Aussi riche et diversifiée que la littérature, la BD se décline elle aussi dans tous les genres. Parrain prestigieux de la section polar et thriller venu récemment au roman graphique, Olivier Norek propose en ce mois de la BD une sélection d’albums qui représente parfaitement toutes les nuances du noir.
Parrain de la sélection polars : Olivier Norek
Après avoir été confronté à la misère sociale et humaine dans les rues de Seine Saint-Denis durant près de quinze ans, le capitaine de Police judiciaire Olivier Norek passe à la littérature en 2013 avec un premier polar d’un réalisme et d’une noirceur qui feront son succès. Suivra une trilogie coup de poing menée par un flic humaniste de la PJ du 93, assurément son double de fiction, et une série de thrillers conscients aux thématiques contemporaines. Auteur de polar sérieusement engagé sur les questions, entre autres, de justice sociale et d’écologie, Olivier Norek vient de publier Les Guerriers de l’hiver, un premier roman de littérature blanche justement couvert des louanges.
Impact – Olivier Norek (Michel Lafon)
Passé à la BD, d’abord avec un album jeunesse (Le Lapin shériff) puis avec l’adaptation du multi-primé Surface, Olivier Norek, parrain de cette sélection BD spéciale polars, s’associe cette fois au dessinateur Frédéric Pontarolo pour mettre en image Impact, son thriller écologique publié en 2022. L’histoire est celle d’un homme ivre de vengeance après le décès de sa fille victime de la pollution atmosphérique. Animé d’une rage meurtrière qui le pousse à l’action violence, il rejoint un groupe d’écoterroristes baptisé Greenwar qui s’en prend physiquement aux plus puissants pollueurs. Un roman explosif sur l’activisme radical aux accents de manifeste écologiste bientôt adapté en série TV.
Les coups de coeur BD d’Olivier Norek
Du rififi à Ménilmontant (Nestor Burma) – Jacques Tardi, Léo Mallet (Casterman)
Auteur et dessinateur spécialiste des faubourgs de Paris, de la guerre, des révoltes, des anti-héros et des adaptations, Jacques Tardi construit depuis près de cinquante ans une œuvre singulière qui porte la marque d’un engagement politique et humaniste toujours vivace. Alors qu’on le croyait définitivement sorti d’une série qu’il initia en 1982 avant de passer la main, le voilà qui renoue vingt-quatre ans plus tard avec le célèbre détective de Léo Mallet pour un nouvel hors série. Dans Du rififi à Ménilmontant, on bascule en 1957 pour retrouver un Nestor Burma engagé pour enquêter sur le laboratoire pharmaceutique qui fabrique le médicament qu’il prend justement pour soigner sa grippe. Entre maltraitance animale et pratiques plus que douteuses, le privé parisien va se frotter à un monde sans foi ni loi.
L’Escamoteur – Sébastien Goethals / Philippe Collin (Futuropolis)
Reconnus pour deux romans graphiques et historiques sondant les conséquences du nazisme allemand et du communisme soviétique, Sébastien Goethals et Philippe Collin proposent pour leur troisième collaboration de plonger dans la France des années de plomb. Une période où Giscard va bientôt perdre l’élection présidentielle au profit de Mitterrand alors que le groupe Action directe mène une lutte armée contre l’État français et la société capitaliste. Polar historique passionnant de bout en bout et parfaitement documenté, L’Escamoteur est centré sur le personnage trouble de Gabriel Chahine, taupe des RG qui gagna la confiance des leaders du mouvement d’extrême-gauche avant d’être finalement démasqué puis abattu. Sans complaisance ni jugement, les deux auteurs nous font entrer dans l’intimité d’un groupe radical qui est aujourd’hui entré dans l’histoire.
L’être nécessaire (Habemus Bastard tome 1) – Sylvain Vallée, Jacky Schwartzmann (Dargaud)
Quand un dessinateur chevronné comme Sylvain Vallée, aux commandes de la saga Il était une fois en France, s’associe à un des romanciers les plus drôles et décapants du moment comme Jacky Schwartzmann, on obtient Habemus Bastard, un polar en deux tomes aussi irrésistiblement gouailleur qu’un film d’Audiard père. Premier épisode de la série, L’être nécessaire nous fait faire la connaissance de Lucien, tueur à gage en fuite contraint de se faire passer pour le curé, qu’il vient involontairement d’abattre, pour échapper aux barons de la pègre qui le poursuivent. De quiproquos savoureux en situations explosives, il entre dans son personnage au risque de troubler les paroissiens du village jurassien qui attendaient leur prêtre comme le messie.
Un cœur sous une soutane (Habemus Bastard tome 2) – Sylvain Vallée, Jacky Schwartzmann (Dargaud)
Seconde et dernière partie d’Habemus Bastard, la série noire jubilatoire et corrosive signée Sylvain Vallée et Jacky Schwartzmann, Un cœur sous une soutane permet de retrouver un Lucien de plus en plus à l’aise dans son rôle d’ecclésiastique. Profitant de sa position pour faire prospérer un petit business de dope et flirter avec de belles paroissiennes, le faux curé qu’on avait appris à aimer va être malheureusement rattrapé par son passé et par tous ceux qui lui en veulent. Le final s’annonce des plus délicats pour notre truand préféré.
La pâle figure (La Trilogie berlinoise tome 2) – Pierre Boisserie / François Warzala (Les Arènes)
Scénariste de BD éclectique, Pierre Boisserie montre depuis ses débuts en 2000 une préférence marquée pour les intrigues historiques. Associé au dessinateur François Warzala, avec qui il partage l’éclectisme, il choisit d’adapter en BD la série et le héros qui amena succès et notoriété à l’auteur écossais Philip Kerr. Dans ce tome 2 de La Trilogie berlinoise, correspondant au roman La pâle figure, Bernie Gunther, l’ancien flic cynique devenu détective privé, est simultanément engagé par une veuve pour retrouver celui qui la fait chanter et contraint par Heydrich de mettre la main sur un tueur en série qui s’en prend aux adolescentes de la ville. Pour assurer sa réintégration au grade de commissaire de la Kripo (la brigade criminelle de Berlin), Gunther va devoir entrer dans les coulisses nauséabondes du IIIe Reich.
Islander Tome1 – Caryl Férey, Corentin Rouge (Glénat)
Après l’Afrique du sud et la société post-Apartheid de Sangoma, Caryl Férey retrouve le trait de Corentin Rouge pour mettre en image une nouvelle série noire et d’anticipation située cette fois en Europe du nord. Tome 1, Islander lance une trilogie qui s’annonce aussi âpre que haletante. Alors que les européens tentent de fuir en masse un continent au bord de l’implosion après une succession de catastrophes meurtrières, un homme parvient à rejoindre l’Islande après avoir volé le laissez-passer d’une migrante. Contrairement à ce qu’il croyait, l’ambiance sur l’île est loin d’être accueillante pour les nouveaux arrivants. De plus, Liam va découvrir que la femme qu’il a remplacé est en réalité impliquée dans un mystérieux projet baptisé Islander.
Révélations (Soda tome 2/2) – Philippe Tome, Dan Verlinden (Dupuis)
Imminente personnalité de la BD belge décédée en 2019, Philippe Tome a commencé par le dessin avant de passer définitivement au scénario dans les années 80. Auteur de plusieurs albums de Spirou et Fantasio, il change radicalement d’univers en 1987 en signant une série policière qu’il fera vivre durant près de 30 ans. Avec Dan Dan Verlinden, troisième dessinateur de la saga, aux pinceaux, Soda revient aujourd’hui pour le second tome d’un diptyque hors-série resté inédit. Dans Révélations, on retrouve un Solomon David, le flic du NYPD qui fait croire à sa mère qu’il est pasteur et qui donne les premières lettres de son patronyme à la série, enquêtant sur les zones d’ombres du 11 septembre pour éviter de potentielles répliques.
Signé Olrik (Blake et Mortimer tome 30) – Yves Sente, André Juillard (Blake Et Mortimer)
Œuvre patrimoniale de la bande-dessinée européenne lancée en 1946 par le belge Edgar P. Jacobs, Blake et Mortimer doit sans doute son incroyable longévité à la diversité des auteurs qui se sont succéder à sa tête depuis le décès de son créateur. Formant un des duos les plus assidus de la période moderne, Yves Sente au scénario et André Juillard aux pinceaux signe un tome 30 qui ne manque pas de surprises. La principale de Signé Olrik étant que le couple d’enquêteurs soient contraints de s’en remettre aux bonnes grâce de leur pire ennemi pour contrarier les plans violents d’un groupe indépendantiste des Cornouailles secrètement animé par un étrange dessein ésotérique.
Moscow-Spaso House (XIII tome 29) – Iouri Jigounov, Yves Sente (Dargaud)
Les tomes passent et XIII, alias Jason Mac Lane, n’a toujours pas récupéré toute sa tête. Certains souvenirs qui, par ailleurs lui manquent encore en nombre, intéressent cette fois des agents russes du GRU à la solde de la fondation Mayflower déterminés à retrouver un enregistrement caché qui les relie à un vaste complot. Intercepté à son arrivée à Moscou par son contact féminin du FSB, XIII échappe de justesse à ceux qui en veulent à sa mémoire. En échange, il devra aider Nina à mettre la main sur la microcassette pour empêcher le mauvais candidat de gagner les élections américaines.Moscow – Spaso House, du nom de la résidence moscovite de l’ambassadeur des USA, marque la neuvième collaboration de Iouri Jigounov et Yves Sente sur la série créée par Jean Van Hamme.
Mr Washington (Alpha tome 19) – Emmanuel Herzet / Alain Queireix (Le Lombard)
Scénariste belge passionné d’art, de géopolitique et d’histoire, qu’il enseigne également aux collégiens, Emmanuel Herzet s’est fait un nom dans la BD en proposant depuis près de 20 ans des séries d’espionnage et des polars historiques solidement documentés qui font toujours la part belle à l’action. Débutée en 2011, la série Alpha met en scène un agent de la CIA agissant sous couverture qui joue de son charme pour déjouer les pires complots internationaux. Toujours mis en images par le fidèle Alain Queireix, Mr Washington est un dix-neuvième épisode où Dwight Tyler désormais cloué sur une chaise roulante, est envoyé en mission au Caire malgré son handicap pour mettre hors d’état de nuire un mystérieux terroriste qui fabrique des bombes sales.
L’Orfèvre – Aurélien Lozès (Komics initiative)
Fruit de dix ans de travail, L’Orfèvre est un thriller dessiné qui sort des codes traditionnels de la BD. Mettant littéralement deux directions et deux sens de lecture au service de planches monochromes d’une précision clinique, l’album d’Aurélien Lozès brouille les pistes par ses stupéfiantes qualités artistiques et expérimentales. Côté narration, l’histoire, située dans un Paris agité par des émeutes populaires, déroule côté jardin, une enquête policière aux multiples rebondissements sur une série de meurtres sanglants, alors que côté cour, une jeune fille cherche son chemin dans une grotte lugubre. Peuplé et mené exclusivement par des personnages anthropomorphes, à l’instar de la série Blacksad, cet OVNI unique en son genre propose une expérience hors du commun.