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La Fondation Cartier revient sur l’incroyable histoire de la peintre aborigène Sally Gabori

29 juillet 2022
Par Apolline Coëffet
Sally Gabori, Mornington Island Arts and Crafts Centre, 2008-2012.
Sally Gabori, Mornington Island Arts and Crafts Centre, 2008-2012. ©The Estate of Sally Gabori. Photo Inge Cooper

Jusqu’au 6 novembre prochain, les œuvres de la peintre aborigène Sally Gabori habillent les murs de la Fondation Cartier. Il s’agit de la première rétrospective européenne consacrée à cette artiste hors du commun.

Si le nom de Sally Gabori ne dit rien à beaucoup d’entre nous, l’incroyable histoire de cette femme gage pourtant à être connue. Issue d’une communauté aborigène, la peintre en devenir a grandi loin de la société occidentale, de ses codes, ses références et autres modèles artistiques. La vingtaine venue, elle se voit contrainte de quitter sa terre natale pour l’Australie, suite à un cyclone, doublé d’un raz-de-marée. Mais ce qui devait être un asile passager s’est transformé en exil subi et forcé.

Un style unique

À l’âge de 80 ans, dans une volonté de rendre hommage à ses origines, elle s’essaye à la peinture. Dans un style unique, inspiré d’aucun mouvement connu, elle élabore des compositions puissantes et colorées qui, dans son pays, rencontrent un succès fulgurant. La Fondation Cartier pour l’art contemporain est la première institution européenne à lui consacrer une rétrospective.

Sally Gabori, Dibirdibi Country, 2008, National Gallery of Victoria, Melbourne, Australia. Purchased, NGV Supporters of Indigenous Art, 2010.©The Estate of Sally Gabori. Photo : National Gallery of Victoria

C’est au nord de l’Australie que Mirdidingkingahi Juwarnda, de son vrai nom, voit le jour. Sur sa petite île natale de Bentinck vivent alors les Kaiadilts, dernier peuple aborigène de la côte à être entré en contact avec les Occidentaux. Fidèles à leur culture et à leurs traditions séculaires, ils refusent tout naturellement à rejoindre les presbytériens qui occupent l’île voisine et entendent les enrôler dans leur mission. Pendant de longues années, Sally Gabori – une version abrégée et occidentalisée de son patronyme – s’adonne à la pêche et aux activités qui en découlent, telles que la fabrication de paniers et de filets ou l’entretien des pièges. Elle est également chanteuse à ses heures perdues, et rencontre un franc succès auprès de ses pairs.

Un nouvel art, libre par essence

Mais en 1948, la vie paisible s’étiole et s’assombrit. Un cyclone suivi d’un raz-de-marée ravagent son île et détruisent la seule source d’eau potable accessible. Les habitants prennent alors la décision de gagner Mornington qui ne les laissera jamais repartir. Funeste augure, la fameuse île voisine devient celle du deuil (« mourning », en anglais) d’une communauté condamnée à s’éteindre. Il faudra atteindre les années 1980 pour les Kaiadilts puissent rentrer chez eux de manière temporaire, mais le mal est déjà fait. Dans les campements de fortune, parents et enfants sont séparés et n’ont d’autre choix que de participer à la mission des presbytériens. Là-bas, il leur est interdit de parler leur langue d’origine afin d’éviter qu’ils ne la transmettent aux jeunes générations.

En 2005, Sally Gabori a 80 ans et vit en maison de retraite. Toujours habitée par le mal du pays, elle entreprend d’occuper ses jours à une renaissance de réminiscences enfouies. Pour ce faire, elle se rend au centre d’art de l’île de Mornington et s’empare de peintures et de pinceaux. Dans de grands aplats de couleurs vives, ses souvenirs jaillissent de toutes parts dans une abstraction qui lui est propre.

Les nuances, les formes, les motifs et les textures s’entremêlent et se superposent alors avec force. Ils rappellent la terre, la mer ou le ciel qui ont marqué son esprit et se renouvellent avec émotion. Bientôt, les œuvres monumentales, de plusieurs mètres de long, subsisteront les petites toiles. L’art que nous connaissons lui est étranger et il n’existe aucune tradition picturale au sein de la communauté Kaiadilts. L’artiste-peintre a inventé un nouvel art, libre par essence.

Sally Gabori, Thundi 2010, Private collection, Melbourne, Australia.©The Estate of Sally Gabori.Photo Simon Strong

Prolifique, ses tableaux se multiplient. Sally Gabori produit jusqu’à quatorze toiles de petit format en une matinée. À sa mort, en 2015, on dénombre un ensemble de 2000 œuvres, créées en une décennie seulement, et toutes nommées à partir de lieux symboliques qui ont vu naître ses parents, le début de son exil, la fondation de l’île…

Déjà en 2005, une galerie de Brisbane la remarque et propose de l’exposer. L’année suivante, c’est au tour d’un musée voisin, le Queensland Art Gallery, de s’intéresser à elle. Les commandes affluent, biennales et musées internationaux la demandent, mais jusqu’à aujourd’hui, aucun d’eux n’avait encore consacré une rétrospective à l’artiste.

Chose à laquelle la Fondation Cartier a remédié cette année. En une trentaine d’œuvres, l’institution parisienne revient sur une peintre hors du commun qui nous permet d’en apprendre davantage sur une culture aborigène souvent méconnue.

Mirdidingkingathi Juwarnda Sally Gabori, à la Fondation Cartier pour l’art contemporain. Jusqu’au 06/11/2022.

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Article rédigé par
Apolline Coëffet
Apolline Coëffet
Journaliste
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