Décryptage

Les cartes postales, traces photo-littéraires de notre histoire commune

04 août 2022
Par Milo Penicaut
Les cartes postales, traces photo-littéraires de notre histoire commune
©Welcome to the Jungle

L’été est la grande saison des cartes postales, cette forme de micro photo-littérature populaire qui traverse les siècles et perdure malgré la révolution des moyens de communication.

À la Conférence postale de Karishue, en 1865, Heinrich von Stephen, futur directeur général des postes allemandes, soumet pour la première fois l’idée de la carte postale. Précurseur, il voit déjà l’intérêt de ce petit format qui échappe aux conventions rigides de la lettre et permettrait de communiquer plus facilement.

L’idée est adoptée en 1869 par l’administration postale autrichienne. En France, le carton postal est officialisé par décret en 1870. Il connaît son apogée au début du XXe siècle : le nombre de cartes envoyées par la poste passe de 8 à 123 millions entre 1899 et 1910.

Et si les entreprises s’emparent vite du médium à des fins publicitaires, la carte touristique se démocratise avec la généralisation des congés payés obtenue par le Front Populaire en 1936. Elle est aussi employée comme outil de propagande politique pendant la colonisation, durant laquelle elle sert à véhiculer des stéréotypes racistes et impérialistes.

Aujourd’hui, la carte postale est avant tout touristique : d’après l’Union professionnelle de la carte postale, 80% des ventes se font pendant la période estivale. Si elle conserve ses racines populaires, elle n’est pourtant plus aussi accessible qu’à ses débuts : bien que le coût d’une carte basique reste abordable (0,40 centimes), il faut ajouter le prix du timbre qui a augmenté de 138 % en dix ans.

Si la carte postale perdure envers et contre tout – nombreuses sont les alternatives numériques – il semblerait que ce soit par attachement culturel à cet objet intimement lié à nos souvenirs de vacances.

©cartes-postales-magazine

Un précieux fonds d’archives

Il n’est pas rare de croiser, au détour des brocantes, d’anciennes cartes postales venant y terminer – ou recommencer ? – leur voyage. Fragments volés de vies quotidiennes, les cartes postales sont aussi d’humbles et puissants témoins de notre histoire collective. Elles nous offrent à voir les manières que les gens ordinaires avaient de se parler, de s’aimer, de vivre, de se raconter les uns aux autres.

Les images au dos des cartes, particulièrement les photos, témoignent également des époques dont elles sont issues. Les cartes postales sont ainsi une ressource précieuse pour les fonds d’archives départementaux et régionaux. D’après Hélène Meillassoux, collectionneuse de cartes postales représentant des lavandières, elles sont par exemple l’une des seules traces de l’histoire du travail des femmes.

Pour reprendre les mots de la chercheuse Marie Boivent : « Les images comme les échanges qu’elles véhiculent portent la marque des modes et des changements, et, en ce sens, deviennent le support matériel d’une mémoire commune. »

La carte postale, microlittérature et motif littéraire

Traditionnellement, une carte postale est un petit rectangle de papier sur lequel on griffonne une adresse et quelques mots. Au dos, une image – souvent une photo fantasmée d’un lieu ou d’une œuvre d’art, que le texte commente parfois. On y raconte généralement ce qu’on a fait, ce qu’on a vu, ce qui nous a marqué.

La carte postale, pour en être une, doit arriver à bon port : entre les mains de son destinataire qui n’en comprendra le sens qu’à la lumière d’une relation interpersonnelle préexistante avec son destinateur.

Là réside toute la poésie de la carte postale, tout son intérêt littéraire : en dire beaucoup, en si peu de mots. C’est ainsi à partir de quatre mots seulement, les prénoms de quatre membres de sa famille victimes de la Shoah, apposés au dos d’une photo de l’Opéra Garnier, que l’écrivaine Anne Berest tisse sont dernier roman. Récit magistral d’une histoire familiale tragique, La Carte postale (Grasset, 2021) a remporté le prix Renaudot des lycéens en 2021.

La carte postale à l’origine du roman éponyme d’Anne Berest.

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Article rédigé par
Milo Penicaut
Milo Penicaut
Journaliste
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