Alambiqué, drôle, abscons, spirituel, référentiel ou à rallonge, un titre représente parfois bien plus qu’une simple expression à pertinence variable résumant en peu de mots le contenu d’un roman. Marque de fabrique pour Serge Brussolo, promesse rageuse pour Boris Vian, conseil hygiénique pour Kathleen Meyer, poésie stupéfiante pour Burroughs ou confession absurde pour Martin Page, voici dix excellents livres aux titres extravagants.
De l’absurde et des bêtes
Quand un Columbo pubère chargé en tics et en tocs mais doté d’un QI pas banal se lance sur la piste de sa propre histoire, on obtient Le bizarre incident du chien pendant la nuit : un roman hyper-sensible sur l’autisme signé par l’auteur anglais Mark Haddon et doté d’un des titres les plus énigmatiques et prometteurs qu’on puisse trouver sur le versant jeunesse de toute bonne bibliothèque. Changement radical d’époque et de préoccupation avec Et les hippopotames ont bouilli vifs dans leurs piscines. Longtemps inédit, ce premier roman écrit par la doublette la plus talentueuse de la Beat generation, William S. Burrough et Jack Kerouac, est une invitation au voyage poétique que le non-sens déjanté de son titre animalier ne saurait contredire.
La rage au titre
Expert en titre percutant et en pseudonyme fantaisiste, Boris Vian se fait appeler Vernon Sullivan pour écrire son premier polar US. Histoire de vengeance et charge violente contre la société raciste et ségrégationniste du sud des États-Unis durant les années 40, J’irai cracher sur vos tombes n’a malheureusement rien perdu 70 ans plus tard de sa pertinence ni de sa colère salutaire. Avant Limonov, qui lui valut de remporter le Prix Renaudot en 2011, Emmanuel Carrère s’était déjà essayé 18 ans plus tôt à l’exercice périlleux de la biographie romancée avec Je suis vivant et vous êtes morts. Un titre en forme de bravade pleine de morgue rageuse pour ce récit du quotidien bouillonnant d’un homme hors du commun considéré comme un des auteurs de SF les plus passionnants du XXe siècle, Philip K. Dick.
Version confidentielle
Ouvrage indéfinissable à la lisière du roman graphique, du carnet de voyage foutraque et de la BD pense-bête, Ce livre devrait me permettre de résoudre le conflit au Proche-Orient, d’avoir mon diplôme et de trouver une femme est, en revanche et en toute certitude, un livre au titre dont la longueur est tout à fait proportionnelle à la sincérité. En affichant la couleur dès la couverture de son livre, Sylvain Mazas, jeune artiste français basé à Berlin, réalise une note d’intention géante et touchante qu’il a même décliné en deux tomes. Toujours sur le ton de la confidence faite au lecteur, Un truc soi-disant super auquel on ne me reprendra pas de David Foster Wallace est un réjouissant recueil de chroniques au vitriol sur toutes ces choses que l’industrie du divertissement produit à la chaîne pour nous distraire. Avec son titre en forme de réflexion anodine qu’on a forcément déjà dû se faire un jour, cet essai mordant sur l’entertainment US est un condensé de l’humour ravageur d’un auteur talentueux trop vite disparu.
Confessions existentielles
Le bonheur est une malédiction ! Si l’on en croit Cioran, être heureux est un état éphémère qui nous rappelle cruellement que nous sommes tous mortels. Adepte d’une pensée pessimiste et désenchantée, le plus roumain des philosophes français publiait en 1973 De l’inconvénient d’être né, un essai au titre nihiliste et négatif pour nous rappeler que la joie est un poison pour l’Homme. Si l’intelligence rendait notre existence insupportable et qu’un excès de lucidité sur le monde nous précipitait tout droit vers le malheur, alors il ne nous resterait plus qu’à devenir débiles pour continuer à vivre… À partir de ce postulat saugrenu, Martin Page réussit avec Comment je suis devenu stupide, son premier roman au titre confession plutôt cocasse, une brillante démonstration par l’absurde où son sens de la formule fracasse avec une même vigueur les malins et les crétins.
Conseil, formalité et écologie
Spécialiste émérite des titres alambiqués souvent porteurs d’une poésie noire et urbaine, Serge Brussolo est un des plus grands romanciers de genre français encore en activité. Souvent mais injustement comparé à Stephen King, il est à la tête d’une œuvre monumentale qui va du roman d’épouvante à celui pour enfant en passant par le récit historique ou le polar. Roman fantastique et fable écologique, Procédure d’évacuation immédiate des musées fantômes et son titre caractéristique est une nouvelle preuve du talent sous-estimé d’un auteur graphomane à l’imagination illimitée. Guide pratique au titre trivial mais direct devenu avec le temps un livre culte au titre « provoc » et décalé, Comment chier dans les bois de l’experte environnementale Kathleen Meyer n’est en réalité qu’un simple recueil de conseils avisés souvent fort utiles quand on se retrouve en pleine forêt à chasser des sorcières, des champignons ou le dahu.
—
Toutes nos curiosités littéraires
Visuel d’illustration : Thomas Kelley