Parfait mariage entre littérature et histoire, le roman de cape et d’épée « Les Trois Mousquetaires » de Dumas peint formidablement les mentalités de l’époque, en particulier l’esprit des mousquetaires, ces gentilshommes soldats d’élite de l’armée française. La fiction se mêle ainsi à une toile de fond historique avec laquelle Dumas livre une vision assez juste de ce XVIIè siècle.Si d’Artagnan n’a plus vraiment de secret pour nous, qui sont Athos, Porthos et Aramis, ses intrépides frères d’arme?
Des mousquetaires, des vrais !
Être mousquetaire en 1622 (date à laquelle le corps a été créé par Louis XIII), c’est avant tout appartenir à l’élite. On entre dans leur compagnie seulement sur recommandation et si l’on est issu d’une noble lignée. Une fois que l’on a intégré cette prestigieuse école militaire, on apprend l’art de monter à cheval et de manier les armes, en particulier le mousquet, cette arme à feu portative assez lourde. Affublé de la célèbre casaque bleue frappée de la croix de fleurs de lys blanche, un mousquetaire se retrouve spécialement au service du roi et lié à la guerre de siège. Point de mousquetaire-aventurier à l’existence errante et l’âme vagabonde, à l’image de d’Artagnan et de ses comparses dans « Les Trois Mousquetaires » d’Alexandre Dumas. Il faut bien que le romancier laisse aller son imagination et satisfasse l’esprit romanesque de ses lecteurs avides de souffle épique. Par contre, les valeurs qui fondent l’esprit des mousquetaires courent belles et bien à travers les pages de ce trépidant récit d’aventures. Et, en plus de leur habileté à manier le fer, nos quatre compagnons n’ont de cesse de prouver leur loyauté et leur bravoure.
Et du cran il leur en faut pour contrecarrer les complots du sinistre cardinal Richelieu et de la mystérieuse et vénéneuse Milady de Winter ! Ils ne seront pas trop de quatre pour affronter la redoutable furie éprise de vengeance. L’enjeu est assez simple et justifie à lui tout seul l’anachronisme principal de l’action. Ce n’est pas Louis XIII mais Louis XIV que le vrai d’Artagnan et ses camarades servaient. Mais un épisode particulièrement romanesque et croustillant égaya le règne de Louis XIII tant et si bien que Dumas déplaça l’intrigue de quelques années. L’histoire est connue sous le nom de « l’affaire des ferrets » : l’épouse de Louis XIII, la reine Anne d’Autriche, en guise de gage amoureux, donna au Duc de Buckingham une parure de diamants. Le roi, sur un conseil de Richelieu (qui veut confondre la reine) ordonne à la souveraine de montrer cette parure dans un bal. Nos quatre braves partent alors pour aller la chercher en Angleterre. Trois sont arrêtés en route, mais d’Artagnan surmonte tous les obstacles, parvient jusqu’au duc, rapporte la parure et sauve la reine, doublant Milady et déjouant les plans de Richelieu. Et si d’Artagnan est le jeune héros plein de fougue de cette aventure, il ne serait rien sans ses camarades et sans la solidarité qui lie entre eux ces hommes d’honneur. Petit tour d’horizon des qualités -et défauts- de chacun d’entre eux.
Athos, le noble déchu
Athos c’est le premier qui vient quand on évoque la fantastique Trinité : « Athos, Porthos et Aramis ». Il est le plus noble, le plus âgé, celui qui peut être considéré comme le père spirituel de d’Artagnan. Il est aussi un être en souffrance, alcoolique et asocial. Il est celui qui présente le plus de failles et de blessures. Parfait représentant de la grande Noblesse, il est surtout celui qui a chuté, à cause de l’amour d’une femme. Et cette femme, l’histoire nous l’apprendra c’est Milady. Devenue la première épouse d’Athos en se faisant passer pour celle qu’elle n’était pas, elle trahit Athos qui deviendra fou en découvrant la fleur de lys sur son épaule, marque des femmes perdues. Il se réfugiera alors dans l’alcool et le cynisme et se retirera du monde, jusqu’à sa rencontre avec d’Artagnan. Épisode qui lui permettra d’assouvir sa vengeance sur Milady.
Les origines historiques de l’inspirateur de ce personnage torturé remontent au début du XVIe siècle : fils d’un certain Adrien de Sillègue d’Athos et d’une fille de marchand d’Oloron, cousine germaine de M. de Tréville, il se prénomme Armand de Sillègue d’Athos d’Autevielle. Recommandé par son oncle le capitaine des mousquetaires, il entre dans la compagnie vers 1640 à l’âge de 20 ans. Mort prématurément à Paris en décembre 1643, son acte de décès donne à penser qu’il aurait succombé à une mauvaise blessure suite à un duel. Peu de traces demeurent de sa brève existence. Dumas, en revanche, lui prête une vie plus longue (il meurt à 80 ans passés) et bien plus palpitante. Il lui octroie même un fils, Raoul, qui deviendra le héros du « Vicomte de Bragelonne » !
Sur grand écran, avant la sagace et surprenante interprétation de Vincent Cassel dans le film « Les Trois Mousquetaires : D’Artagnan » de Martin Bourboulon, d’autres comédiens ont prêté leurs traits avec charisme au personnage d’Athos. Citons Oliver Reed qui marqua de son flegme britannique le personnage d’Athos dans « Les Trois Mousquetaires » de Richard Lester. Et n’oublions pas Kiether Sutherland qui apporta également de l’épaisseur au caractère d’Athos dans la version « Les Trois Mousquetaires » réalisée par Stephen Herek en 1993.
Porthos, le bon vivant
Géant sympathique sous la plume de Dumas, simple et droit, Porthos est le bon vivant de la troupe. Avec sa stature imposante, sa force physique débordante, sa personnalité vaniteuse et exubérante, il est l’archétype du bon compagnon, sans doute le plus fidèle des quatre. Doué d’une force herculéenne, le « sieur Porthos du Vallon de Bracieux de Pierrefonds » est inspiré d’Isaac de Portau, né en 1617, à Pau. Issu d’une famille noble protestante du Béarn, on sait qu’il entre au régiment des gardes, au sein de la compagnie des Essarts mais rien ne permet de savoir s’il a fait partie ou non des célèbres mousquetaires. A la fin de sa vie, il se serait retiré précocement en Gascogne, à la suite de blessures de guerre.
Porthos est sûrement le moins intelligent de la bande. Au côté de ces trois compagnons, il fait figure de bon gros géant. Un peu naïf, il se laisse guider sans vraiment se méfier. Généreux, il est toujours prêt à mettre sa force au service de ses trois amis. Il personnifie une force et une vanité désarmantes. Conscient peut-être de son côté fruste, il essaie constamment d’obtenir une certaine noblesse et de se hisser au rang de ses comparses, sans jamais vraiment y parvenir.
Au cinéma, on se souvient de Gérard Depardieu qui incarne un Porthos, ogre vieillissant mais bon camarade, face à Leonardo Di Caprio aux prises avec son destin dans « L’Homme au masque de fer » réalisé par Randall Wallace en 1998. Plus récemment, Pio Marmaï offre une version dépoussiérée de l’épicurien Porthos, faisant la part belle à impulsivité et à la nature brute de Porthos sans pour autant en faire une bête sauvage. L’acteur, qui a pris dix kilos pour entrer dans la peau de ce Porthos devenu au passage bisexuel, gourmand de toutes les bonnes choses, manie cependant la rapière avec beaucoup d’habileté.
Aramis, le séducteur mystique
Dans le roman, Aramis est l’intellectuel. Il incarne la ruse et l’intrigue politique. Aramis, c’est celui qui hésite entre la carrière des armes et la carrière religieuse à un moment où la France entre en guerre contre l’Espagne. Ce troisième mousquetaire est sans doute le personnage le plus complexe. Il se distingue nettement de ses trois compagnons : d’Artagnan est le jeune fougueux qui ose et qui va de l’avant. Athos incarne la noblesse déchue tourmenté par son funeste passé tandis que Porthos, lui, est plutôt le représentant de la force physique et de la générosité. Tranchant avec les autres caractères, Aramis personnifie la ruse subtile, la discrétion presque infaillible et un sens de la réflexion tout à fait remarquable. Il est aussi l’image de la séduction masculine dans le roman. Il aime les femmes et leur compagnie presque autant que les combats à l’épée. Ce qui fait d’Aramis un être pétri d’ambiguïté, c’est sa profonde attirance pour la vie spirituelle. Il étudie la théologie, pour peut-être »entrer dans les ordres »… Oscillant sans cesse entre d’aristocratiques liaisons et sa vocation religieuse, il est le plus délicat des quatre mousquetaires, d’une beauté exquise et fine, presque « féminine ».
Son double dans le monde réel, Henri d’Aramitz serait né vers 1620 et fut abbé laïc de l’abbaye du village dont il porte le nom, situé dans la vallée du Barétous, dans le Béarn. Il appartient à une vieille famille militaire locale qui a combattu au temps des guerres de religion. Comme ses camarades, il rejoint en 1640, vers l’âge de 20 ans, la compagnie des Mousquetaires qu’il ne quittera qu’à sa dissolution par le cardinal Mazarin, en 1646. De retour en Béarn, il se marie et coule des jours heureux et tranquilles jusqu’à la fin de sa vie. On est loin de l’être charmeur aux multiples facettes sorti tout droit de l’imagination de Dumas.
A l’écran, on pense à la délicate prestation de Sami Frey dans « La fille de d’Artagnan » réalisé en 1994 par Bertrand Tavernier qui, même s’il incarne un Aramis plus mature, nous touche par son élégance et sa finesse naturelle qui sied si bien à ce rôle. Dans « les Trois Mousquetaires » de Martin Bourboulon, réalisé en 2023, comment ne pas être charmé par le choix de Romain Duris pour incarner ce mousquetaire séduisant, intellectuel, libre et spirituel ?