Décryptage

Notre-Dame de Paris : Paquette, la mater dolorosa

24 avril 2023
Par Melanie C.
Notre-Dame de Paris : Paquette, la mater dolorosa

Tout le monde connaît les personnages du célèbre roman gothique de Victor Hugo. Esméralda la belle bohémienne au destin tragique. Et les figures masculines qui gravitent autour des jupes de la sensuelle danseuse : Quasimodo, Frollo, Phoebus ou encore Gringoire. Mais Notre-Dame de Paris, c’est aussi un fourmillement de figures marginales mais non moins capitales. Parmi elles, Paquette la Chantefleurie (surnommée « La Sachette » ou encore « Sœur Gudule »), la mère d’Esméralda.

Notre-Dame de Paris ou la tragédie humaine

Notre-Dame de Paris, comme Les Misérables, c’est le grand roman des opprimés. Ecrit par Victor Hugo en 1831, sa trame romanesque nous offre un tableau terrifiant de la société française du XVIème siècle. L’occasion aussi de brosser le portrait de la France du XIXème siècle tout aussi sombre et injuste.  A travers les personnages de Quasimodo, bossu au cœur tendre, sonneur de cloches de Notre-Dame et de la flamboyante gitane Esmeralda,  la bien-pensance est vivement écorchée. D’autres figures tourmentées viennent compléter ce sinistre tableau. Ainsi Paquette la Chantefleurie, qui représente la vulnérabilité de toutes les  femmes, offre un visage à la souffrance infinie de la mère qui a perdu son enfant. En déployant dans sa chair le chagrin et en attisant l’empathie, Paquette illustre à la fois la douleur absolue et la capacité de l’amour à offrir un sens à la vie.

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La mère courage

Pour raconter la vie calamiteuse de Paquette, Hugo choisit de déléguer son récit à un personnage féminin, Mahiette. C’est une des femmes qui assistent place de la Grève à la condamnation au pilori de Quasimodo. Et c’est à ce moment-là qu’elle raconte l’histoire de Paquette, surnommée la Chantefleurie. Quinze ans plus tôt, des bohémiens lui ont enlevé sa fille alors qu’elle n’avait pas un an et l’ont remplacée par un enfant bossu dont on comprend qu’il s’agit de Quasimodo, plus tard recueilli par Frollo. La Chantefleurie aurait alors été rendue folle de douleur par la perte de son enfant, qu’elle n’a jamais retrouvé. Le récit bouleversant se double d’une enquête sur l’identité de Paquette puisque Mahiette est persuadée que la Chantefleurie n’est autre que sœur Gudule, la recluse du «  Trou aux rats »  ! Femme d’une grande piété, qui a renoncé à sa vie de bohémienne pour se consacrer à Dieu, celle-ci garde en effet dans sa cellule un petit chausson d’enfant, seul souvenir de sa fille ! De plus, la recluse voue une haine féroce aux bohémiens…

La suite de l’histoire confirmera la théorie de Mahiette puisque Frollo, rendu furieux face au refus réitéré d’Esmeralda de céder à ses avances, la livrera aux griffes de la vieille recluse du « Trou aux rats », en attendant l’arrivée de la Justice. Mais sœur Gudule reconnaît en l’Égyptienne sa propre fille, qui lui a été ravie quinze ans auparavant. Les retrouvailles sont aussi bouleversantes que brèves et la mère ne peut pas savourer son bonheur retrouvé car les sergents de ville reprennent la jeune bohémienne qu’ils traîneront à nouveau au gibet.

La douleur de la mère est infinie et fait, sous la plume puissante d’Hugo, admirablement écho à celle de la Vierge, en mater dolorosa. Le petit soulier de satin de la petite Esmeralda devient une relique que l’on embrasse pour faire taire sa souffrance. Geste désespéré et vain ! De la figure de la Vierge à celle de Marie-Madeleine la pénitente , il n’y a qu’un pas qu’Hugo franchit allègrement en faisant de Soeur Gudule un alter ego de la prostituée repentie.

Sœur Gudule, la recluse vengeresse

« C’était un ébahissement sans fin, c’était un délire de joie ! elle y avait toujours les lèvres collées (…) et eût volontiers passé sa vie à genoux, à chausser et à déchausser ces pieds-là comme ceux d’un enfant-Jésus. » Le geste de Sœur Gudule fait penser sans équivoque à celui de Marie-Madeleine baisant le pied de Jésus. Mais l’analogie ne s’arrête pas là. Le destin de ce personnage secondaire résonne avec la légende de Marie-Madeleine. A l’image de la pauvre Fantine des Misérables, Paquette la Chantefleurie représente dans sa jeunesse la misère livrée à la prostitution. Mahiette rappelle que la sensualité et la sensibilité de Paquette l’a menée tout droit aux plaisirs des sens et l’a fait courir à sa perte ! Devenue courtisane, Paquette est « montrée au doigt, criée par les rues » comme Madeleine vilipendée par tous.

Depuis le rapt de son enfant, Paquette la Sachette devenue Sœur Gudule vit, recluse, enfermée dans la cellule du « Trou aux Rats », sombre réduit à la porte murée et à l’unique fenêtre. Un corps prisonnier et une âme en peine. Voici ce qu’est devenue Paquette. Pieds nus, les lèvres bleues, les membres amaigris. Grand silence. Grande douleur. Mais une sourde violence agite la recluse et Sœur Gudule d’incarner la vengeance et la haine. Elle est obsédée par l’idée de se venger de la personne qui lui a enlevé sa fille et est prête à tout pour parvenir à ses fins. Cette obsession la pousse à perdre la raison et à vouer une aversion démesurée à l’égard d’Esmeralda sans savoir qu’il s’agit de sa propre fille. Elle finit même par attaquer Quasimodo, qu’elle prend pour son ennemi.

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Un personnage aux prénoms symboliques

Pour comprendre la portée symbolique du personnage de Paquette, s’intéresser à l’étymologie de ses multiples appellations s’avère édifiant. Le prénom « Paquette » vient du latin « paca » qui signifie « paix ». Assez courant dans la littérature médiévale, il est souvent associé à des personnages doux et aimables. Quant au nom de famille « Chantefleurie », il est également symbolique : « chante-fleur »  évoque la beauté et la fragilité des fleurs. Paquette est bien  une femme modeste et sans défense. L’étymologie de « Paquette la Chantefleurie » reflète l’une des facettes du personnage : la douceur, la vulnérabilité et la beauté malgré les épreuves qu’elle traverse. Le surnom « La Sachette » est également associé à Paquette à cause du sac dont elle  est vêtue, faisant une référence franche et brutale à son immense dénuement et à sa vie de recluse. Enfin, le nom « Gudule » quant à lui est plus ironique de la part d’Hugo puisque c’est le nom  d’une sainte belge qui était très populaire au Moyen Âge. Considérée comme la patronne de Bruxelles, sa légende raconte que le diable n’arriva jamais à éteindre sa petite lanterne, tant elle était sage et patiente. Quel que soit son prénom, nom ou surnom, Paquette n’en reste pas moins une femme et le symbole de la vulnérabilité aux prises d’une société patriarcale et violente.

Victime innocente, figure des violentes faites aux femmes

Notre-dame de Paris, c’est le roman des femmes innocentes condamnées au malheur ou à la mort tragique. Séduite et abandonnée par un homme qui l’a trompée en lui faisant croire qu’il l’aimait, Paquette a eu une fille, qu’elle a confiée à un prêtre et à sa sœur pour la protéger. Contrainte de se prostituer pour survivre, elle devient la cible des railleries et des humiliations de la société. Le personnage de Paquette illustre les périls que les femmes pouvaient rencontrer dans la société médiévale et au XIXème siècle, siècle d’Hugo, où leur place était subordonnée à celle des hommes. Elle incarne la souffrance et l’humiliation subies par de nombreuses femmes, qui devaient souvent se battre seules pour survivre et subir le poids des préjugés et des stéréotypes liés à leur genre.

La mère d’Esmeralda peut également être interprétée comme un personnage qui symbolise la force et la résistance. Elle est une bohémienne, la marginale  qui a survécu dans un monde hostile, et elle a transmis cette force de caractère à sa fille.  Dans un épisode de sa vie, le destin met sur son chemin le personnage de Gringoire, poète amoureux et « mari de circonstance » d’Esméralda mais qui ne sera jamais aimé en retour. La relation de Paquette à ce personnage masculin ouvre une porte d’espoir. Dans sa relation amicale et emplie d’affection avec Gringoire, Paquette trouvera l’apaisement et puisera la force de se battre. Malgré tout.

En décrivant la vie de Paquette dans Notre-dame de Paris, Victor Hugo dénonce les injustices et les violences faites aux femmes et plaide pour une plus grande égalité entre les sexes. Il montre également l’importance de l’empathie et de la solidarité entre les êtres humains pour surmonter les souffrances de la vie. Un personnage, étendard de valeurs humanistes et féministes dont le destin fascinera encore les lecteurs et lectrices d’aujourd’hui.

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Article rédigé par
Melanie C.
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