Si vous pensez qu’il fallait se perdre pour mieux se retrouver, alors cette sélection de romans graphiques devrait vous enchanter. Vaincre les vagues avec AJ Dungo, partir au creux des montagnes avec Rochette, marcher aux côtés de Taniguchi et côtoyer son enfance, fuir le malheur avec Pedrosa, vivre sa vie comme un cheval sauvage avec Chabouté… Voilà autant d’expériences à éprouver, bien calé dans son fauteuil.
Ailefroide, Altitude 3 954 – Jean-Marc Rochette, Olivier Bocquet
Ailefroide, Altitude 3 954 est un roman graphique et autobiographique sur la vie de Jean-Marc Rochette.
Récit initiatique d’un enfant qui se rêvait guide et qui deviendra dessinateur par la force des choses, nous voilà propulsé de Grenoble à la Bérarde. Partout, la terre est un sol d’aventure : la Dibona, le pilier Frendo, le Coup de Sabre. Un jour, c’est sûr, le jeune homme grimpera sur la face nord d’Ailefroide, dans le Massif des Écrins. Mais si les paysages offrent ce que la nature a de meilleur à donner, la montagne est toujours en mesure de réclamer son dû… et Jean-Marc en fera tristement l’expérience.
Formidable déclaration d’amour à la montagne et à l’alpinisme, fidèle leçon de vie, fort message d’optimisme et de beauté, cette bande dessinée est hymne à ne pas laisser sous silence.
Hicksville – Dylan Horrocks
Publié pour la première fois en 1998, Hicksville de Dylan Horrocks nous emmène au cœur de cette petite ville tranquille du bord de mer. En somme, un brin de paradis qui offre son beau bout de plage et influe sur les habitants, tous souriants, sympathiques, … et passionnés de bandes dessinées.
Quand le journaliste Leonard Batts arrive à Hicksville, c’est sans surprise qu’il s’attend à y découvrir une cité remplie de merveilles. Ce qui l’amène ? Les traces du passé de la célèbre star des comics, Dick Burger. Mais c’est aussi sous les chauds rayons du soleil qu’il découvrira qu’un mystérieux et sombre secret fait de l’ombre…
Célèbre récit à l’humour grinçant, Dylan Horrocks nous expose les aspects dangereux du business de la création artistique tout en nous proposant une réflexion intéressante sur la résilience et le fait de se perdre en chemin.
In waves – AJ Dungo
Pour In waves de AJ Dungo, – Prix BD Fnac France Inter 2020 – je me permets une digression en employant mon « je » personnel. Je me rappelle encore sa lecture, assise dans mon canapé, l’ordinateur sur les genoux, à faire défiler les planches. Oui, j’ai lu In waves sur un écran et non sur papier… J’évoque ce souvenir pour vous montrer ma détermination et ma fascination grandissante au rythme des pages qui passent sous mes yeux.
Le roman graphique de AJ Dungo est un magnifique flambeau d’espoir, témoignage poignant d’amour mais aussi de résilience, de force face à l’amour, la maladie et le deuil. Cette histoire qu’il raconte, c’est la sienne et celle de son ancienne compagne. Il y a deux ans, je disais ceci : « Il est impossible de ne pas se sentir accablé, écrasé, mais aussi transporté pendant la lecture, tant par les dessins – simples mais puissants – que par l’histoire elle-même, racontée avec peu de mots mais ceux qu’il faut : les mots justes. » Aujourd’hui, je ressens encore chacun des termes utilisés.
« Par vagues », voilà où se niche le chagrin : parfois en-dessous, parfois au-dessus… Bien présent et bien mouvant. Dans cette bande dessinée, une double narration s’installe : l’une en bichromie sépia, où Dungo narre l’Histoire du surf, l’autre en bichromie bleue, où il raconte avec délicatesse sa relation avec Kristen… Toutes les deux intimement liées. Il y a d’abord les premières émotions, les tests puis l’amour et peu à peu la violence du combat dans la maladie. Kristen, atteinte d’un cancer des os incurable, est de plus en plus affaiblie mais se battra avec dignité jusqu’à la fin.
Je ne m’étends pas plus, mais j’insiste sur la beauté de ce roman graphique et la merveilleuse personne qu’est AJ Dungo, que j’ai eu l’honneur de rencontrer pour notre format « Raconte-moi un dessin ».
Le Muret – Fraipont, Bailly
Avec Le Muret de Céline Fraipont et Pierre Bailly, voilà encore une histoire qui sera loin de vous laisser indifférent.
Ici, on est dans le scalpel, le rock pur et dur, la noirceur ambiante, au cœur des méandres d’une adolescence ravageuse. Nous sommes en 1988, aux côtés de Rosie, une jeune fille de 13 ans qui se retrouve abandonnée lorsque sa mère décide de partir faire sa vie avec un autre homme et que son père se noie dans le travail.
Le quotidien est morne… très morne. Et peu à peu, Rosie perd pied. Impuissante, elle assiste progressivement, mais sans main mise possible, sur les ombres qui s’insinuent en elle, noircissant sa personnalité jusqu’à l’envahir tout entière.
Mais dans ces conditions, quelle nouvelle vie peut bien attendre Rosie ?
Joséphine Baker (édition de luxe) – Catel, Bocquet
Lorsqu’elle débarque dans la capitale française, Joséphine Baker a 20 ans. On est en 1925. Il faudra une seule nuit pour que cette jeune danseuse américaine devienne l’idole des Années Folles, enrôlant d’admiration des icônes telles que Picasso, Cocteau, Le Corbusier ou encore Simenon.
L’adaptation en roman graphique de la vie de Joséphine Baker par Catel Muller et José-Louis Bocquet est fascinante. Par le biais des puissantes illustrations, nous voyageons dans le Paris des années 1930, auprès de cette première star noire qui décide de s’engager dans la résistance française et de lutter contre la ségrégation raciale.
Des actions fortes qui rythmeront sa vie jusqu’à son dernier souffle.
Le Chemisier – Bastien Vivès
Séverine est banale : ni belle, ni laide, ni brillante, ni médiocre. Cette jeune étudiante en Lettres classiques à la Sorbonne se fond dans le cours de l’ordinaire existence. De celle qui n’est pas flamboyante mais pas catastrophique non plus. Le fond de ce destin sans éclat, Séverine le partage avec un compagnon, indifférent, sauf quand il s’agit de séries télévisées ou encore, de jeux vidéo.
Mais un jour, l’extra s’invite dans l’ordinaire ; et alors, tout change autour d’elle, notamment le regard des hommes qui se fait différent, désireux. L’objet magique ? Un chemisier en soie. Que le vêtement soit doté d’un pouvoir magique ou non, peu importe. Grâce à lui, Séverine se sent plus en confiance et enfin capable de prendre son destin en main.
Dans Le Chemisier, Bastien Vivès réitère ses prouesses à dresser des portraits féminins contemporains, comme il avait pu le faire auparavant avec Une sœur ou encore Polina.
Alice Guy – Catel, Bocquet
Nous retrouvons une seconde fois, Catel Muller et José-Louis Bocquet avec, cette fois-ci, Alice Guy.
Nous sommes en 1895 à Lyon, période où les frères Lumière inventent le cinématographe. Première réalisatrice de l’histoire du cinéma, Alice Guy a 23 ans lorsqu’elle réalise pour Léon Gaumont La Fée aux choux. C’est aussi la première femme à créer sa propre maison de production, faisant fortune avec son studio construit dans le New Jersey. Seulement, un mariage malheureux la fera tout perdre.
Alice décède en 1969 avec la légion d’honneur mais sans avoir revu ses films, perdus et oubliés. En France, elle en aura pourtant dirigé plus de 300.
Dans ce roman graphique, nos deux bédéistes dressent le portrait d’une femme libre et indépendante, qui a pu côtoyer les pionniers de l’époque tels que Gustave Eiffel, Buster Keaton, Charlie Chaplin, … En somme, une véritable témoin de la naissance du monde moderne.
En 2011, on devra à Martin Scorsese d’avoir redonner de la lumière sur cette femme qui a bel et bien marqué l’histoire du cinéma. ;
Le Petit frère – JeanLouis Tripp
Dans Le Petit frère, JeanLouis Tripp décide de revenir sur un événement tragique de sa vie : la perte de son jeune frère.
Nous sommes en 1976, un soir d’août. JeanLouis a 18 ans. Les vacances d’été en famille amènent avec elles le temps de l’insouciance et du bonheur. Mais tout va brutalement basculer : Gilles, son petit frère de 11 ans, est fauché par une voiture. Transporté à l’hôpital, le jeune garçon succombera quelques heures plus tard à ses blessures.
Tout doucement, le sentiment de culpabilité s’insinue dans les cœurs, marquant au fer le long et difficile parcours de deuil qui commence…
Ce roman graphique est empreint d’une délicate sensibilité. Les illustrations et les mots viennent sonder avec honnêteté les terribles souvenirs. Mais une chose est certaine, 45 ans après le drame, Gilles continu d’exister dans les mémoires familiales.
Le Poids des héros – David Sala
Le Poids des héros, c’est une plongée tête la première dans l’enfance et l’adolescence de David Sala, fortement marquées par la figure de ses grands-parents, héros de guerre et de la résistance.
Sous le point de vue du petit garçon qu’il était alors, nous croisons ici et là l’Imagination venant combler des zones d’ombres et des failles. Cependant, ce roman graphique très personnel s’attache à transmettre son parcours d’apprentissage et ses souvenirs aux lecteurs.
Les illustrations nous font goûter le fouet du vent sur notre visage pendant que David nous raconte les courses en vélo ; les mots écrits nous font entendre le bruit lointain des premiers morceaux de rap US, et imaginer le jeune homme s’initiant à l’art à l’école Emile Cohl.
Un très beau livre !
Asterios Polyp – David Mazzucchelli
Fils d’immigrant, Asterios Polyp est un intellectuel plein de charme et d’assurance. Devenu professeur d’architecture considéré par tous comme brillant, il n’aura pourtant rien construit de sa vie. En quelque sorte, Asterios est un architecte de « papier ».
Imbu et cassant, cet homme toujours persuadé d’avoir toujours raison verra les choses prendre un autre tournant le soir de ses 50 ans. L’anniversaire tourne au drame lorsqu’il incendie involontairement son appartement… Et dans la fumée partent tous les zestes de souvenirs… Bouleversé et brutalement jeté dans la rue sous une nuit d’orages, Asterios se décide à prendre le bus et partir au hasard. Quel avenir lui réserve-t-on ? Serait-ce seulement une parenthèse, une nouvelle vie qui s’annonce ou le début d’un examen de conscience ?
Asterios Polyp de David Mazzucchelli est un roman graphique d’une force rare, concentré autour d’une histoire humaine attachante et construit avec intelligence, que ce soit dans son traitement narratif ou graphique. Chef-d’œuvre de la bande dessinée, nous voyons peu à peu Asterios changer de regard sur ses semblables et modifier son rapport à l’autre, se défaisant de ses préjugés et de son complexe de supériorité.
Un récit humain et humanisant.
L’Homme qui marche – Jirô Taniguchi
Impossible de ne pas citer au moins une œuvre de Jirô Taniguchi dans cette sélection. Cette année, notre regard se portera sur L’Homme qui marche, véritable ode à la contemplation.
Autour, il y a les autres : ceux qui se laissent happer dans les obligations et les tracasseries quotidiennes, toujours plongés dans une course effrénée contre le temps qui passe. Puis, il y a l’homme. Celui qui marche. Celui qui savoure ces instants volés, ces plaisirs simples et parfois oisifs. Qui apprécie les déambulations dans des paysages extérieurs, nous invitant à un voyage intérieur.
Une belle leçon de vie.
Comme un chef – Benoît Peeters, Aurélia Aurita
Dans Comme un chef, nous revenons sur la vie de Benoît Peeters sublimée par les dessins d’Aurélia Aurita, et plus précisément entre ses 18 et 25 ans.
Lorsque Benoît part manger dans le restaurant des Frères Troisgros à Roanne, c’est la révélation. Dès lors, il apprend la cuisine en autodidacte, laissant tomber la préparation du concours à Normale Sup et affrontant ses parents qui lui coupent les vivres.
Un réel rude s’annonce à l’horizon, mais drainé par la passion culinaire, Benoît s’essaiera aux recettes les plus subtiles.
Autres incontournables :
Maus : témoignage contre l’oubli
Dès sa publication en 1980, Maus s’inscrit d’emblée comme l’un des grands chefs-d’œuvre du neuvième art, un roman graphique indispensable si l’on veut saisir et comprendre la tragédie qui a touché les juifs polonais avant et pendant la Seconde Guerre mondiale.
Art Spiegelman raconte sur fond d’univers animalier l’histoire dramatique de son père, Vladek. L’album, Maus, l’intégral, est un objet précieux qui doit se transmettre de main en main pour que jamais plus les ténèbres ne recouvrent le monde.
Persepolis : récit d’une petite fille pas modèle
À travers Persepolis, une autobiographie en noir et blanc, Marjane Satrapi revient sur les événements qui ont conduit l’Iran à s’isoler de la scène internationale pour devenir une république islamique. L’auteure raconte son enfance et son exil forcé, et les bouleversements qui toucheront durablement les femmes et la société iranienne.
Pour ne rien louper de cette folle aventure, optez pour le maousse monovolume, vous n’en sortirez pas indemne. Avant Poulet aux prunes, Marjane Satrapi pose ici les bases de son œuvre à venir.
Quartier lointain : au loin s’en vont les nuages
En 1998, Jirô Taniguchi signait avec Quartier lointain ce qui allait devenir un classique de la bande dessinée. Ce voyage aux confins de l’enfance, cette balade douce-amère où un homme blessé par la vie replonge dans sa jeunesse nous rappelle à quel point il faut chérir ces petits riens synonymes de bonheur. Quartier lointain, comme Le Journal de mon père, sait toucher la corde sensible avec simplicité et sincérité.
Trois ombres : là-bas où le Mal se tapis
Avec Trois ombres, Cyril Pedrosa évoque le douloureux sujet de la perte d’un enfant. Ces fameuses ombres, corbeaux de tempête, poussent un père et son fils à fuir l’inévitable malheur. Le coup de crayon de Cyril Pedrosa, agile et précis, est un régal pour les yeux. À l’instar d’Auto Bio, voilà un roman graphique qui étonne et détonne autant qu’il émeut.
Retrouvez notre chronique : Trois ombres de Cyril Pedrosa : Tenir debout, Accepter, Rester du côté des vivants
État de veille : à l’ombre des tours géantes
État de veille est une puissante chronique sociale qui raconte la vie d’un quartier ouvrier où l’ennui et le désœuvrement ont remporté la partie. Davide Reviati soigne ses planches comme les peintres figuratifs. On ne sait plus vraiment ce qui est réel ou ce qui est rêvé. Cette bande dessinée politique et engagée nous alerte sur l’état du monde, nous rappelant que les dormeurs doivent se réveiller.
Dieu en personne : et le monde sera pire demain !
Dieu débarque sur Terre et se rend compte qu’il règne ici-bas un sacré foutoir ! C’est avec ce ton décalé que Marc-Antoine Mathieu règle ses comptes avec notre société moderne où tout part à vau-l’eau. Dieu en personne séduit par son graphisme tout en contrastes et par ses saillies drolatiques. C’est d’ailleurs parce qu’il est aussi drôle que Dieu en personne est aussi piquant et dérangeant.
Tout seul : lost in the sea
Tout seul est le roman graphique contemplatif par excellence. On y ressent la solitude et les voyages intérieurs d’un homme resté trop longtemps isolé dans son phare. Christophe Chabouté signe une œuvre forte et tourmentée où surgissent, sans coup férir, les fantômes du passé. Tout seul enivre jusqu’à l’extase… Si l’abandon ne vous pèse pas trop, Construire un feu achèvera vos désirs de tranquillité !
Mitchum : portrait d’un artiste
Avec Mitchum, Blutch parle de son milieu et des liens complexes qui unissent un créateur à sa muse, puis du travail qu’il reste à accomplir pour accoucher d’une œuvre. Mitchum est un roman graphique « méta » qui nous invite à scruter l’imaginaire de son auteur. Cette folle mise en abyme, virtuose en diable, donne le tournis.
La Malle Sanderson : la magie de l’amour
C’est le temps des grands prestidigitateurs qui écument les scènes des grands théâtres. Et lui, Sanderson, une star parmi les stars, qui s’était promis de ne jamais tomber amoureux rencontre Marie. La Malle Sanderson nous prouve à quel point l’amour est plus fort que n’importe quel tour de magie. Jean-Claude Götting livre un roman graphique mystérieux et bouleversant.