Après les bulles spéculatives, le marché s’est certes contracté, mais aussi assaini. L’occasion pour les femmes de s’emparer davantage de la scène artistique NFT.
Bien plus qu’une bulle spéculative… Certes, les NFT sont partis sur de mauvaises bases. Ces jetons (tokens) non fongibles, des actifs numériques uniques et non interchangeables, ont rapidement été réduits à la simple image « d’argent magique » que certains leur ont prêtée en raison de la grande variabilité de leur valeur. Pourtant, ces tokens numériques enregistrés sur la blockchain prouvent un peu plus chaque jour leur utilité.
Véritables titres de propriété impossibles à falsifier, les NFT sont parfaitement adaptés au monde de l’art dans toute sa variété (graphisme, illustration, jeu vidéo, graffiti, illustration, photo, peinture, audio…). Ils sont également utiles pour vérifier et authentifier des biens physiques et virtuels, des actifs numériques mais aussi, bien sûr, dans le cadre de l’art numérique, ou crypto art.
À lire aussi
Mais les chiffres relatifs à ce marché restent encore flous. Selon l’Art Market Report 2022 publié sur le site d’Art Basel, l’art numérique a représenté une valeur de 11,16 milliards de dollars en 2021. Du côté du cabinet d’études des blockchains Chainalysis, ce même marché a pesé pour 41 milliards de dollars, rapporte Bloomberg. Une chose est sûre : en 2021, année record pour le crypto art, c’est l’artiste Pak qui a réalisé la vente la plus importante. Son œuvre – The Merge – a été valorisée 91,8 millions de dollars et achetée par… 29 983 personnes. Un record encore à ce jour et qui devrait tenir encore longtemps.
En 2022, un nouvel « hiver crypto », synonyme d’effondrement du cours des cryptomonnaies, a eu lieu. Dans son sillage, il a fait chuter le marché de l’art NFT encore émergent. OpenSea, la principale plateforme de vente d’art numérique, a vu la valeur de ses ventes reculer de 90 % entre janvier et août 2022.
Cette mauvaise passe est peut-être une chance pour le crypto art. C’est l’occasion de faire le tri entre les purs spéculateurs et les amoureux de la créativité numérique. Ceux qui y croient réellement. Et de faire émerger un nouveau marché jusque-là confidentiel : le crypto art féminin.
Un monde d’hommes : seulement 16% des artistes crypto sont des femmes
Le constat est rude. Une analyse portant sur 21 mois et visant les ventes réalisées sur la plateforme Nifty Gateway a souligné la très faible présence des femmes sur le marché du crypto art. Selon le rapport du cabinet ArtTactic de novembre 2021, moins de 16 % des artistes NFT sont des femmes et elles génèrent seulement 5 % du total des ventes. « Avant de nous lancer dans le métavers, peut-être serait-il bon de faire une pause et de se demander à quoi nous voulons que ce monde virtuel ressemble avant de répéter les erreurs du passé », a déclaré Anders Petterson, le fondateur de ArtTactic.
À lire aussi
À ce jour, la seule femme à figurer dans le Top 10 des ventes NFT en 2021 était la musicienne Grimes. De son vrai nom Claire Boucher, l’ex-compagne d’Elon Musk a figuré un temps à la sixième place grâce à la vente d’une collection de NFT baptisée WarNymph, pour 6 millions de dollars. La deuxième femme, Jo-Ani Charland, figurait à la 50e place l’an passé. Et en 2022 ? Le Top 10 est presque 100 % masculin avec les incontournables Pak et Beeple en tête de liste. Seule une femme, Nadia Squarci, une Italienne en duo avec un homme, Sergio Scalet, figure dans le classement. Ils arrivent en 7e position avec leur projet artistique nommé Hackatao. Néanmoins, davantage de femmes figurent dans le Top 100, ce qui peut être vu comme encourageant.
Une période propice à l’émergence de l’art NFT au féminin
La période difficile qu’est en train de vivre le marché du crypto art est justement l’occasion de remettre les choses à plat et de repartir sur des bases plus saines. Artistes, collectionneurs et entrepreneurs qui croient toujours à l’art NFT ont plus que jamais l’occasion de réimaginer ce marché.
Ce que je trouve particulièrement intéressant, c’est la collaboration entre monde physique et NFT.
Delphine DialloArtiste photographe
Expert du secteur, Jason Bailey, le fondateur de ClubNFT, a récemment souligné que trois des projets les plus notables avaient été lancés lorsque les cryptomonnaies étaient chahutées et leur cours en berne. Ce fut le cas des CryptoPunks en 2017 et, deux ans plus tard, de SupeRare et KnownOrigin. Selon lui, alors que les monnaies virtuelles sont dévaluées, le marché est plus libre et ouvert à l’innovation et à la création que lorsqu’il se porte bien et subit la pression des spéculateurs.
À lire aussi
Il y a donc une opportunité actuellement pour les femmes sur le marché du crypto art. La photographe franco-sénégalaise Delphine Diallo en est le parfait exemple. Artiste reconnue, exposée aux Rencontres de la photographie d’Arles par la Fisheye Gallery, elle a accepté, en novembre 2021, de vendre 100 images tirées de sa série photographique Divine sous la forme de NFT par le biais de la plateforme Quantum. « En une heure et demie, j’ai vendu 100 œuvres pour 100 000 dollars. Ce que je trouve particulièrement intéressant, c’est la collaboration entre monde physique et NFT. Ces nouveaux supports laissent entrevoir une grande diversité de création artistique, notamment en gagnant en immersivité », a-t-elle expliqué lors d’une conférence dans le cadre de l’événement Palais Augmenté 2, organisé en juin dernier.
Une représentation croissante des femmes
En 2021, les ventes NFT par des femmes artistes ont atteint un total de 443 millions de dollars aux ventes aux enchères de Christie’s, Sotheby’s et Phillips, selon un rapport ArtTactic publié en octobre 2022. C’est 40 % de plus qu’en 2019 et le montant devrait être similaire ou légèrement supérieur cette année, selon les prévisions, alors que le marché global est plutôt en berne. Elles pèseraient désormais pour environ 15,3 % du total des ventes.
En revanche, concernant le fossé de prix entre artistes masculins et féminins, il reste important (plus du double !) pour les personnes nées avant 1976. ArtTactic avance que la différence est inversée pour les artistes entre 30 et 45 ans. Les femmes auraient empoché en moyenne des sommes 40,5 % supérieures à celles des hommes entre janvier et octobre 2022.
Sororité, inclusivité… un marché crypto art qui se veut plus ouvert
La Canadienne Lana Denina fait elle aussi partie des artistes sur le devant de la scène NFT. En dix mois l’an passé, ses NFT se sont vendus pour un montant de 300 000 dollars. Cette artiste-peintre noire de 25 ans veut être un modèle pour d’autres artistes : « J’espère inspirer plus de créatifs qui me ressemblent à se lancer dans les NFT, a-t-elle déclaré à CNBC. Quand ils ont vu la collection Mona Lana [500 portraits de femmes générés par code à partir de 112 critères différents, ndlr], mes ventes ont décollé. Je ne sais pas si j’ai eu de la chance mais je m’en réjouis. »
Et dans l’optique de rendre un peu ce qu’elle a reçu, elle s’est promis de reverser un pourcentage de ses ventes à Cyber Baat, un collectif canadien d’artistes digitaux afrodescendants qui aide les artistes de cette communauté et finance aussi des logements pour femmes sans-abri. « En temps que jeune femme de couleur dans ce milieu, cela a été 100 fois plus difficile d’être respectée que les hommes, a-t-elle tweeté. Néanmoins, j’ai aussi rencontré des gens incroyablement solidaires, extrêmement intelligents et talentueux. »
Toujours dans cette optique de bienveillance et d’ouverture, une initiative française, Gxrls Revolution met l’accent sur l’inclusivité, une des valeurs fondamentales des cryptomonnaies au principe décentralisé et ouvert à toutes et tous. Ce mouvement veut visibiliser et valoriser le travail des femmes et des personnes non-binaires dans le web3. Une de ses cofondatrices, JessyJeanne, est une artiste NFT qui a lancé le projet de DAO (organisation autonome décentralisée) « Art From Future ». Gxrls Revolution compte à ce jour un catalogue de 100 femmes artistes NFT à suivre et cinq curatrices.
Des NFT qui redonnent le pouvoir aux artistes
« Le Web3 va donner pouvoir et autonomie aux artistes comme jamais auparavant », affirme Yam Karkai. Non seulement cette plateforme apporte une très grande liberté créative, mais elle permet aussi aux créateurs et créatrices de garder d’une certaine manière le contrôle sur leurs œuvres. Non seulement la rémunération peut être meilleure, mais les artistes peuvent aussi profiter du marché secondaire des NFT. En effet, à chaque revente d’un token, il est prévu un système de royalties inscrits dans la blockchain (0,5 % de chaque vente du NFT). Le principe doit encore se stabiliser (les plateformes de vente ont tendance à vouloir s’accaparer ces montants), mais le principe existe. L’important est que la valeur de l’artiste est enfin reconnue sur le long terme.
Choisissez bien votre entourage. Trouvez des personnes qui ont de grands rêves, des personnes qui ont une mission, qui en savent plus que vous, qui ont plus d’expérience que vous…
Yam KarkaiCo-fondatrice World of Women
World of Women s’y emploie notamment avec son metaverse WoWverse. « Le but est de créer un nouveau média pour donner vie à la créativité. Dans cet espace, nous voulons ouvrir l’écriture et la narration de traditions à notre communauté », raconte, enthousiaste, Yam Karkai.
Quel conseil donnerait-elle à une personne qui voudrait sauter le pas et créer ses propres œuvres NFT ? « Suivez votre cœur et faites-vous confiance. Je pense que les gens tirent le meilleur parti de leur carrière lorsqu’ils restent authentiques envers eux-mêmes. Si vous êtes passionné par quelque chose, allez-y. Peu importe votre parcours, si vous avez un diplôme et où vous avez travaillé par le passé. Ces choses ne définissent pas ce qu’est ou pourrait être votre plein potentiel. Ce sont les constructions sociales de la société qui nous font douter de nous-même. Et j’ajouterais : choisissez bien votre entourage. Trouvez des personnes qui ont de grands rêves, des personnes qui ont une mission, qui en savent plus que vous, qui ont plus d’expérience que vous… »
9 femmes à suivre sur le marché de l’art
Josie Bellini. Cette crypto artiste NFT est reconnue pour ses œuvres d’art digitales élégantes et mélancoliques qui abordent les thèmes de la solitude et de la quête de sens.
Anne Spalter. À la fois artiste et curatrice, cette Américaine est l’autrice de The Computer in the Visual Arts. Elle crée notamment des œuvres visuelles et sonores complexes et immersives, explorant souvent les thèmes de la nature et de l’environnement.
Inna Modja. Cette franco-malienne est une artiste aux multiples facettes (musique, chant…), avec une préoccupation majeure : l’environnement. Avec son Green Project, elle organise des ventes aux enchères de NFT pour financer des projets écologiques.
Mariama Laborde (OrabelArt). Cette designer graphique et illustratrice est française, basée à Marseille. Elle aime représenter les femmes fortes et mystérieuses. Ses représentations, inspirées de la japanimation et des manges, s’inscrivent souvent dans une « lo-fi aesthetic ».
Artchick. Cette voix puissante du monde du crypto art s’efforce de mettre en avant sa communauté, notamment les artistes féminines. À suivre pour ses bons conseils (autant pour les artistes que les collectionneurs) et pour se tenir au courant de l’actu du marché des NFT d’art.
Delphine Diallo. Cette photographe franco-sénégalaise mixe photographies et peintures digitales dans des œuvres très immersives. Ses thématiques de prédilection sont l’exploration de l’identité, de la culture et des femmes noires.
CypherCHK. Cette artiste met les femmes sous toutes leurs facettes au centre de sa démarche créative. Que ce soit avec ses projets 101 Babes, Encryptas ou sous son pseudo CypherCHK. Elle a choisi de rester anonyme pour souligner la différence entre le Web3, où chacun est maître de ses données personnelles, et le Web 2, qui vampirise toutes nos infos et scrute notre vie privée.
Yam Karkai. La fondatrice de World of Women s’efforce de créer avec sa démarche un web3 plus engagé et plus égalitaire. Ses œuvres colorées et poétiques mettent littéralement les femmes noires au centre de son univers artistique.
Lisa Mayer. Cette entrepreneuse est la fondatrice de Boss Beauties, une plateforme NFT par et pour les femmes. Elle s’adresse à des artistes de la Gen Z qui ont pour mission de créer « des portraits de femmes qu’elles aimeraient “être ou voir exister dans le monde” ».