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Des millions de tweets pour décrire l’évolution du moral des Français

20 septembre 2022
Par Marion Piasecki
Des millions de tweets pour décrire l'évolution du moral des Français
©Ink Drop/Shutterstock

Et si les réseaux sociaux pouvaient nous aider à prendre le pouls du moral des Français ? C’est le propos de l’opuscule Le Bonheur est sur Twitter. Explications avec son auteur, Thomas Renault, maître de conférences en économie à La Sorbonne.

En France, la décennie 2011-2021 a été mouvementée : les attentats en 2015 et 2016, les élections en 2017, suivies de la crise des gilets jaunes et, enfin, la pandémie de Covid-19 depuis 2020 avec ses confinements et leurs conséquences. Quel impact ces événements ont-ils eu sur le moral des Français ? Pour le savoir, des enquêtes sont régulièrement menées. Un nouveau type de données peut se révéler aussi précieux pour recueillir les opinions et ressentis de milliers de personnes à la fois : ce que ces dernières écrivent sur les réseaux sociaux.

Une autre vision que celle des sondages

Le choix de Twitter s’est fait naturellement, parce que les messages sont publics (contrairement à Facebook), souvent informels (contrairement à LinkedIn) et les âges sont plus diversifiés que sur TikTok. Malgré tout, la base utilisateurs de Twitter introduit quelques biais : ce sont généralement de jeunes adultes, habitant en ville et diplômés de l’enseignement supérieur. Alors, pourquoi s’intéresser à Twitter en plus des sondages ? « Ça a plusieurs avantages : c’est disponible à haute fréquence, en temps réel et pour un coût de collecte très limité, explique Thomas Renault. Un sondage, lui, sera fait tous les quelques mois sur un échantillon certes représentatif, mais qui n’est pas de très grande taille. »

Twitter propose en effet un échantillon de très grande taille avec ses 500 millions de tweets par jour dans le monde… au point de ne pas savoir par où commencer ! Il était donc nécessaire de trouver des critères de sélection : « Chaque jour, sur des secondes spécifiques, on récupère un échantillon aléatoire de tweets et contenant le mot-clé “je”. C’est notre point d’entrée. D’abord pour des raisons techniques, mais aussi parce que des chercheurs ont montré que, lorsque les individus expriment des choses personnelles, ils vont plutôt utiliser le pronom je. Ça permet d’éviter d’autres types de tweets comme du commentaire d’actualité. » Des outils sont également utilisés pour éviter les bots au maximum. À partir de cette sélection de tweets, une analyse textuelle automatique permet de déterminer si le message est négatif, neutre ou positif, en prenant entre autres en compte les mots, la ponctuation et les emojis. Des moyennes sont enfin réalisées à partir de ces données pour avoir une idée générale.

La crise des gilets jaunes, le début de la fin

« Avec l’ensemble des tweets, on observe des mouvements qui sont très cohérents avec ce qu’on a pu voir de la situation française depuis une dizaine d’années, » affirme Thomas Renault. En résumé, le moral des Français était plutôt stable de 2011 à 2017, avant de connaître un point de rupture avec la crise des gilets jaunes. La tendance à la baisse s’est ensuite confirmée avec l’annonce du premier confinement en mars 2020. L’indicateur montre maintenant une légère hausse, mais bien loin du niveau de 2016.

« Ça nous a permis d’observer la polarisation de la société française, avec des extrêmes qui sont de plus en plus négatifs et en colère, et un centre qui est plutôt stable, même s’il n’est pas très satisfait de la situation. »

Thomas Renault
Maître de conférence en économie

Plusieurs évènements ont été mis en avant par l’indicateur. En positif, en dehors de Noël et du nouvel an qui pourraient influencer l’algorithme avec des expressions comme « bonnes fêtes », l’évènement qui sort du lot – en particulier chez les hommes – est la victoire de la France lors de la finale de la Coupe du monde en 2018. En négatif, les attentats (contre Charlie Hebdo, à Paris et à Nice) et le début de la guerre en Ukraine ont été les plus marquants. Étonnamment, là où la crise des gilets jaunes a installé une baisse de moral dans la durée, les tweets sur les attentats ne montraient qu’une déprime très ponctuelle qui ne durait que quelques jours.

Les comptes auxquels s’abonne un utilisateur peuvent aussi lui attribuer un bord politique, ce qui affine ce baromètre : « Ça nous a permis d’observer la polarisation de la société française, avec des extrêmes qui sont de plus en plus négatifs et en colère, et un centre qui est plutôt stable, même s’il n’est pas très satisfait de la situation. »

Le baromètre, mis à jour chaque semaine, est aujourd’hui disponible en ligne et il est possible d’en télécharger les données. « L’idée est vraiment de créer un indicateur et de permettre ensuite aux pouvoirs publics, à des chercheurs et à des institutions de l’utiliser. On pense qu’il peut y avoir des choses intéressantes à faire pour essayer de relier ça avec des variables du monde du monde réel, comme le taux de dépression, les risques de suicide et des variables de santé publique. On voit pas mal d’applications possibles. »

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Article rédigé par
Marion Piasecki
Marion Piasecki
Journaliste