Entretien

Rencontre avec Louane Emera et Michel Blanc : Bas les masques et haut les cœurs

11 octobre 2023
Par Mathieu M.
Rencontre avec Louane Emera et Michel Blanc : Bas les masques et haut les cœurs

Dans son dernier film inspiré du livre de Murielle Magellan Changer le sens des rivières, Jean-Pierre Améris (Les Émotifs anonymes, Les Folies fermières…) brandit une nouvelle fois la force de la volonté et du possible face aux fléaux de la torpeur et de la résignation. Une ode à la liberté et à l’émancipation, doublée d’un éloge de la rencontre. Celle de Marie-Line et de son juge bien sûr, mais aussi celle de Louane Emera et Michel Blanc. Un duo improbable ? Bien au contraire…

Marie-Line et son juge, ça parle de quoi ?

Cheveux roses, mini-jupe et Doc Martens à fleurs vissées aux pieds, Marie-Line est serveuse dans un café du Havre. Seule avec son père, un ancien docker au corps blessé et au cœur aigri, la jeune fille mène sa barque comme elle peut, à la seule force de son indéfectible joie de vivre. Parmi les habitués du café, quotidiennement plongé dans ses dossiers et ses verres de whisky, un juge solitaire et désenchanté. Et alors que tout oppose ces deux âmes cabossées, leur rencontre va les amener à changer de cap pour l’un, à larguer les amarres pour l’autre…

Marie-Line et son juge

Comment pitcheriez-vous vos personnages respectifs ?

Louane Emera : Je dirais que Marie-Line est une jeune femme qui s’assume, bien dans ses baskets, un peu naïve, un peu volubile, mais qui s’est enfermée dans une certaine routine. Routine dont elle n’a pas conscience jusqu’à ce qu’un événement vienne lui ouvrir les yeux. Elle se retrouve alors face à la réalité de sa vie et de son quotidien. Une vie qui, au départ, lui va très bien. Il y a chez elle ce côté fataliste. « De toute façon, c’est comme ça ». Elle a grandi, s’est construite avec cette certitude. Alors à quoi bon se morfondre ? Elle est joyeuse et pleine de vie parce qu’elle est « ok » avec tout cela. Jusqu’au jour où elle rencontre quelqu’un qui est capable de lui montrer que sa vie peut changer…

Michel Blanc : Mon personnage, comme celui de Louane, est lui aussi prisonnier d’une bulle qu’il s’est plus ou moins fabriquée. Il lui est arrivé quelque chose de douloureux, un événement passé dont je ne dirai rien mais qui l’a poussé, pour se protéger, à se réfugier dans sa foi absolue en la justice. C’est elle qui le fait tenir. C’est devenu toute sa vie. Puis arrive cette rencontre avec Marie-Line, cette jeune fille tout aussi recluse dans sa bulle. Mais il comprend vite qu’elle vaut bien mieux que cette bulle-là. Et alors qu’il l’a condamnée pour une bêtise qu’elle a faite, il décide de la « réveiller ». « Ne sois pas comme tous ces moutons qui bêlent, lui dit-il. Saute la barrière, libère-toi, apprends, sois curieuse ! » La curiosité, c’est fondamental. Personnellement, j’y tiens beaucoup. Je suis notamment un mordu d’applis de dictionnaires. J’ai par exemple un dictionnaire historique de la langue française que je ne manque jamais de consulter pour découvrir l’histoire de tel ou tel mot. J’ai besoin de savoir, connaître, apprendre. J’ai cela en tout cas en commun avec mon personnage. Et c’est ce qu’il va s’efforcer de communiquer à Marie-Line.

Et vous, Louane, des points communs avec votre personnage ?

L.E. : En fait, pas tant que cela. Je pense avoir plus de recul sur ma vie. Disons que j’ai sans doute davantage d’affinités avec la Marie-Line de la fin du film… J’ai certes, comme elle, traverser des épreuves difficiles mais j’ai la chance de ne pas partager la dureté de son quotidien. Simplement, je me reconnais dans son énergie, sa vivacité, sa fougue. C’est quelque chose que j’ai en moi et que je lui ai donné dans le film. Simplement, j’ai toujours eu des rêves là où Marie-Line n’a pas la possibilité d’en avoir. Sur ce point, nous sommes très différentes.

À propos de Jean-Pierre Améris, parleriez-vous d’un « réalisateur de l’espoir » ?

M.B. : Dans ce film, clairement ! C’est en tout cas l’émotion qui ressort chez les spectateurs que j’ai pu rencontrer à l’occasion des avant-premières pour présenter le film. L’occasion également durant ces séances, de constater que les gens rient beaucoup plus que je ne l’aurais imaginé.

L. E. : Jean-Pierre Améris est quelqu’un qui aime profondément les gens. Il aime consacrer du temps, parfois peut-être trop (rire), à chaque personne autour de lui. Il vous fait ressentir la valeur que vous avez à ses yeux. C’est très impressionnant. Et très touchant. Après, son empathie, sa douceur ne l’empêchent pas de se montrer très ferme. Jean-Pierre sait très précisément ce qu’il veut.

M. B. : Oui, d’un coup, il a ce clapet qui s’ouvre et c’est un autre Jean-Pierre qui arrive, rouge écarlate (rires). Non, pour être honnête, cela n’arrive pas souvent. En l’occurrence, deux fois au cours du tournage. Une fois sur une scène de Louane. L’autre, sur une des miennes… Et il avait raison.

Juger, être jugé, tomber le masque qu’il soit social, culturel… Ces thèmes sont au cœur du film. Des thèmes qui vous parlent ?

L.E. : Oui, bien sûr. Ils font partie des raisons pour lesquelles nous avons tous les deux, je pense, accepté de participer à cette aventure. C’est l’une des raisons mais pas forcément la première qui serait davantage le plaisir à incarner nos personnages respectifs. À jouer ensemble. Un plaisir d’acteur un peu égoïste, certes, mais qui s’est trouvé décuplé dans un second temps à la découverte des nombreuses problématiques soulevées par le film.

M.B. : Les acteurs sont, c’est vrai, un tout petit peu égocentrique (rires). Et il nous est souvent difficile de résister à un rôle magnifique. Ce n’est qu’ensuite que l’on cherche les raisons pour lesquelles le film va être magnifique. Disons que c’est un peu l’inverse d’une approche militante qui favorisera le thème au personnage. Or, j’ai plutôt tendance, c’est vrai, à favoriser mon envie folle d’incarner tel ou tel personnage avant de m’intéresser au message véhiculé. Et pour ce film, nous avons d’abord été emportés par la qualité d’écriture de ce qu’on allait avoir à jouer avant de prendre la mesure du message essentiel qu’il porte. Un peu comme les spectateurs, il me semble, qui ont d’abord été emportés par le rire que suscitent Marie-Line et son juge, avant de prendre la mesure, en fin de projection, des réelles valeurs d’optimisme et d’espoir portées par ce film.

« La chance, ça se provoque… », « Quand on veut on peut »… Ce sont des phrases de riches ou pas ?

L.E. : Au-delà de leur « classe sociale », je crois surtout que ces phrases font parfois du bien à entendre. Elles peuvent paraître faciles à dire, parfois utopiques évidemment. Elles ne sont pas simples à mettre en œuvre. Mais c’est finalement là tout le propos du film. Que l’on soit juge ou serveuse, l’espoir, chacun peut le trouver à sa manière et s’y accrocher pour avancer. Et ce quel que soit le milieu social, économique, culturel auquel on appartient.

Qu’avez-vous appris l’un de l’autre tout au long de la fabrication de ce film ?

M.B : C’est un sujet très personnel, finalement. En fait, sans animosité aucune, je crois que cela nous regarde. En tout cas, nous n’avons pas décidé de nous marier (rires). Après c’est certain, c’est une belle rencontre. Et cela a joué, bien sûr, dans l’émotion qui traverse le film.

L.E. : En réalité, nous avons tellement de points communs. Michel est quelqu’un que j’admire énormément. Qui m’a accompagnée et m’a permis de me sentir bien. C’est pour moi une rencontre aussi professionnelle que personnelle, c’est certain. Tel le juge à l’égard de Marie-Line, Michel est de très bon conseil dans la vie.

Y a-t-il des films, des livres ou des musiques qui vous ont aidés à avancer, à voir les choses autrement ou à changer de direction ?

L.E. : Je dirais Françoise Sagan et Barbara. Au-delà des livres, des textes, des chansons, ce sont des personnes qui me portent, des sensibilités artistiques qui m’inspirent profondément.

M.B. : Cela va sans doute vous sembler étrange mais je pense à Marche à l’ombre (premier film de Michel Blanc derrière la caméra en 1984, avec Gérard Lanvin et Michel Blanc, ndlr), un film très indirectement inspiré de Macadam Cow-boy (de John Schlesinger, 1969, avec Jon Voight et Dustin Hoffman, ndlr). Ce duo de mecs paumés et ce côté road-movie… Il faut savoir que dans la comédie française, il y a cette façon de toujours filmer en courte focale. C’est très bien éclairé partout, on voit bien tout partout. Cela se passe toujours dans le XVIe arrondissement de Paris, dans des milieux favorisés, les hommes jouent au tennis, les femmes font du café… Personnellement, cela m’ennuie. J’étais et je suis convaincu que l’on peut faire rire autrement. Or, à l’époque, j’avais dans ma cinématographie interne ces films de Woody Allen à longues focales, aux lumières basses. Et j’ai pris le pari de faire rire avec ce type de cinéma, avec cette façon de filmer. Et donc, pour Marche à l’ombre, c’était le premier jour de tournage, une scène de comédie. On aurait les rushs que le lendemain mais le soir même le labo a appelé mon producteur pour lui demander s’il s’agissait bien d’une comédie, constatant que j’en n’avais pas respecté les « codes ». Le lendemain, le producteur s’est rendu à la projection pour découvrir la fameuse séquence. Et reconnaissant la réussite de la scène, il ne m’a rien dit et je n’ai plus jamais entendu parler de focale trop longue ou de manque de lumière. Ils ont réalisé que l’on pouvait effectivement faire rire autrement.

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Article rédigé par
Mathieu M.
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