Décryptage

Journal d’un libraire – Sébastien présente une pépite indispensable

19 août 2021
Par Sébastien Thomas-Calleja
Journal d'un libraire - Sébastien présente une pépite indispensable

Laissons finir l’été en douceur, même si le soleil n’est pas partout au rendez-vous, c’est encore le moment de prendre le temps en se plongeant dans une belle et riche histoire feuilletonnesque aussi intimiste qu’historique, politique et terriblement addictive au point de demander encore un peu plus que les déjà 736 pages de ce Club des incorrigibles optimistes qui vous emportera à coup sûr dans les rêves déchus de toute une génération au cœur d’une France d’après-guerre en pleine mutation.

Profiter de la torpeur estivale pour s’attaquer à des monuments que l’on n’avait encore jamais osé approcher est un des plaisirs de la saison des vacances et du temps pour soi.  

Publié en 2009 et disponible en poche dès 2011, Le Club des incorrigibles optimistes est un de ces livres qui m’attendait sagement dans ma bibliothèque sans l’avoir encore jamais entamé. 

Pour un libraire aussi, l’été est le moment parfait de découvrir enfin des classiques ou des romans dont on vous parle depuis longtemps. Le Club des incorrigibles optimistes est un de ceux-là, et croyez-moi, je n’ai pas été déçu.  

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Le-club-des-incorrigibles-optimistesMon coup de cœur de libraire :

 

« Je préfère vivre en optimiste et me tromper, que vivre en pessimiste et avoir toujours raison. »  

Anonyme. 

 

Lorsqu’il se rend au Balto, un café tenu par les Marcusot, des Auvergnats, comme beaucoup de brasseries parisiennes de cette époque-là, c’est pour y retrouver Nicolas, son camarade et seul ami avec qui il enchaîne des parties de baby-foot endiablées sur fond de rock and roll.  

Nous sommes en 1959, et Michel Marini est alors loin de se douter de ce qu’il se trame dans l’arrière-salle du troquet.  

Une porte fermée en permanence, empruntée seulement par le serveur pour y apporter des consommations, masquée de surcroit par un rideau laisse place à tous les fantasmes dans son imagination de jeune garçon de 12 ans. La surprise sera forcément décevante lorsqu’il découvrira qu’il ne s’agit que d’un club d’échecs.  

 

Ni plus ni moins, pas tout à fait, car il s’apercevra vite que les membres qui composent ce club très select ont tous des prénoms à consonnance slave… Petit à petit, et durant cinq années, le jeune Michel va apprendre à connaître et grandir au contact de ces Pavel, Igor, Imré, Leonid ou encore Sacha. On peut même y croiser certains jours des personnages qui s’affichent souvent sur les unes de tous les kiosques à journaux : Jean-Paul Sartre et Joseph Kessel. Un club décidément très particulier.  

Si les échecs les rassemblent, leur rappelant leur passion pour ce jeu héritée de leurs pays d’origine, tout semble pourtant distinguer ces immigrés francophones.  

 

Si tous sont des réfugiés politiques, ayant tout quitté, parfois du jour au lendemain, pour éviter la mort, laissant derrière eux leur famille, leur situation, mais aussi leurs idéaux, la plupart viennent des pays de l’Est, on y trouve aussi un Chinois et un Grec. Aucun ou presque n’est parti pour les mêmes raisons. Certains parce qu’ils ont fui le communisme soviétique, d’autres parce qu’ils en étaient de virulents défenseurs avant de prendre conscience de leur supercherie.  

Au contact avec tous ces exilés, le jeune Michel apprend les nuances de la politique et la tragédie des désillusions.  

Kessel et Sartre jouent le rôle de soutien logistique, moral et surtout de pourvoyeurs de fonds. De la véracité des faits, il n’en est jamais question, mais après tout qu’importe, c’est le propre d’un roman de jongler avec la vérité pour mieux en extraire l’atmosphère d’une époque. 

 

Car c’est la France de la fin des années 50 qui est brillamment reconstituée, et ce sous tous ses aspects. Tandis que la guerre, qu’on appelle pudiquement les « évènements », embrase le maquis algérien, les Français ignorent la réalité de la dictature qui fait rage derrière le Rideau de fer.  

Toutes les critiques sont taxées d’anticommunisme primaire, et les débats fratricides s’infiltrent dans les foyers. 

Une dispute à l’aune des transformations économiques et sociales à l’œuvre dans la France gaulliste, et que l’on retrouve chez les Marini. Entre sa mère, issue d’une riche famille de commerçants conservateurs et son père aux origines modestes et militantes, qui se fait socialiste pour contenter tout le monde et paraître plus respectable dans un milieu où les transformations évoluent avec la consommation et s’accélèrent à un rythme industriel, quand son frère Franck se coupe de sa famille par pureté idéologique. Michel observe et apprend.  

 

Roman initiatique d’une époque où toutes les espérances étaient permises, où la résignation n’avait pas lieu d’être, Le Club des incorrigibles optimistes est aussi une déclaration d’amour pour la littérature. Lecteur passionné, Michel vit pour lire et lit pour vivre, même en marchant : 

 

« Il y a dans la lecture quelque chose qui relève de l’irrationnel. Avant d’avoir lu, on devine tout de suite si on va aimer ou pas. On hume, on flaire le livre, on se demande si ça vaut la peine de passer du temps en sa compagnie. C’est l’alchimie invisible des signes tracés sur une feuille qui s’impriment dans notre cerveau. Un livre, c’est un être vivant. » 

 

Une alchimie littéraire qui relève du sensuel et que l’on retrouve aussi dans l’apprentissage des premiers émois, et de la confusion des sentiments devant la Fontaine Médicis du jardin du Luxembourg, mêlée à sa passion pour la photographie. Et bien sûr enfin, l’Amour, rencontré au coin d’une rue, comme une accointance entre deux romans radicalement différents.  

Michel apprend, explore et découvre la complexité du monde qui l’entoure, les psychologies opposées, les sentiments divergents et une réalité sociale déterminante à tout point de vue. 

 

Malgré les injustices et les enfermements, il émane de ce roman une joie de vivre et de croire encore à un monde meilleur, une sorte « d’incorrigible optimisme » : 

 

« – On n’arrive pas à se mettre d’accord. On ne sait pas s’il vaut mieux attendre et espérer ou se faire une raison et renoncer. 

– Demain sera meilleur. Je suis désolé de le constater, Igor Emilievitch, tu es négatif. Moi, je suis un optimiste. 

– Je suis un optimiste aussi, répondit Igor. Le pire est devant nous. Réjouissons-nous de ce que nous avons. » 

 

Se contenter serait-t-il donc suffisant ? 

Une réponse que chacun peut trouver en soi-même, et à laquelle ce livre pourtant brillant ne réponds pas évidemment, mais laisse une issue possible : 

 

« On dit qu’il n’est pas nécessaire de réussir pour entreprendre, c’est une vérité profonde. Ce qui relève de la conviction et de l’espoir échappe à la logique. Quad un homme accomplit son rêve, il n’y a ni raison ni échec ni victoire. Le plus important dans la Terre promise, ce n’est pas la terre, c’est la promesse. » 

 

Une idée certainement développée dans une suite parue cette année, intitulée justement Les Terres promises 

Un retour des incorrigibles optimistes que vous lirez assurément après avoir succombé à ce roman prodigieux et exaltant. 

Paru le 24 août 2011 – 736 pages 

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Article rédigé par
Sébastien Thomas-Calleja
Sébastien Thomas-Calleja
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