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Trop, c’est trop : le doomscrolling, cette pratique répandue nuisible à la santé mentale et physique

01 octobre 2022
Par Kesso Diallo
Le fait de s'exposer de manière intensive aux infos négatives a un impact sur la santé mentale.
Le fait de s'exposer de manière intensive aux infos négatives a un impact sur la santé mentale. ©Prostock-studio / Shutterstock

La tendance à consulter compulsivement des informations négatives s’est accentuée lors de la pandémie de Covid-19, avec les confinements lors desquels de nombreuses personnes ont passé plus de temps sur leur smartphone à rechercher des informations.

Dès le réveil, de nombreuses personnes, en particulier les jeunes, ont pour habitude de se jeter sur leur smartphone pour vérifier leurs notifications, consulter certains sites et réseaux sociaux. Sans s’en rendre compte, elles peuvent passer des heures à « scroller », soit à faire défiler des contenus sur leurs écrans. C’est une pratique qu’elles réitèrent à différents moments de la journée : dans les transports, dans la file d’attente des magasins, sur leur canapé…

Une autre pratique est devenue si courante qu’elle est désormais désignée par un mot dérivé du verbe anglais « to scroll ». Il s’agit du « doomscrolling », qui signifie littéralement « faire défiler jusqu’à sa perte » et consiste à consulter de façon compulsive des informations négatives, qu’elles soient tristes ou anxiogènes. Accentué depuis la pandémie de Covid-19, ce phénomène ne cesse de prendre de l’ampleur, avec des événements comme la guerre en Ukraine ou encore les conséquences du réchauffement climatique. Cette exposition intensive à des sujets tristes et sombres a pourtant des conséquences sur la santé mentale et physique des individus.

Une consommation d’informations néfaste

Une étude publiée en août dans la revue Health Communication montre que des personnes présentent des signes de consommation d’informations « gravement problématiques », ce qui entraîne des niveaux de stress et d’anxiété plus élevés que chez d’autres individus. Menée auprès de 1 100 adultes américains, elle a permis d’identifier quatre classes concernant la consommation d’actualités selon cinq critères : être absorbé par l’actualité au point d’en oublier le monde qui nous entoure, être préoccupé par des pensées sur l’actualité, tenter de réduire son anxiété en consommant plus d’informations, avoir du mal à arrêter de les lire ou de les regarder, et le fait que cette consommation nuit aux activités quotidiennes (école, travail).

Sur l’ensemble des personnes interrogées, 16,5% ont signalé des niveaux de consommation « gravement problématiques », ayant obtenu des scores élevés sur ces cinq dimensions. Parmi elles, 74% ont par ailleurs déclaré avoir des problèmes de santé mentale, tandis que 61% ont indiqué souffrir de problèmes physiques. Concernant les autres catégories, 28,7% ont indiqué n’avoir aucun problème avec la consommation d’informations et 27,5% ont déclaré être affectées de façon minime, étant en quelque sorte absorbées par les infos sans que cela n’interfère avec leurs activités quotidiennes. Enfin, 27,3% ont signalé des niveaux « modérément problématiques », ayant « obtenu un score autour du point médian » sur les cinq dimensions.

Pour les chercheurs, le fait de consulter ces informations négatives peut « entraîner un état d’alerte constant » chez certaines personnes qui voient le monde comme « un endroit sombre et dangereux ». Ils précisent également qu’« un cercle vicieux peut se développer dans lequel, plutôt que de se déconnecter, elles sont davantage attirées, obsédées par les informations et vérifiant les mises à jour 24 heures sur 24 pour atténuer leur détresse émotionnelle. Mais cela n’aide pas, et plus elles vérifient les informations, plus cela commence à interférer avec d’autres aspects de leur vie ».

Ce problème n’est pas seulement du ressort des individus, il est aussi lié aux réseaux sociaux qui veulent garder les utilisateurs le plus longtemps possible sur leurs plateformes. « Cet intérêt explique le recours au format du scrolling infini, mais aussi le mécanisme de récompense variable (analogue à celui des machines à sous des casinos) mis en place par les algorithmes, ou le fait de survaloriser la répétition de certains types de contenus suscitant particulièrement l’intérêt, comme les informations négatives ou les titres racoleurs », expliquait Nicolas Nova, anthropologue du numérique, au Monde en avril dernier.

Lutter contre le doomscrolling

Si l’approche pour traiter des addictions et des comportements compulsifs est l’arrêt complet dans la plupart des cas, cela n’est pas recommandé pour la consommation d’informations. Comme l’expliquent les chercheurs, certaines personnes peuvent décider réduire celle-ci de façon considérable ou d’arrêter, en se déconnectant, mais cette solution est problématique individuellement et socialement. Avec le Covid-19, par exemple, ce « décrochage se fait au détriment de l’accès d’un individu à des informations importantes pour sa santé et sa sécurité, mais il sape également l’existence d’une population informée, ce qui a des implications pour le maintien d’une démocratie saine », indiquent-ils. Selon eux, il faudrait plutôt trouver des moyens de développer une relation plus saine avec l’actualité au lieu d’arrêter de consulter les informations. 

Le fait de lire des infos positives peut d’ailleurs être une solution, permettant d’avoir un certain équilibre avec celles de nature négative. Des sites sont dédiés à ce type d’actualités, à l’instar du Média Positif, qui est né lors du confinement et a pour ambition de « montrer l’actualité sous un jour nouveau, mettre en lumière les nouvelles positives qui chaque jour naissent en silence, sans que personne ne les porte à votre connaissance ».

Enfin, pour lutter contre le doomscrolling, il est possible de s’imposer des limites de temps, en définissant des plages horaires ou des moments de la journée pour consulter les infos (petit-déjeuner, après le boulot…) ou en désactivant les notifications afin d’éviter de prendre son smartphone. Apple propose d’ailleurs de programmer des résumés de notifications pour recevoir l’ensemble d’entre elles à ou aux heures de son choix. Autre moyen :  les limites physiques, en laissant tous ses écrans à l’extérieur de sa chambre, par exemple, pour éviter de « doomscroller » la nuit.

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Article rédigé par
Kesso Diallo
Kesso Diallo
Journaliste