C’est l’un des livres événement de cette rentrée littéraire : Intermezzo (Gallimard), le quatrième roman de Sally Rooney. Si vous l’avez, vous aussi, dévoré et que vous souhaitez prolonger ce plaisir de lecture, voici trois autrices dont l’univers vous séduira tout autant que celui de la romancière irlandaise.
Vous les avez lus, adorés, peut-être même relus ! Les livres de Sally Rooney trônent fièrement dans votre bibliothèque, mais voilà le drame : une fois terminés, ils nous laissent le sentiment que rien de ce qu’on pourra lire ne sera aussi puissant et exaltant que cette expérience.
Projetée sur la scène littéraire internationale après le succès de Normal People – son deuxième roman paru en 2018 et vendu à plus d’un million d’exemplaires dans le monde – et de son adaptation en série en 2020, Sally Rooney s’est révélée la voix de sa génération : les millennials. Cette génération qui a entre 25 et 35 ans, hyperconnectée et politiquement engagée, que ce soit dans son premier roman Conversations entre amis (2017), où l’héroïne rêve de devenir écrivaine tout en refusant de se conformer au marché de l’édition, ou son troisième, Où es-tu monde admirable (2022) où la protagoniste critique le capitalisme et le patriarcat dans des mails enflammés à sa meilleure amie.
Avec désormais quatre livres à son actif, la romancière irlandaise poursuit son exploration sensible des relations amoureuses, amicales et familiales. Dans son quatrième roman, publié simultanément dans 25 pays lors de cette rentrée littéraire, Sally Rooney se renouvelle et propose une œuvre dense et délicate qui sonde cette période de transition entre deux chapitres de la vie, comme y fait référence le titre Intermezzo.
L’histoire est celle de deux frères que tout oppose, mais qui se retrouvent lors du décès de leur père. Peter, l’aîné, âgé de 32 ans, est un avocat renommé, aisé financièrement, séducteur, mais « féministe ». Si sur le papier tout lui réussit, il est pris dans un tourbillon amoureux, incapable de se décider entre deux femmes. Ivan, le cadet, est un joueur d’échecs hors pair, mal à l’aise en société et atteint d’un trouble du spectre autistique. À 22 ans, ses relations avec les femmes sont quasi inexistantes… jusqu’à ce que Margaret, 15 ans de plus que lui, débarque dans sa vie. Comment cette fratrie conflictuelle va-t-elle parvenir à s’entendre ? Ont-ils pour obligation de s’aimer parce qu’ils sont frères ?
De roman en roman, Sally Rooney creuse dans les complexités de l’âme humaine avec la curiosité d’une anthropologue. Si les personnages de ce nouveau roman sont plus difficiles à cerner, moins faciles à apprécier de prime abord, la plume de l’autrice nous embarque là où on ne s’y attend pas et parvient à nous emporter sans réserve.
Après avoir fini son nouveau chef-d’œuvre et en attendant patiemment le prochain, voici d’autres bijoux de littérature qui plairont à celles et ceux atteints de la Rooney-mania.
L’Irlandaise Edna O’Brien
Quel est le point commun entre Sally Rooney et Edna O’Brien ? D’abord, un pays : l’Irlande. Ces deux autrices partagent ce territoire à l’histoire complexe, ses paysages sauvages et verdoyants, et ce peuple à la fois joyeux et torturé. Née en 1930, soit 60 ans avant Sally Rooney, Edna O’Brien a nourri la plume de l’autrice contemporaine. En 1960, elle publie le premier volet de sa trilogie Country Girls, qui sera censurée pour obscénités à sa sortie. Dans ces trois romans, Edna O’Brien raconte une histoire d’amitié, celle de deux jeunes filles issues de la campagne irlandaise qui s’émancipent d’une éducation religieuse stricte. Comme son autrice, ces deux personnages vont migrer à Dublin…
Une impression de déjà vu ? Comme dans Normal People où Marianne et Connell quittent Sligo, ville du nord-est de l’Irlande, pour faire leurs études au Trinity College, ces deux héroïnes tentent de s’épanouir au cœur du rythme urbain où elles trouvent indépendance, liberté et amours… Mais également leur lot de désillusions.
Toutefois, Edna O’Brien n’a pas écrit que sur son pays natal. Dans Girl (2019), son dernier livre, elle revient sur l’enlèvement des lycéennes par le groupe terroriste Boko Haram en 2014 et se glisse dans la peau de l’une de ces adolescentes nigérianes. Cette attention portée à l’état du monde, ses violences et ses inégalités habite aussi l’œuvre de Sally Rooney.
Disparue en juillet 2024, Edna O’Brien, qui a reçu le prix Femina en 2019 pour l’ensemble de son œuvre, a marqué la littérature irlandaise. Elle laisse comme héritage son immense tendresse pour ses personnages, ainsi que son regard critique, féministe et plein d’humour sur la société.
La Française Ornella Pacchioni
Dans les livres de Sally Rooney, ses personnages sont loin d’être les plus heureux. Connell, dans Normal People, se bat contre la dépression. Frances, dans Conversations entre amis, se scarifie. Alice, dans Où es-tu monde admirable, est traversée par des vagues d’anxiété. En mettant des mots sur les maux, la romancière participe à briser le tabou de la santé mentale. L’autrice française Ornella Pacchioni s’inscrit dans cette même démarche.
Dans son premier roman, Londres a beau être une ville laide (JC Lattès, 2022), son héroïne Aimée vient de finir ses études d’art dans une prestigieuse école de la capitale anglaise. Perdue, comme tous les jeunes de son âge, la jeune étudiante est assaillie de tocs et dresse chaque jour une to-do list. Sauf qu’un matin, elle inscrit : to die (se tuer). Mais, avant ça, elle veut réaliser toutes les choses qu’elle rêve de vivre le temps d’une journée : s’acheter une écharpe rouge, boire un thé, coucher avec un Jamie, appeler sa mère…
Alors qu’elle sillonne la ville à toute allure, le lecteur l’accompagne dans son cheminement intérieur, dans les méandres de son mal-être, mais aussi de sa volonté de vivre intensément. Loin d’être morbide, ce livre est une ode à la vie. Comme Sally Rooney, l’écrivaine française parvient à capturer les tourments de la jeunesse tout en dessinant un horizon plein d’espoir.
Si Londres a beau être une ville laide est le seul roman d’Ornella Pacchioni, elle a également publié en 2024 un recueil de poèmes, L’Année de l’ourse (L’Harmattan) et réalisé plusieurs courts-métrages mettant en scène les rêves et les illusions perdues de la jeune génération.
L’Anglaise Dolly Alderton
Sally Rooney doit son succès en partie aux formidables histoires d’amour qu’elle imagine dans ses romans : Marianne et Connell, Frances, Nick et Bobbi, Alice et Felix… Elle parvient à saisir ces petits détails qui façonnent le sentiment amoureux et ses complexités. Dolly Alderton partage cette fascination pour l’amour au XXIe siècle : Comment se rencontre-t-on ? Comment manifester son amour ? Comment se sépare-t-on ? Que reste-t-il d’une relation après une rupture ?
Comme ceux de Sally Rooney, les romans de Dolly Alderton font le buzz sur le réseau social TikTok et saturent le #BookTok. Ses mémoires, intitulées Tout ce que je sais sur l’amour (Mazarine, 2019), reçoivent même le TikTok Award du meilleur livre pour mettre fin à une crise de lecture. De la même génération que sa consœur irlandaise, Dolly Alderton est une millenial. Elle a connu l’explosion d’Internet et des réseaux sociaux, la crise économique, l’avant et l’après #MeToo en tant que jeune adulte. Tout ce vécu, elle l’incorpore dans ses romans qui lèvent le voile sur l’intimité féminine. Son premier, Ghosts (Fayard, 2020), suit les tribulations d’une trentenaire qui s’aventure sur les applications de rencontres.
Pourtant, dans son deuxième roman Good Material (Penguin Books, 2023), l’autrice change de perspective et plonge dans le point de vue de son personnage masculin, Andy. À 35 ans, ce dernier vient de se faire larguer et il ne comprend pas pourquoi. Comment son ex a-t-elle pu cesser de l’aimer ? Qu’a-t-il fait de mal ? Une spirale de questionnements assomme le jeune homme pour finalement aboutir à une véritable prise de conscience. Tout comme les personnages masculins de Sally Rooney, Andy est d’une tendresse désarmante. Une manière de raconter la tristesse au masculin et de réinventer les codes de la masculinité en littérature.