Pour la sortie du livre L’Art de Quantic Dream, nous avons pu revenir avec son auteur, Jean Zeid, sur les moments forts du studio. Il nous a livré les secrets de son enquête passionnante.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de plonger dans l’univers de ce studio ?
La première raison est simple : j’aime les productions du studio Quantic Dream, et j’aime le fait qu’ils me racontent des histoires. Pour tout vous dire, à la fin des années 2000, j’étais plutôt critique cinéma et animateur radio, et Heavy Rain a été l’un des titres qui m’a fait bifurquer vers le jeu vidéo. Il m’a permis de réaliser qu’il se passait quelque chose de nouveau dans le royaume du gaming. Je me suis dit que je n’avais peut-être pas regardé ce medium de la bonne manière jusqu’à présent.
Donc votre jeu favori chez Quantic Dream serait Heavy Rain ?
C’est difficile à dire… Je ne sais pas quel est mon jeu préféré entre Detroit Become Human et Beyond Two Souls, mais ça reste un titre important.
Quel rapport entreteniez-vous avec Quantic Dream durant la création de ce livre L’art de Quantic Dream ?
Un rapport très simple, car nous avions cette envie commune de travailler ensemble. Ils m’ont donné quelques noms et j’ai fait un travail d’enquête pour retrouver notamment des personnes qui étaient là dès le début. J’ai commencé à interviewer David Cage, Guillaume de Fondaumière, bien sûr, Christophe Brusseaux, le directeur artistique, Jérôme Britneff-Bondy, game designer et scénariste, Sophie Bulle à la production, Xavier Despas au son… Des gens qui sont chez Quantic depuis assez longtemps ; il y a une vraie fidélité dans cette entreprise.
On est parti sur un long recueil de détails et d’anecdotes. Le but du livre était de raconter les 25 ans du studio de la manière la plus détaillée possible. Je voulais faire quelque chose qu’on n’aurait jamais lu ou vu avant. En parallèle, il y a aussi eu un travail sur les concept-arts et les photos de tournage, très importants pour le studio.
Aujourd’hui, Quantic Dream est toujours une bizarrerie.
Jean Zeid
Pensez-vous que Quantic Dream soit un studio à part dans le paysage vidéoludique ?
Oui, car son fondateur, David Cage, voulait absolument raconter des histoires. Sa première rencontre avec l’univers des jeux vidéo était avec la PlayStation 1. C’est à ce moment-là qu’il s’est dit qu’il y avait quelque chose à faire dans ce milieu, et qu’il voulait partager des récits par ce medium. Avant, c’était un professionnel de la musique. Il n’était pas du tout là-dedans.
Aujourd’hui, Quantic Dream est toujours une bizarrerie. Il ne fait pas de suites ni de jeu d’heroic fantasy, il n’aime pas le game over – car la mort ne sert pas ses enjeux narratifs. Le studio a mis en place une vraie philosophie de création. Ils savent qu’ils vont rencontrer des obstacles pour raconter des histoires avec le jeu vidéo, mais ils le font quand même, parce que c’est un medium qui peut, et qui sait le faire. Quand il le fait bien, c’est super touchant et ça marche très bien. C’est un studio à part, parce qu’il est jusqu’au-boutiste.
Outre l’aspect narratif, l’une des particularités de Quantic porte sur l’aspect technique et notamment la motion capture…
Dans le livre, plusieurs paragraphes s’attardent sur le côté technique : le moteur 3D, pourquoi la cinématographie, pourquoi la narration interactive et ce que cela représente pour le studio… J’ai découvert que la motion capture était apparue dès le projet Omicron (The Nomad Soul). Cette capture des mouvements était une volonté de David Cage et ses collaborateurs dès le départ : ils voulaient utiliser l’aspect cinématographique afin d’attirer le plus de joueurs et de joueuses.
Le grand public connaissait déjà l’image cinématographique, il y était habitué, donc elle pouvait séduire beaucoup plus de gens à une époque où le jeu vidéo était moins populaire qu’aujourd’hui. Dès The Nomad Soul, David Cage a découvert dans le milieu médical un système de capture de corps qu’il a emprunté, en faisant un deal avec une société spécialisée.
À chaque fois, pour la BO, ils se disaient : “Est-ce qu’on peut avoir untel ? On va lui demander.” Dans leur liste, il y avait David Bowie et Björk.
Jean Zeid
Il leur a dit : “On fait des démos et, si ça marche, on travaille ensemble”. Pour ses premiers jeux, Quantic Dream courait après des éditeurs. Au début, la stabilité était une réelle difficulté en raison de cette volonté d’innovation. Finalement, la démo a plu à Eidos, qui a signé l’édition et le jeu a pu voir le jour.
L’autre particularité de Quantic Dream est l’intégration de personnalités connues aux projets, comme David Bowie pour la bande-son de leur tout premier jeu. Comment s’est passée cette rencontre ?
Durant une rencontre organisée par Eidos, Quantic a listé les musiciens avec lesquels ils souhaitaient collaborer. Au début, ça se faisait dans le studio de musique de David Cage. Il est petit, mais il a des ambitions toujours très grandes. À chaque fois, ils se disaient : “Est-ce qu’on peut avoir untel ? On va lui demander.” Dans leur liste, il y avait David Bowie et Björk.
Au départ, Bowie devait juste donner son accord pour l’utilisation d’un de ses titres, Heroes. David Cage lui a pitché le jeu, une science-fiction cyberpunk très cinématographique. Et là, le chanteur a dit : “Ok, mais je veux faire toute la BO.” Un grand silence s’est installé, tout le monde était stupéfait. L’univers a plu à David Bowie, et un gros travail a été fait à Paris. Finalement, le résultat a étonné David Cage.
Il s’attendait à quelque chose de plutôt froid, assez futuriste, minéral, et Bowie a fait tout le contraire. Quelque chose d’assez chaud, de très harmonique, en expliquant que le monde de Nomad Soul se déshumanise et que la musique joue le rôle d’humanisation de cet univers. Il a même joué deux rôles dans le jeu. Aujourd’hui, on peut encore voir le chanteur en session live, dans un tripot d’Omicron, à une heure bien précise en jeu.
L’indépendance et la volonté de ne jamais faire de suite ne risquent-elles pas de se heurter à leur prochain jeu, une licence Star Wars ?
Quand Disney est allé à la rencontre de Quantic, il n’était pas question de Star Wars au départ. Disney s’est dit : “Le studio sait raconter une histoire en utilisant un langage cinématographique, allons voir ce qui les intéresse dans notre catalogue.” David Cage, comme tout le monde chez Quantic, est très fan de Star Wars.
Pour garder ce souci d’indépendance et la liberté de raconter leurs propres récits, ils se sont dit que même avec le canevas, la bible de Star Wars, ils allaient peut-être raconter des choses plus lointaines, en exploitant le contexte de la Bordure extérieure. C’est un élément assez peu traité, à part dans quelques BD. Le peu de littérature qui existait leur a permis de créer une synthèse entre une licence très connue et très cadrée, mais aussi très focalisée sur les Skywalker, tout en s’en éloignant pour raconter autre chose.
Pour eux, les maîtres mots sont l’histoire et les personnages.
Jean Zeid
L’approche très narrative de Quantic Dream a pu diviser les gamers. Qu’est-ce que vous diriez pour convaincre de nouveaux joueurs de s’y essayer ?
On est tous sensibles aux histoires, au scénario et aux personnages. Même les plus farouches des gamers qui veulent juste de l’action pure pourraient être touchés par Detroit Become Human. Je ne sais pas si c’est le meilleur jeu d’action, mais c’est sans doute le meilleur techniquement, aussi bien dans la motion capture (quasi photoréaliste) que dans la narration. Il y a une espèce d’Himalaya atteint, tous les voyants sont au vert dans cette production.
Les personnages sont touchants, il y a une super écriture, de l’action, du suspens et de l’interaction. On reproche souvent au studio de ne pas développer ce dernier point, mais je trouve que ces critiques ne sont pas fondées. Ils font du jeu vidéo, mais pas forcément en suivant les règles d’action bien connues. Pour eux, les maîtres mots sont l’histoire et les personnages.
Le livre L’Art de Quantic Dream, dont les 288 pages sont éditées par Mana Books, est disponible depuis le 3 novembre, au tarif de 39,90 €.