Plongée dans les coulisses de la création de « Nebraska », l’un des albums les plus dépouillés de Bruce Springsteen, le biopic « Deliver Me From Nowhere » (en salles le 22 octobre) dresse le portrait intime d’un artiste en proie à ses démons, loin du mythe du « Boss » triomphant.
De Bruce Springsteen, on connaît bien sûr l’hymne rageur Born in The U.S.A, son bandana, son perfecto et ses biscotos, ses performances scéniques gigantesques. Mais bien loin de la lumière et des clameurs des stades, le « Boss » a vécu la noirceur de la dépression, la pression des labels, le poids des doutes. C’est précisément cet interstice méconnu qu’explore le biopic Springsteen : Deliver Me From Nowhere réalisé par Scott Cooper (Crazy Heart).
Le réalisateur nous embarque en 1981, alors que le chanteur (incarné par Jeremy « The Bear » Allen White) vient de signer l’énorme carton de l’album The River, porté par le tube Hungry Heart. Alors que sa maison de disques entend battre le fer du succès, Springsteen, alors âgé de 32 ans, va emprunter un chemin de traverse – et partir s’isoler dans le New Jersey. Calfeutré dans sa maison perdue au fin fond de la forêt, armé d’un simple magnétophone à cassettes bon marché, de sa guitare acoustique et d’un harmonica, il va façonner un disque étonnant, sombre et artisanal : Nebraska. Un contre-pied artistique autant qu’un pied de nez à la voracité du capitalisme.
Au cœur de la création
C’est tout ce processus créatif que suit Deliver Me From Nowhere, depuis l’écriture des chansons – inspirées notamment par la sanglante cavale de Charles Starkweather et Caril Ann Fugate dans les années 1950 – jusqu’à la quête frénétique du son parfaitement imparfait que Springsteen avait capté sur sa démo.
Une excellente idée qui permet de mieux saisir l’exigence et l’intégrité d’un artiste en quête de vérité artistique, sans sombrer dans l’hagiographie. Et une façon maline de contourner les ressorts quelque peu usés du genre – ces success stories ultra-balisées où la chute précède invariablement le triomphe.

Certes, la narration et la mise en scène restent classiques, sans esbrouffe, et l’on pourra regretter quelques lourdeurs, notamment dans les flashbacks qui surlignent la relation chaotique entre Bruce et son père. Mais cette simplicité formelle permet aussi de mettre en lumière le cœur (passionnant) du récit : la création comme geste cathartique. En suivant pas à pas la genèse d’un album aussi atypique que Nebraska, le film dévoile ainsi un Springsteen vulnérable, à nu, hanté par ses démons et ses contradictions.
L’autre trouvaille du long-métrage est de montrer le lien précieux entre le « Boss » et son manager Jon Landau (excellent Jeremy Strong), qui le protège des requins de l’industrie mais endosse aussi le rôle de psy et de conseiller, alors que le chanteur torturé glisse dans les abysses de la dépression.
En entremêlant habilement musique, bromance et histoire d’amour (inévitablement), porté par la performance saisissante de Jeremy Allen White, Deliver Me From Nowhere se révèle aussi instructif que captivant. Et donne envie de se (re)plonger dans la discographie de l’un des plus grands conteurs de l’Amérique des laissés-pour-compte. Pari réussi.