Décryptage

Tout savoir sur Candide, le héros (faussement) optimiste de Voltaire

23 août 2024
Par Mélanie Carpentier
Tout savoir sur Candide, le héros (faussement) optimiste de Voltaire

Conte philosophique et critique acerbe de son siècle, Candide est sans doute le plus grand chef-d’œuvre de Voltaire. On y suit les aventures du héros naïf du même nom, contraint de parcourir le monde pour venir au secours de sa belle et ainsi recevoir à ses dépens des leçons de vie, quitte à perdre tout ce en quoi il croyait alors. Une parabole cruelle et réjouissante du XVIIIe siècle et l’un des personnages les plus emblématiques de la littérature française.

Dans quel contexte a été écrit Candide

À l’origine de Candide ou l’Optimisme, deux doctrines qui ont le vent en poupe au XVIIIe siècle. D’un côté, le fatalisme. Selon ses adeptes, le monde en général et l’humanité en particulier, sont soumis à la fatalité, avec un destin tout tracé régi par une puissance supérieure. En parallèle, se trouvent des opposés et opposants suivant les préceptes de Leibniz, à l’optimisme exacerbé : le mal existe certes, mais le bien l’emporte toujours. De quoi donner du grain à moudre au poète et encyclopédiste François-Marie Arouet, dit Voltaire, déjà fort connu à son époque et dont le talent littéraire et les idées n’étaient pas du goût de tous. Il fut en effet parfois conduit à connaître le chemin de la Bastille et l’exil. Il publie Candide ou l’Optimisme en 1659, à Genève et très vite, le conte (et pamphlet anti-Leibniz) se retrouve sur toutes les lèvres. Il sera réédité une vingtaine de fois du vivant de Voltaire bien que ce dernier se cachait alors sous le pseudonyme de « Docteur Ralph ».

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Qui est Candide ? 

Neveu bâtard du baron de Thunder-ten-Tronckh, le jeune Candide porte divinement son prénom. Apparence naïve et juvénile (« sa physionomie annonçait son âme », écrit Voltaire), il est à la fois juste et simple et toutes les épreuves qu’il va subir vont façonner son caractère et lui montrer les vicissitudes de l’existence, émoussant peu à peu son optimisme béat pour une vision plus terre à terre de la vie. Il suit les préceptes du philosophe Pangloss et est fou amoureux de sa cousine, la belle Cunégonde, tout aussi naïve que lui. Leur innocence sera sacrifiée dès le premier chapitre du livre, pour en faire des adultes responsables, même s’ils en sortent abîmés tant physiquement que moralement, en une réjouissante descente aux enfers.

Où vit Candide ?

Au début du conte, Candide vit donc au château de Thunder-ten-Tronckh, supposé être situé en Westphalie (ancienne région d’Allemagne). Un château magnifique où tout semble paisible et qui fera dire au philosophe Pangloss qu’il s’agit « du meilleur des mondes possibles », en une parodie de Leibniz à peine voilée. Un véritable Eden qui sera toutefois le début des mésaventures pour Candide : tentant d’embrasser la belle Cunégonde, il est chassé du château comme le fut Adam du Paradis et va donc parcourir un voyage initiatique rempli de cruauté, de désillusions, mais également de moments de bravoure.

Que va subir Candide ? 

De chapitre en chapitre, Candide et ses compagnons ne vont faire que subir mille dangers qui vont presque leur coûter la vie : il est enrôlé de force dans des troupes bulgares, participe à la guerre sans y être préparé, affronte une tempête et un tremblement de terre à Lisbonne et tue des hommes pour sauver sa belle. Après avoir traversé toute l’Europe, il gagne les terres d’Amérique du Sud où le calvaire se poursuit : il manque d’assassiner le frère de Cunégonde sans le faire exprès ou de se faire manger par des cannibales, découvre l’Eldorado mais doit retourner en France pour sauver une nouvelle fois sa promise. De Londres à Venise en passant par Constantinople, il s’embarque sur des galères, se fait dépouiller et tente le tout pour le tout pour permettre à ses amis de survivre à leurs propres infortunes. C’est donc par la souffrance que Candide finit par se connaître lui-même et arriver à la rédemption et la sagesse.

Qui sont les compagnons de Candide ?

Pour que le personnage de Candide puisse évoluer et passer de l’adolescent naïf à l’homme aguerri par la vie, il faut qu’il soit accompagné d’hommes et de femmes qui sont en danger perpétuel, qui subissent tout autant que lui, voire davantage et dont il sera le sauveur et rédempteur. Une âme de héros qui se profile au fur et à mesure des chapitres, en contradiction avec son caractère originel.

  • Cunégonde 

Fille du baron de Thunder-ten-Tronckh, Cunégonde est la jolie cousine de Candide, « grasse et fraîche » pour qui elle voue un amour brûlant, mais encore chaste. Mais c’est par leur baiser interdit que tout va s’envenimer. Sa beauté et sa jeunesse vont être particulièrement fanées le long de ses mésaventures. Violée, capturée, mise en esclavage, enlaidie et devenue mauvaise femme, elle n’a de cesse d’être sauvée par Candide qui ne perd jamais de vue sa promise, même si elle ne ressemble plus à celle qu’elle était quand il finit par la retrouver réellement.
  • Pangloss

Précepteur et philosophe, Pangloss est également professeur de métaphysico-théologo-cosmolo-nigologie. Double satirique de Leibniz, optimiste éperdu, enseignant absurdités sur absurdités, il est le mentor de Candide avant que les rôles ne s’inversent au fur et à mesure des sévices qu’ils subissent. Il est lui aussi chassé du château idyllique, se retrouvé vérolé et dans un état de faiblesse et d’hébétude, pendu lors d’un autodafé, survit de peu et renoue avec un Candide devenu homme de courage. Il ne se dépare pourtant pas de son optimisme légendaire, montrant son peu d’évolution malgré son infortune, désavoué par son ancien disciple qui s’est éloigné de sa philosophie.

  • Martin

Il n’apparaît qu’au 19e chapitre du conte, mais pourtant, Martin va jouer un rôle important dans la destinée de Candide. Il est le total opposé de Pangloss. Pessimiste de naissance, pour lui l’homme est un apprenti et la douleur, son maître. Nous sommes nés pour travailler et souffrir, sans chercher à en comprendre les raisons. À ses côtés, Candide remet donc en question tous les préceptes avec lesquels il a grandis, les met en perspective, ce qui lui permet de se faire sa propre opinion sur les choses de l’existence. Mais au fur et à mesure que Candide se met à raisonner, Martin se fait de plus en plus silencieux, acceptant la fatalité sans chercher à la combattre.

  • La Vieille

À l’image de Martin qui est l’inverse de Pangloss, la Vieille est le contrepied de Cunégonde, préfigurant ce qui arrivera à cette dernière. Elle est une sorte de marraine bienfaitrice pour cette dernière, mais souffrira tout autant, si ce n’est encore plus, émoussant son optimisme pour en faire une fataliste convaincue. Une autre manière de contrer la philosophie de Pangloss pour Voltaire, décidément bien en verve contre Leibniz.

Quelle est la morale de Candide ? 

Dans le dernier chapitre du conte, Candide, Cunégonde, Pangloss et leurs amis finissent par s’installer dans une métairie pour finir leurs jours. Là, Candide découvre les bienfaits de la terre, tout en écoutant les préceptes d’un Pangloss qui n’a pas changé d’un iota depuis le premier chapitre, en dépit de tout ce qui lui est arrivé. Ce dernier avance ainsi une première morale à leur histoire commune : « Tous les événements se sont enchaînés dans le meilleur des mondes possibles », signifiant qu’il fallait en passer par là pour obtenir la quiétude dans laquelle ils vivent désormais tous.

Ce à quoi répond un Candide devenu philosophe épicurien : « cela est bien dit, mais il faut cultiver notre jardin ». La métairie est en effet devenue le symbole du travail (précepte de Martin) à l’échelle collective, tous mettant du leur. Pour Voltaire, l’Homme est le seul à pouvoir améliorer lui-même sa propre condition, mais il est un animal sociable ayant besoin des autres pour pouvoir subvenir à ses besoins et s’épanouir. Tout est donc bien qui finit bien, dans un bonheur utopique où cohabitent les grands courants philosophiques de l’époque : l’optimisme façon Leibniz, mais aussi le pessimisme et le pragmatisme du héros qui a pu grandir grâce à ses différents mentors. Le conte prône ainsi l’autarcie absolue sans l’aide d’une quelconque entité supérieure, donc loin de l’Église.

Comment est reçu Candide dans la culture populaire ?

Dès sa parution, Candide ou l’optimisme, bientôt résumé en simplement Candide, est devenu un livre culte, qu’on s’arrache sous le manteau, puis au grand jour. Le conte est d’ailleurs à ce jour le roman le plus lu et célèbre de son auteur, bien devant des succès comme Zadig ou L’Ingénu. De par ses différentes thématiques, son humour ravageur et sa morale (« il faut cultiver son jardin » étant désormais une phrase reconnue et un proverbe à elle seule), Candide a traversé les siècles sans perdre de sa puissance sarcastique.

On peut même dire de Candide qu’elle est la première œuvre prêchant l’absurde, influençant nombre de dramaturges, auteurs et artistes contemporains, tels Samuel Beckett qui en était épris, George Orwell ou encore Aldous Huxley et son Meilleur des mondes, titre reprenant le précepte leitmotiv de Pangloss.

Ses chapitres étant fort nombreux et les paysages qu’il dépeints si exotiques, rares sont toutefois les adaptations fidèles du conte. Plusieurs illustrateurs s’y sont essayé, de Paul Klee à Joann Sfar en passant par Alex Szekely et quelques réalisateurs ont tenté l’expérience (Norbert Carbonnaux en 1960 ou encore les Italiens Gualtiero Jacopetti et Franco Prosperi et leur Mondo candido). C’est surtout au théâtre que Candide poursuit sa notoriété autrement que sur les bancs d’école. Le conte de Voltaire est ainsi souvent mis en scène à travers le monde, notamment dans des lieux prestigieux tels que le théâtre national de Chaillot ou la Comédie-Française, quand Leonard Bernstein lui-même n’en fait pas une opérette à succès dans les années 1950.

Œuvre philosophique et conte parodique, Candide est surtout un livre intergénérationnel aux nombreux degrés de lecture qui plaît autant aux grands qu’aux petits par l’outrance des situations vécues par ses protagonistes. Un roman majeur dans la littérature française et un héros ambivalent, passant de la naïveté la plus totale à l’épicurisme tranquille. Une leçon de vie.

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Article rédigé par
Mélanie Carpentier
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