaliste
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