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Cyberharcèlement : quel vécu pour les victimes ?

16 décembre 2022
Par Kesso Diallo
L'association Féministes contre le cyberharcèlement dévoile le vécu des victimes dans une nouvelle enquête.
L'association Féministes contre le cyberharcèlement dévoile le vécu des victimes dans une nouvelle enquête. ©myboys.me / Shutterstock

Dans une nouvelle enquête, l’association Féministes contre le cyberharcèlement s’est intéressée à l’impact des violences en ligne sur la vie et la santé des victimes.

Après avoir dressé un état des lieux du cyberharcèlement en début d’année, l’association Féministes contre le cyberharcèlement vient de publier les résultats d’une nouvelle enquête*. Réalisée par Ipsos à sa demande, elle est axée sur le vécu des victimes. « L’impact de ces violences sur la vie et la santé des victimes est encore peu documenté, c’est ce constat qui a incité l’association à questionner directement les victimes de cyberviolences sur leurs parcours. Or, les résultats de cette enquête (…) dressent un état des lieux alarmant et soulignent le caractère genré de ces violences ainsi que leurs conséquences délétères », explique-t-elle.

Les personnes vulnérables et discriminées, premières victimes

La précédente enquête montrait déjà que les jeunes, les personnes LGBTQIA+, les individus racisés et les femmes étaient les premiers touchés par ces violences en ligne. Cela se voit aussi avec ce nouveau sondage, avec 84% des victimes étant des femmes et 43% des personnes discriminées en raison de leur identité de genre et de leur orientation sexuelle. 51% d’entre elles avaient également moins de 30 ans au moment des faits.

Insultes, menaces, contenus intimes diffusés sans consentement

Les victimes sont le plus souvent confrontées à des menaces et des insultes (93%), mais 52% d’entre elles ont aussi vu des contenus intimes ou dégradants diffusés sans leur consentement. La majorité des répondants ont par ailleurs déclaré avoir fait face à des insultes et des menaces, reçu des photos de parties génitales et été exposées à des contenus violents à plusieurs reprises.

Des conséquences délétères pour les victimes

Ces cyberviolences ont un impact significatif sur la santé et la vie des victimes. Cela est entre autres lié au fait qu’elles peuvent se poursuivre dans la vraie vie. « Il est aujourd’hui impossible de tracer une ligne de démarcation nette entre le hors-ligne et le en-ligne : les cyberviolences s’enchevêtrent avec les violences subies dans l’espace tangible et s’inscrivent dans un continuum de violence », indique l’association Féministes contre le cyberharcèlement. Les violences en ligne se sont en effet poursuivies en présentiel pour 72% des cyberharcelés et près d’un sur cinq a subi des violences physiques et sexuelles en plus de ces cyberviolences. Autrement dit, éteindre son ordinateur ou désactiver ses comptes sur les réseaux sociaux n’est pas suffisant pour y mettre fin.

93
% des victimes ont été la cible d’insultes et de menaces.

Ce cyberharcèlement a eu des conséquences sur la vie sociale, familiale, scolaire et professionnelle des victimes. 61% ont fini par s’isoler et 40% ont perdu une partie ou la totalité de leurs amis. 32% ne pouvaient également plus se rendre au travail ou à l’école. À cela s’ajoute les personnes qui ont raté leurs études (15%) et perdu leur emploi (10%). 12% des victimes ont aussi fini par divorcer ou se séparer de leur conjoint du moment.

Les conséquences sur la santé sont en outre extrêmement lourdes, ayant engendré un impact psychologique dans 80% des cas et un impact physique pour une victime sur deux. En plus d’être devenues hypervigilantes, la majorité d’entre elles ont souffert de troubles anxieux et dépressifs ainsi que d’insomnies. Près de la moitié (45%) ont également développé des troubles alimentaires. Pire encore, près d’une victime sur cinq s’est déjà auto-mutilée à la suite de ces violences en ligne.

Un manque d’information et de formation pour aider les victimes

Confrontés à ce phénomène, les cyberharcelés ont adopté diverses stratégies. La plupart ont bloqué le profil et le numéro du cyberharceleur, ou ont signalé le message, commentaire ou profil de ce dernier. Plus de la moitié ont aussi fait une capture d’écran des messages ou des photos qu’ils ont reçu pour avoir des preuves. 69% des victimes ont cependant admis ne pas savoir comment réagir à une situation de cyberviolence. Bien que 74% en aient parlé à au moins une personne, plus d’un tiers ont, elles, gardé le silence car elles ne savaient pas à qui en parler ou par peur des conséquences. Plus d’un quart se sont également tues parce qu’elles se sentaient coupables.

80
% des victimes de cyberviolences rapportent un impact sur leur santé mentale

D’un autre côté, peu de victimes connaissent les dispositifs pour les accompagner dans ces situations. 81% ont affirmé être mal informées sur les plateformes mises à leur disposition pour les aider. Si 62% ont entendu parler de Pharos, une plateforme gérée par des policiers et gendarmes spécialisés qui permet de leur signaler des contenus illicites, ce chiffre tombe à 27% concernant le 3018 (application et numéro national contre les violences numériques). « Ces chiffres pointent de sérieuses et regrettables lacunes en matière d’initiatives gouvernementales pour assurer l’information du public et la prise en charge des victimes de cyberviolences », regrette l’association.

Elle reproche par ailleurs le fait que le parcours judiciaire des victimes soit semé d’embûches. 61% des répondants estiment que porter plainte ne sert à rien et cela est justifié. En effet, alors qu’une victime sur quatre est allée au commissariat ou à la gendarmerie, leur plainte n’a abouti à aucune poursuite dans 70% des cas. Le dépôt de plainte a en outre été refusé pour un tiers des victimes, même si cela est illégal. Au total, une plainte a été suivie de poursuites judiciaires dans seulement 3% des cas. De plus, 17% des cyberharcelés n’ont pas porté plainte car ils ne savaient pas qu’ils pouvaient le faire.

À la suite de cette enquête, l’association demande aux pouvoirs publics de « mettre en place de toute urgence des campagnes d’information et de prévention sur les cyberviolences » ainsi qu’une « plateforme d’écoute et d’orientation destinée à toutes les victimes de violences en ligne » et un « observatoire des cyberviolences de genre ». Elle veut également qu’un « grand plan national d’information et de formation à destination du personnel éducatif, social et de santé, du corps juridique et des forces de police » soit mis en œuvre pour améliorer le parcours des victimes et leur accès au droit.

*Enquête réalisée du 30 septembre au 2 novembre auprès de 216 victimes de cyberviolence âgées de 16 à 60 ans et plus.

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Kesso Diallo
Kesso Diallo
Journaliste
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