Personnage secondaire de Notre-Dame de Paris, Phoebus de Chateaupers incarne l’autorité militaire face à la Cour des Miracles et la noblesse face à la « plèbe ». Aimé d’Esmeralda, alors que lui ne cherche qu’une aventure, il aura un rôle crucial d’antagoniste au fil de l’intrigue tissée par Victor Hugo. Voici le portrait du capitaine des archers et bellâtre du chef-d’œuvre romantique.
L’autorité moquée dans Notre-Dame de Paris
En faisant le portrait précis (mais fantasmé) de Paris au Moyen-âge, Victor Hugo apparaît comme un sociologue avant la lettre. En effet, si Notre-Dame de Paris dépeint l’amour de deux hommes (voire trois si l’on inclut le poète Gringoire), Frollo et Quasimodo, pour la Bohémienne Esmeralda, également surnommée « l’Égyptienne », c’est aussi une étude morale de la population médiévale de la ville.
À travers Quasimodo et ses mésaventures à la Cour des Miracles, l’auteur nous plonge dans le monde interlope, paillard et argotique des truands de Paris, ces « francs bourgeois » qui ont fait d’Esmeralda leur protégée et luttent farouchement contre les habitudes des bourgeois et des nobles de la ville. Le récit nous fait également entrer dans l’intimité d’un ecclésiastique, Frollo, figure de l’ombre, qui représente toute la duplicité des hommes d’Église, partagés entre leurs croyances inquisitrices et leurs désirs. Ayant adopté – et soumis – Quasimodo, l’archidiacre de la cathédrale envoie son compagnon bossu tenter d’enlever Esmeralda afin de la garder captive dans la cathédrale et d’obtenir son amour. Ce faisant, il la jette dans les bras de Phoebus de Châteaupers, capitaine des archers qui délivre la belle. Celle-ci tombe immédiatement amoureuse de ce militaire, au point d’accepter de passer une nuit avec lui. Ivre de jalousie, Frollo se glisse dans leur intimité et poignarde le capitaine dans le dos, puis s’enfuit, entraînant l’arrestation puis la condamnation d’Esmeralda pour meurtre.
C’est là que Victor Hugo amène à nouveau Notre-Dame de Paris dans une perspective sociologique : son portrait de la Justice, sourde et aveugle, puis de l’aristocratie, à travers la trajectoire de Phoebus de Châteaupers, et enfin de l’Église, à travers la figure de Frollo, montre une société profondément injuste, et l’incapacité des plus humbles à se soustraire à ces autorités. Le dénouement du roman, ainsi que le destin du capitaine des archers, en fait la démonstration.
Phoebus de Châteaupers, chevalier servant de Notre-Dame de Paris
C’est à travers les yeux du poète Gringoire, errant dans la nuit de Paris, que l’on découvre Phoebus dans Notre-Dame de Paris. Le gouailleur suit en effet Esmeralda un beau soir quand elle se retrouve attaquée par deux hommes, dont l’un, avec sa grande taille et sa bosse, se distingue dans l’ombre. Gringoire appelle donc à l’aide et se fait sévèrement pousser par Quasimodo. Mais le bossu est alors pris sur le fait par un cavalier, l’épée à la main, qui délivre Esmeralda. Pendant que le sonneur de cloches est arrêté par des archers, le sauveur pose la Bohémienne sur son cheval et l’évacue. Elle le remercie, lui demande son nom. « Capitaine Phoebus de Châteaupers, pour vous servir, ma belle ! » répond l’officier, dépeint comme un homme à bonne mine et aux moustaches « à la bourguignonne ». Esmeralda s’en va, et le capitaine des archers de la compagnie d’ordonnance du roi, chargée du guet à Paris, ne peut s’empêcher un commentaire grivois sur la jeune femme, dévoilant sa vulgarité militaire sous des dehors aristocratiques.
On le retrouve deux mois plus tard sur le balcon d’une belle bâtisse jouxtant Notre-Dame. Hugo fait une description plus précise du personnage à cette occasion. En effet, Phoebus, élevé dans un bon milieu, a gardé des manières aristocratiques. Mais en son for intérieur, il ne loue que la compagnie des filles de taverne, des soudards et des personnages peu fréquentables qu’il a appris à connaître dans son existence de soldat. Une vie de garnison et de beuverie qui n’a que peu à voir avec ce que son origine lui promet : si Phoebus se trouve ce jour-là dans une maison bourgeoise de Paris, c’est pour passer du temps avec sa fiancée, Fleur-de-Lys, sa cousine. Habitué aux aventures éphémères, il ne porte que peu d’affection à cette oie blanche que sa noblesse lui destine.
Le chapitre prend un nouveau tour lorsque les dames de la suite de Fleur-de-Lys ont l’œil attiré par une bohémienne dansant dans la rue en contrebas. Connaissant le sauvetage réalisé par Phoebus, elles ont alors l’idée de faire monter l’Égyptienne sur le balcon. La jalousie de la promise du capitaine se distingue à cette occasion, le fiancé s’avérant bien plus disert avec la danseuse qu’à l’égard de sa future femme. Lorsque la chèvre d’Esmeralda écrit le mot Phoebus au moyen de tablettes de buis, tout le monde comprend que le capitaine a durablement marqué l’esprit et le cœur de la jeune Bohémienne, cependant que Fleur-de-Lys identifiant une rivale en Esméralda, s’évanouit. Face à l’incident, Esmeralda s’enfuit, bientôt suivie du capitaine…
On apprend par la suite qu’ayant compris l’amour d’Esmeralda à son endroit, le capitaine a proposé un rendez-vous galant à la Bohémienne, chez la Falourdel. Avant de la rejoindre, Phoebus boit dans un cabaret avec Jehan Frollo, jeune frère de l’archidiacre. L’abbé Frollo entreprend alors de rejoindre le soldat et lui demande de pouvoir espionner ses ébats avec Esmeralda. Le moment venu, pris de folie amoureuse, le prête poignarde dans le dos le capitaine puis s’enfuit, laissant la jeune femme être accusée de sorcellerie et d’assassinat.
Notre-Dame de Paris : La décadence de Phoebus
Si Esmeralda est condamnée pour assassinat, la victime s’avère en réalité seulement blessée : Phoebus se remet finalement de sa plaie au dos, et la Bohémienne ne le comprend que trop tard. En effet, le capitaine, après sa convalescence, retourne en caserne, à quelques kilomètres de Paris, où il oublie rapidement la mystérieuse Égyptienne et le prêtre, pour mieux se reporter sur Fleur-de-Lys, à laquelle il se présente deux mois après sa nuit d’amour et de violence.
Là, il réussit à séduire sa promise, à force de belles paroles, retrouvant cet air aristocratique et son élégance qui lui manquaient tant précédemment. Ce faisant, intéressé par la dot et la situation de sa cousine, il confirme son envie de se marier, au moment même où Esmeralda est amenée une première fois en place de Grève pour y être pendue. L’infortunée bohémienne aperçoit alors Phoebus, au bras de sa fiancée, et comprend qu’il est encore en vie.
Esmeralda est finalement sauvée, temporairement, par Quasimodo, qui lui permet l’asile dans Notre-Dame. Lorsque Phoebus s’y présente pour une autre occasion, le bossu tente d’organiser une entrevue entre le capitaine et son ancienne maîtresse, désespérée de revoir un jour cet homme qu’elle aime. Mais le refus de Phoebus de rencontrer la Bohémienne a raison de l’espoir du bossu de rendre Esmeralda heureuse.
Alors que le destin des personnages principaux s’avère funeste, Phoebus survit au jeu de massacre final de Notre-Dame de Paris. Il est même le héros de son avant-dernier chapitre dans lequel Victor Hugo décrit ironiquement la suite de son existence : « Phoebus de Châteaupers aussi fit une fin tragique, il se maria ». Une vision ironique montrant bien la décadence du personnage : lui qui peut séduire toutes les femmes, et réussit à se faire aimer d’Esmeralda, reine de la Cour des Miracles hypnotisant tous ceux qui croisent son regard, finit en réalité par épouser sa promise, dont il a moqué, au cours du roman, la naïveté, et le mode de vie.
En fait, Phoebus accomplit l’inverse du parcours d’un héros. Sa déchéance morale se manifeste lorsqu’il retourne à sa condition première, de gentilhomme, après avoir véritablement brillé (comme le Soleil de son prénom) en étant naturel, c’est-à-dire grossier, proche des gens, guidé par son instinct. Las, il devint un froid personnage, calculateur, éloigné des sentiments humains, à la fin du roman, et coupable pour l’éternité d’avoir poussé Esmeralda vers un destin funeste et de tromper la confiance de sa fiancée, qui croit que ce soldat cynique l’aime malgré les humiliations qu’elle a subies.
Phoebus à l’écran et à la scène
Par tradition, le rôle de Phoebus est usuellement confié à un jeune premier à qui personne ne résiste, dans les adaptations cinématographiques et télévisuelles de Notre-Dame de Paris. L’un des plus notables fut Alan Marshal, qui se vit confier le personnage par Charles Laughton dans la version hollywoodienne classique, Quasimodo. L’homme de théâtre Jean Danet fit lui-même grande impression sous les traits du capitaine des archers en 1956, dans l’adaptation de Jean Delannoy. Robert Powell, choisi par Francisco Zeffirelli pour jouer Jésus de Nazareth quelques années plus tôt, a notamment interprété Phoebus dans la suite de sa carrière, via une adaptation télévisuelle américaine. Enfin, dans la version parodique de Patrick Timsit, Quasimodo d’El Paris, c’est à Vincent Elbaz qu’on doit une relecture assez originale du personnage. La version originale du Bossu de Notre-Dame par Disney met en valeur la voix du grand acteur Kevin Kline. Le personnage est cependant fort différent de ce qu’on peut lire dans le roman original.
Sur scène, c’est Patrick Fiori qui obtint le rôle lorsque Luc Plamondon et Richard Cocciante adaptèrent le livre en comédie musicale. Pour le chanteur d’origine corse, précédemment candidat à l’Eurovision, le spectacle servit de tremplin notable, à lui qui était le seul artiste masculin non québécois de la distribution originale de 1998. Sa doublure d’alors, Damien Sargue, devait lui aussi devenir une véritable star lorsqu’il quitta cet emploi pour incarner le premier rôle de Roméo et Juliette, de la haine à l’amour.