Difficile de séparer le grain de l’ivraie dans une œuvre aussi flamboyante que celle de Victor Hugo, lui qui aura prêté sa plume à tous les genres littéraires pour toujours mieux les dépasser. Animé de sa passion du verbe, de son imagination débordante et de son goût de l’épique, il demeure l’une des sinon la figure monumentale des lettres françaises. Petit tour d’horizon de chefs d’œuvres de ce génie libre et impétueux, écrivain exalté et homme politique engagé.
Les romans de Victor Hugo
De Bug-Jargal en 1818 – écrit en 15 jours, pour relever un pari, à l’âge de 16 ans ! – à Quatrevingt-treize, livre de combat et testament politique publié au lendemain de la Commune, en 1874, mais longtemps porté en lui, Victor Hugo aura écrit en tout et pour tout neuf romans. Parmi eux…
Notre-Dame de Paris (1831), le faux roman historique
Monumental portrait historique du Paris du XVe siècle, aussi grandiose que la cathédrale éponyme, véritable héroïne du roman. Davantage encore que la belle Esmeralda, gracieuse danseuse bohémienne, symbole de pureté, objet de désir de Claude Frollo, archidiacre de Notre-Dame, et aimée en silence par son carillonneur, le difforme Quasimodo.
Notre-Dame de Paris se joue des codes du roman historique pour mieux laisser s’immiscer les réflexions philosophique et politique de l’écrivain qui, il le revendique, préfère « la vérité morale à la vérité historique ». Philosophie de l’histoire et politique qui se teintent ici et là de nuances fantastiques tout droit inspirées du roman gothique anglais du XVIIIe siècle.
Le Dernier jour d’un condamné et Claude Gueux : l’engagement abolitionniste
C’est dans ce premier XIXe siècle que Victor Hugo délivre deux intenses romans abolitionnistes de jeunesse : Le Dernier jour d’un condamné d’abord, en 1829, puis Claude Gueux, en 1834. Victor Hugo a 26 ans lorsqu’il écrit le premier, long et intense monologue intérieur d’un supplicié qui, alors qu’il ne lui reste qu’une journée à vivre, partage ses dernières pensées, ses angoisses et les souvenirs de sa vie « d’avant ». Sans jamais rien nous révéler de l’identité du condamné ou de son crime, le jeune Hugo s’indigne de l’horreur absurde du spectacle de la guillotine. Un formidable roman à thèse et un implacable réquisitoire contre la peine de mort.
L’écrivain affine un peu plus sa plume sociale et engagée dans Claude Gueux, autre plaidoyer politique contre les conditions de détentions et la peine capitale, doublé d’une réflexion sur les droits et le devoir de la société face à ses criminels. Société qu’Hugo juge malade, préférant couper les têtes plutôt que de les éclairer et de les cultiver.
Les Misérables, chef d’œuvre de la maturité
Victor Hugo en est convaincu : l’art doit instruire autant qu’il doit plaire. Un commandement auquel l’écrivain n’a jamais dérogé. Il guide d’ailleurs les quelques 1500 pages de ses Misérables, roman fleuve publié en 1862, très vite devenu chef d’œuvre de la littérature française. L’écrivain y entrecroise les destins tragiques du petit peuple de la France du XIXe siècle. Au cœur de cet entrelacs, Jean Valjean, ancien forçat condamné pour une bouchée de pain volée, érigé ici en figure de l’homme faillible mais perfectible.
Sur son chemin, il croisera la route de Fantine, Cosette, Marius, les sordides Thénardiers ainsi que leurs enfants, Éponine, Azelma et Gavroche, sans oublier l’infatigable et fin limier Javert. Toutes et tous misérables, témoins de l’indigence d’une France chaotique. Roman historique et politique, social et philosophique, un hymne à l’amour imprégné des idéaux du romantisme et des aspirations d’Hugo quant à la nature humaine. Une lecture intense toujours aussi nécessaire.
Les Travailleurs de la mer et L’Homme qui rit, romans de l’exil
L’impitoyable fatalité est toujours à l’œuvre dans Les Travailleurs de la mer (1866). Simplement, Victor Hugo y force ici ostensiblement le trait romantique : l’histoire de Gilliat, humble pêcheur solitaire qui, fou d’amour pour Déruchette, s’en va braver l’océan et sa nature toute-puissante. Écrit depuis le belvédère de sa maison d’Hauteville perchée sur l’île anglo-normande de Guernesey, où l’écrivain s’est retiré en exil, ce roman lui est dédié. Une ode bouleversante à ce « rocher d’hospitalité et de liberté », à la mer et à son « noble petit peuple ».
À Guernesey également, Victor Hugo écrit L’Homme qui rit dans lequel son verbe prend une tournure plus poétique encore. L’écrivain y déroule l’épopée baroque de Gwynplaine, jeune lord au visage mutilé qui, recueilli par Ursus, vagabond philosophe et misanthrope, se retrouve à mener une vie de saltimbanque… Un récit où s’entremêlent amour, chaos et fantastique. Impressionnant tableau à charge de l’Angleterre aristocratique de la fin du XVIIe siècle, L’Homme qui rit demeure sans doute l’un des romans les plus fous – et méconnus – de Victor Hugo, constellé de morceaux de bravoure littéraire.
La poésie de Victor Hugo
Victor Hugo, c’est aussi le poète aux vers tantôt lyriques, épiques ou satiriques. C’est le romantisme, virtuose des Orientales, « livre inutile de pure poésie » paru en 1828 où l’Orient devient prétexte à une truculente inventivité verbale. C’est la satire vengeresse des Châtiments (1853), recueil de poèmes à charge contre Napoléon III et son maudit Second empire. Mais c’est dans Les Contemplations (1856) que l’art de la poésie hugolienne trouve sa plus belle expression.
Les Contemplations, « mémoires d’une âme »
«Je n’ai encore bâti sur mon sable que des Giseh, il est temps de construire Chéops. Les Contemplations sont ma grande pyramide » : six livres pour deux parties, 158 poèmes et plus de 10 000 vers. Œuvre somme, fruit d’une inspiration démesurée, Les Contemplations est un recueil de la joie, de l’amour et de la nature, mais aussi de la nostalgie, de la mort et du souvenir. Celui de Léopoldine, la fille du poète tragiquement disparue, noyée dans la Seine le 4 septembre 1843. Un drame qui affectera profondément Victor Hugo et qui lui inspirera plusieurs poèmes des Contemplations dont le célèbre Demain, dès l’aube.
Les pièces de théâtre de Victor Hugo
Romans, poésie… et théâtre. Et là encore, en dépit de l’opposition politique, de la contrainte économique et du rejet artistique, Victor Hugo sut transcender les codes culturels de son époque pour mieux renouveler le genre.
Hernani (1830) ou la révolution romantique
En une représentation, la première, au soir du 25 février 1830 à la Comédie-Française, Hernani devint le porte flambeau d’une révolution qui vit s’opposer – s’écharper ! – les « classiques » et les « romantiques » lors d’une âpre bataille passée à la postérité, la bataille d’Hernani. Dans cette pièce, animé de motivations tant esthétiques que politiques, Victor Hugo brise la rigidité et la hiérarchie du théâtre classique pour consacrer le genre du drame romantique. À la fois drame historique, comédie d’intrigue et tragédie héroïque, Hernani incarne le théâtre hugolien. Un théâtre d’avant-garde, un théâtre pour tous, dans lequel, n’en déplaise à ses détracteurs, grotesque et sublime, comme dans la vie, doivent se côtoyer.
Ruy Blas (1838)
La pièce subit la même réception critique à sa sortie en 1838. « Ruy Blas est une énorme bêtise, une infamie en vers », éructe Balzac ! Et pourtant, cette histoire d’un valet épris de justice et d’amour pour la reine d’une Espagne de la fin du XVIIe siècle vérolée par une oligarchie carnassière demeure à ce jour l’une des pièces de Victor Hugo les plus représentées. Un chef d’œuvre tout en alexandrins qui finit de consacrer Victor Hugo comme le dramaturge du romantisme.